Communiqué de presse

La torture en 2014 : récits de l’horreur moderne

Une femme mexicaine est violée dans un bus de la police sous les acclamations d’agents présents ; un Nigérian souffre encore de migraines quatre années après qu’on lui a cogné la tête à plusieurs reprises contre un mur de béton ; une Philippine voit revenir les images du moment où un soldat lui a fait couler sur la peau de la cire de bougie brûlante.

La torture est toujours bien présente dans le monde et Amnesty International a recensé l’utilisation de techniques telles que l’administration de décharges électriques, le simulacre de noyade et le viol dans 141 pays au moins ces cinq dernières années.

On torture aux quatre coins de la planète, dans les cellules obscures de certaines prisons, dans des centres de détention secrets et même au vu et au su de tout le monde. La plupart des responsables ne comparaissent jamais devant la justice et ce climat d’impunité massive pour les tortionnaires équivaut à un message des gouvernements indiquant que ces pratiques sont autorisées.

Parfois la brutalité des actes perpétrés entraîne la mort de la victime. Parfois des hommes et des femmes en réchappent et consacrent le reste de leur vie à tout faire pour envoyer les responsables derrière les barreaux et faire cesser l’impunité.

Stop Torture, la nouvelle campagne d’Amnesty International, veut faire connaître la vie de celles et ceux qui ont survécu à ces actes brutaux et obtenir que les responsables de ces actes soient traduits devant les tribunaux.

Italia Méndez : « Je n’avais jamais imaginé que je pourrais être torturée »

Lorsque la militante mexicaine des droits humains Italia Méndez s’est rendue à San Salvador Atenco (État de Mexico) le 3 mai 2006 pour témoigner sur des violences policières contre des manifestants, elle n’aurait jamais imaginé qu’elle puisse elle-même être arrêtée et torturée.

Le 4 mai à 6 heures du matin, des policiers ont cogné brutalement à la porte de la maison où elle se trouvait, l’ont traînée par les cheveux, l’ont poussée violemment contre un mur et l’ont frappée.

Interrogée violemment sur les raisons de sa présence à Atenco, Italia a expliqué qu’elle était une militante des droits humains. Le policier responsable a alors dit à ses collègues : « Il lui faut un traitement spécial. »

« Ils m’ont frappée à la tête avec un bout de bois, m’ont couvert le visage avec un pull-over et m’ont fait monter dans un bus de la police, se souvient Italia. À l’intérieur, ça sentait le sang et j’entendais des cris de douleur. Il y avait des gens entassés sur le plancher et j’ai dû leur marcher dessus.

Quand je suis arrivée dans ce que j’imaginais être le fond du bus, ils m’ont fait tomber par terre et ont recommencé à me frapper. Ils ont essayé de m’asphyxier, et ensuite ils m’ont violée. C’était un cauchemar. Pendant qu’ils m’infligeaient ces sévices, ils me forçaient à dire des obscénités et disaient qu’ils allaient me tuer.

« Les coups étaient si violents qu’à un moment j’ai senti une main se soulever sous moi, et quelqu’un a dit “je vous en prie, arrêtez de la frapper”. »

Il a fallu plusieurs heures avant que le véhicule ne parvienne à la prison d’État.

Couverte d’hématomes et d’entailles, Italia a été conduite au réfectoire de la prison, où 47 autres femmes arrêtées pour leur participation aux manifestations attendaient de savoir ce qu’il allait advenir d’elles.

Italia voulait à tout prix voir un médecin et un avocat, pour leur montrer ses blessures et s’assurer que les faits seraient dûment consignés.

Mais le fonctionnaire du bureau du procureur qui s’est présenté a refusé d’enregistrer sa plainte concernant les violences subies. Aucun examen médical approprié n’a été effectué.

« Le médecin que j’ai rencontré n’a pas arrêté de rire pendant qu’il m’examinait. Il m’a fait des points de suture à la tête sans anesthésie, c’était très douloureux. »

Remise en liberté sous caution au bout de 10 jours, Italia a été inculpée d’« attaques contre les voies de communication et les moyens de transport ». Un non-lieu a depuis été prononcé.

