Les terribles attentats du dimanche de Pâques, le 21 avril 2019, qui ont fait plus de 250 morts dans trois églises et trois hôtels, ainsi que les attaques qui ont eu lieu juste après, rappellent que la violence continue de hanter le Sri Lanka.
Près de quatre années se sont écoulées depuis que le pays s’est engagé devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève à mettre en place une justice de transition et les avancées sont bien modestes en matière d’obligation de rendre des comptes pour les crimes de droit international et les autres violations des droits humains. Cette incapacité à traiter des affaires emblématiques renforce le climat d’impunité et laisse le champ libre aux tensions ethniques et religieuses pour creuser les fractures sociales – ce qu’illustrent par exemple les récentes attaques contre des maisons, des boutiques et des lieux de culte musulmans.
« Il est inquiétant d’observer la répétition des hostilités et des violences à l’égard des minorités ethniques et religieuses au Sri Lanka. Si le gouvernement s’est engagé dans un processus de réconciliation, les blessures du passé ne pourront cicatriser que si la justice, la vérité et des réparations sont mises en œuvre, a déclaré Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Tant que l’impunité perdure pour la longue liste des crimes relevant du droit international, le Sri Lanka ne pourra pas rompre avec ce passé. »
Des affaires emblématiques
En 2010, le célèbre dessinateur de presse Prageeth Eknaligoda a été victime d’une disparition forcée. Vers la fin du conflit qui a duré 26 ans, d’autres cas ont été recensés. Le Sri Lanka compte parmi les pays qui présentent le plus grand nombre de disparitions forcées au monde : entre 60 000 et 100 000 personnes auraient disparu depuis la fin des années 1980. Les familles des « disparus » attendent toujours de connaître le sort réservé à leurs proches et de savoir où ils se trouvent.
Le cas des « cinq de Trinco » remonte à 2006 : cinq étudiants tamouls ont été exécutés sommairement semble-t-il par des membres de la Force d’intervention spéciale du Sri Lanka. En 2006 également, 17 employés d’Action contre la faim (ACF), organisme français d’aide humanitaire, ont été tués à Muttur. Les victimes de ces violations des droits humains et leurs familles n’ont toujours pas obtenu justice.
Les violences qui se sont déroulées à la prison de Welikada en 2012, au cours desquelles 27 détenus auraient été exécutés, l’enlèvement de 11 jeunes à Colombo en 2008-2009 semble-t-il par la marine, le meurtre du responsable politique tamoul Nadarajah Raviraj en 2006, le meurtre de Lasantha Wickrematunge, rédacteur en chef de The Sunday Leader en 2009, ne sont que quelques exemples.
Ils illustrent toutes les fois où le gouvernement du Sri Lanka n’a pas rendu justice aux victimes. La volonté politique manque s’agissant de faire avancer un processus crédible d’obligation de rendre des comptes et le pays se retrouve à la traîne concernant ses obligations en matière de droits humains.
Résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU
Dans la Résolution 30/1, le gouvernement sri-lankais a pris l’engagement d’instaurer quatre mécanismes : la Commission pour la vérité, la justice, la réconciliation et la non-répétition, le Bureau des personnes disparues, le Bureau des réparations et le Mécanisme judiciaire doté d’un conseiller spécial. Il a renouvelé l’engagement pris dans le cadre de cette résolution à deux reprises, en adoptant les Résolutions 34/1 et 40/1. Or, le rythme auquel il fait progresser le processus global est décevant.
« Cela fait plus de trois ans que la Résolution 30/1 a été adoptée et ce délai a sapé la confiance des victimes dans l’ensemble du processus de justice transitionnelle. Il est crucial que le gouvernement du Sri Lanka remplisse ses obligations, rende justice aux victimes et leur garantisse des recours effectifs pour les crimes de droit international commis durant le conflit armé », a déclaré Biraj Patnaik.
Pas de restitution des terres
Le président sri-lankais a pris l’engagement de restituer aux propriétaires civils légitimes toutes les terres restantes dans le nord et l’est du Sri Lanka d’ici à la fin de l’année 2018. Cependant, l’armée, les forces de défense civile et d’autres organismes d’État continuent d’occuper ces terres, 10 ans après la fin du conflit.
Bureau des personnes disparues
Si Amnesty International salue la création par le gouvernement du Bureau des personnes disparues, elle s’inquiète de le voir faire marche arrière sur des engagements clés, notamment en matière d’obligation de rendre des comptes.
« Les familles des disparus attendent toujours de connaître la vérité sur ce qui est arrivé à leurs proches et les familles de ceux qui se sont rendus à la fin de la guerre en 2009 et ont plus tard " disparu " perdent confiance dans les mécanismes gouvernementaux, qui n’ont encore apporté aucune réponse. Les habitants des zones touchées par la guerre manifestent pour obtenir ces réponses », a déclaré Biraj Patnaik.
Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA)
Par l’intermédiaire de la Résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le gouvernement a pris un autre engagement majeur, à savoir réviser et abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme et la remplacer par une législation antiterroriste conforme au droit international et aux normes internationales en vigueur.
Pourtant, il continue de se servir de cette loi. Les attaques contre les défenseurs des droits humains et les journalistes dans le pays diminuent, mais l’impunité les rend vulnérables à de nouvelles violences.
Les personnes toujours détenues au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme en raison de leurs liens présumés avec les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) doivent être inculpées d’une infraction dûment reconnue par le droit international ou libérées.
« Le Sri Lanka est tenu d’offrir à ses citoyens un avenir qui ne soit pas gangréné par un conflit récurrent. Toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de violations des droits humains et d’exactions, qu’elles soient membres de groupes armés étatiques ou non étatiques, doivent rendre des comptes devant des tribunaux civils de droit commun en vue de garantir la non-répétition. Le 10e anniversaire de la fin d’une guerre de 30 ans vient rappeler au Sri Lanka qu’il importe de ne pas laisser l’histoire se répéter et d’offrir aux citoyens la justice qu’ils méritent », a déclaré Biraj Patnaik.
Complément d’information
En 2015, le Sri Lanka a coparrainé la Résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU afin de promouvoir la réconciliation, l’établissement des responsabilités et les droits humains dans le pays. Ce fut l’occasion pour le gouvernement nouvellement élu de faire la preuve de son engagement à rompre avec l’impunité vis-à-vis d’un passé imprégné de graves violations des droits humains.
Il s’agit là d’engagements cruciaux en faveur de la réconciliation et de la justice transitionnelle après le conflit armé. Bien qu’ils aient été renouvelés à deux reprises, à chaque fois pour deux ans, ces points essentiels de la résolution n’ont pas été réalisés. La Commission enseignements et réconciliation (LLRC), mise sur pied en 2010 par le gouvernement de l’époque, n’a pas non plus réussi à appliquer une justice de transition efficace pour les personnes concernées.
Les dispositions législatives relatives au Bureau des réparations ont été adoptées en octobre 2018 et les membres du bureau nommés en avril 2019. La législation concernant la Commission pour la vérité, la justice, la réconciliation et la non-répétition a semble-t-il été approuvée par le gouvernement, mais le projet de loi n’a pas encore été rendu public.
Amnesty International demande à la communauté internationale, et plus particulièrement au Conseil des droits de l’homme de l’ONU et au Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, de veiller à ce que le Sri Lanka respecte ses engagements de manière spécifique et selon un calendrier précis.