Italia et 10 autres femmes qui ont été victimes de la répression policière ce 4 mai ont dénoncé devant les autorités au plus haut niveau les violences qui leur ont été infligées pendant qu’elles étaient en détention. Leur combat pour la justice entamé il y a huit ans a permis l’inculpation de deux policiers pour des actes de torture sexuelle, mais tous les autres fonctionnaires impliqués, et notamment les supérieurs hiérarchiques, continuent d’échapper aux poursuites. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a été saisie de cette affaire.

Italia et ses 10 compagnes d’infortune se sont récemment associées à d’autres victimes de tortures sexuelles commises par les autorités en plusieurs endroits du pays afin de réclamer, dans le cadre d’une campagne nationale baptisée Briser le silence, que la justice passe et que l’on fasse cesser les graves violations des droits humains.

Le supplice qu’a subi Italia est emblématique de l’usage répandu de la torture et de l’absence de justice au Mexique, explique-t-elle.
« La torture est pratiquée de manière effrénée au Mexique, et elle n’affecte pas seulement la personne qui en est victime, mais bien la société dans son ensemble. Mais je n’abandonnerai jamais le combat », conclut Italia.

Justine Ijeomah : « Un policier m’a cogné plusieurs fois la tête contre un mur de béton »

« Monsieur Droits Humains » : c’est comme ça que m’appellent les autorités de ma ville natale, Port Harcourt (Nigeria), en raison de mon travail de défense des condamnés à mort et des détenus soumis à la torture par les forces de sécurité.

Les employés et les bénévoles de notre organisation, la Fondation pour les droits humains, le développement social et l’environnement (HURSDEF) se rendent dans les postes de police et les centres de détention où les gens risquent d’être soumis à de graves violations de leurs droits fondamentaux. Nous avons recueilli des informations sur de nombreux cas d’exécution extrajudiciaire et de disparition forcée, ainsi que les récits d’épouvantables séances de torture.

Dans beaucoup de postes de police il y a une « salle de torture » et un « chargé de torture ». Certains détenus – souvent les pauvres et les enfants des rues – sont conduits au « Temple », autre nom utilisé pour désigner la salle de torture.

On les suspend au plafond ou bien on les menotte, et on les torture pendant des heures – on les frappe avec le plat de la lame d’une machette, on leur arrache les ongles avec une pince ou un coupe-câble, on leur tire des coups de feu dans les pieds, on leur place un bandeau sur les yeux et on les soumet à un simulacre d’exécution, on leur asperge les yeux de gaz lacrymogène et on les bat à coups de crosse ou de canon de fusil.

Récemment un jeune homme s’est évanoui après avoir été frappé pendant des heures à coups de machette et de barre métallique. Il y avait une mare de sang dans la salle de torture. Lorsque les policiers l’ont ranimé et l’ont fait revenir, le lendemain matin, on l’a forcé à manger son propre sang coagulé dans le sable du sol.

De nombreuses victimes de torture sont détenues pendant des mois sans être inculpées d’une quelconque infraction. La police a couramment recours à la torture pour extorquer des « aveux ». Pour que la douleur cesse, les gens « avouent » tout ce qu’on leur demande. Ces « aveux » sont le fondement du procès contre la personne qui a été torturée. Celui-ci débouche parfois sur une condamnation à mort.

Et nous, en tant que défenseurs des droits humains, nous ne sommes pas à l’abri. Nous recevons des menaces de mort et sommes fréquemment arrêtés ; et j’ai moi aussi enduré la torture. En mai 2010, j’ai été arrêté par la police alors que défendais un enfant soupçonné dans une affaire. On m’a fait sortir de la cellule et on m’a fait passer derrière le comptoir du poste. Là, un policier m’a cogné la tête plusieurs fois contre un mur de béton. J’ai été hospitalisé avec des blessures graves à la tête. Aujourd’hui je souffre encore de migraines consécutives à ce que j’ai subi.

Nous voulons que la torture soit définie comme une infraction punie par la loi au Nigeria. Elle est déjà bannie par la Constitution, et nous devons travailler collectivement pour faire en sorte qu’elle ne soit plus une pratique courante des forces de l’ordre de notre pays.

Nous gardons espoir. Quand nous portons des cas sur la place publique, cela fait réfléchir les autorités. Dans Know Your Rights, l’émission que j’anime toutes les semaines à la radio, je constate que le fait de dénoncer en donnant des noms a un impact. Bien souvent cela déclenche une réponse ou une intervention dans les heures qui suivent.

La torture est une pratique inhumaine, ensemble nous pouvons y mettre un terme !

Loretta Rosales : « Je ne pouvais pas m’arrêter de trembler »

Lorsque deux policiers philippins en civil ont abordé Loretta Rosales, lui ont placé un bandeau sur les yeux et l’ont fait monter dans une voiture, cette militante des droits humains s’est dit qu’elle ne pourrait jamais raconter ce qui s’était passé car elle allait mourir. Défendre les droits fondamentaux sous le régime brutal de Ferdinand Marcos, dans les années 1970, était une entreprise extrêmement risquée.

« J’avais très peur, se souvient Loretta. Je savais ce qui m’attendait. Au moment où ils m’ont fait entrer dans le bâtiment, j’ai commencé à entendre des cris et des hurlements. Je savais que j’étais dans une salle de torture. L’un des policier a dit : “Personne ne sait que tu es là, alors nous pouvons faire ce que nous voulons.” »

La torture a tout de suite démarré. Les hommes ont commencé par poser des questions à Loretta, en criant, puis ils ont fait couler de la cire de bougie brûlante sur ses bras, l’ont partiellement asphyxiée à l’aide d’une ceinture et l’ont soumise à un simulacre de noyade.

« Je me souviens que je m’efforçais de rester consciente, c’était ma manière de lutter, explique Loretta. Et puis les décharges électriques ont commencé, c’est ça qui a été le plus douloureux. Je ne pouvais pas m’arrêter de trembler. Je n’arrivais pas à contrôler mon corps. »

La famille de Loretta avait des connaissances au sein de l’armée et la militante a été remise en liberté au bout de quelques jours. Mais elle n’a jamais renoncé à son action en faveur des droits fondamentaux et est maintenant à la tête de la Commission philippine des droits humains, l’organe national en la matière.

Toutefois, près de 40 ans après les événements et malgré certaines avancées législatives – le pays a adopté en 2009 une loi contre la torture –, la torture reste une pratique répandue aux Philippines.

En janvier 2014, Loretta a reçu l’appel d’une personne l’informant de la découverte d’une « roue de la torture » dans les locaux d’un service de renseignements de la police dans la ville de Biñan, au sud de Manille.
Les policiers faisaient tourner la roue pour déterminer quelle méthode de torture ils allaient utiliser sur tel ou tel détenu.
L’indication « 30 secondes chauve-souris », par exemple, signifiait que le détenu allait être suspendu la tête en bas pendant 30 secondes. Si la bille tombait sur « 20 secondes Manny Pacquiao », du nom d’un célèbre boxeur philippin, le détenu était roué de coups de poing pendant 20 secondes.

« C’est la première fois que je voyais une chose pareille, nous dit Loretta. En général ils utilisent la torture pour soutirer des informations, mais là, c’était pour s’amuser. C’était affreusement choquant. »

Plusieurs policiers ont été inculpés à la suite de protestations internationales, mais il demeure extrêmement rare aux Philippines que les victimes de torture obtiennent justice. Loretta ne le sait que trop bien. Personne n’a jamais eu à répondre devant les tribunaux des sévices qui lui ont été infligés lorsqu’elle était jeune militante. L’un des hommes qui l’ont torturée est aujourd’hui député.

« L’absence de condamnation dans les affaires de torture aux Philippines est un gros problème. D’une part certaines personnes ont peur de porter plainte et d’autre part le fait de laisser ces actes impunis revient à dire que la torture est de fait autorisée. »

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