Ce rapport, intitulé “We are near total breakdown” : Protecting the rights to health, food and social security in Sri Lanka’s economic crisis, dévoile l’impact catastrophique de la crise sur les droits économiques et sociaux de la population au Sri Lanka.
« Depuis des mois, la population souffre de graves pénuries alimentaires et se bat pour avoir accès aux soins de santé, tandis que l’inflation galopante exacerbe les inégalités existantes. Les autorités sri-lankaises et la communauté internationale doivent agir rapidement afin d’atténuer le coût en termes de droits humains de cette crise qui prive les citoyen·ne·s de leurs droits », a déclaré Sanhita Ambast, chercheuse sur les droits économiques, sociaux et culturels à Amnesty International.
Le rapport expose les mesures de reprise que les dirigeants du Sri Lanka et la communauté internationale doivent mettre en place afin de préserver les droits humains dans le cadre des réponses apportées à la situation – notamment augmenter le montant de l’aide internationale, garantir une protection sociale intégrale et examiner toutes les options d’allègement de la dette, y compris son annulation.
Entre juin et septembre 2022, Amnesty International a réalisé des entretiens avec 55 personnes issues d’un large spectre de la société : des travailleurs·euses précaires ou journaliers, des employé·e·s du secteur de la pêche et des plantations, des membres de la communauté tamoule Malaiyaha, qui risquent d’être particulièrement touchés, des agents de santé publique, des employé·e·s d’organisations de la société civile, d’organisations humanitaires et d’ONG internationales, ainsi que des expert·e·s.
« Si nous avons de la fièvre, nous ne pouvons pas consulter un médecin »
Les pénuries vitales de médicaments et d’équipements essentiels sont une préoccupation majeure au Sri Lanka, alors que le pays s’enfonce dans la crise économique. Qu’il s’agisse de pénuries de gaze, d’antibiotiques intraveineux et d’insuline, ou de demandes de réutilisation de cathéters ou de tubes endotrachéaux, les derniers mois ont été marqués par d’énormes difficultés au niveau du système de santé sri-lankais.
Un agent de santé a déclaré à Amnesty International : « Les infirmières font des prises de sang sans porter de gants. C’est dangereux pour elles comme pour les patients. »
Dans certains cas, il est conseillé aux personnes ayant besoin de fournitures médicales ou de médicaments d’en acheter dans des pharmacies privées, car les hôpitaux publics n’en ont plus.
Un médecin a indiqué : « Le problème est que tout le monde ne peut pas se le permettre. Ceux qui ne peuvent pas en acheter rentrent chez eux, et reviennent par la suite dans un état de santé dégradé. »
Par ailleurs, du fait des pénuries de carburant, les transports sont indisponibles ou extrêmement coûteux, ce qui rend difficile, voire impossible, l’accès aux services de santé, en particulier pour les membres de la communauté tamoule Malaiyaha, qui vivent et travaillent dans des plantations historiquement mal desservies par les services essentiels.
Selon Padam, membre de cette communauté, emmener sa mère à l’hôpital le plus proche qui se trouve à 15 kilomètres est un parcours du combattant. « Avant la crise, j’utilisais mon véhicule personnel. En raison de la pénurie de carburant, c’est devenu plus difficile. Il y a les transports publics, mais ils sont désormais bondés et des personnes comme ma mère ne peuvent pas le faire parce qu’elle [est] très âgée. Le prix des tickets a également augmenté massivement... Si nous avons de la fièvre, nous ne pouvons pas consulter un médecin. Nous prenons un Panadol [paracétamol] pour nous soigner. »
Le personnel de santé et les ambulances sont également impactés par les pénuries de carburant. Un médecin a déclaré : « Les gens ne peuvent pas venir travailler parce qu’ils sont bloqués dans les files d’attente pour remplir leur réservoir... J’ai vu des ambulances stationnées devant des stations-service pendant des heures pour avoir du carburant. »
« Certains jours, nous ne mangeons pas du tout »
Du fait de la hausse des prix due à l’inflation et de la baisse des revenus des ménages, il est de plus en plus difficile de satisfaire ses besoins alimentaires de base.
Plusieurs personnes interrogées ont fait part de leur inquiétude, car leurs enfants ne mangent pas à leur faim. Aruni, qui a trois enfants, a expliqué : « Si nous préparons le déjeuner, nous n’avons pas de dîner, et si nous n’avons pas de dîner, alors il n’y a rien non plus pour le petit-déjeuner. Certains jours, nous ne mangeons pas du tout. »
Selon des employé·e·s d’organisations de la société civile, le montant des fonds alloués par le gouvernement pour les repas des cantines scolaires n’est plus suffisant pour acheter de la nourriture pour chaque enfant.
Savita, femme tamoule Malaiyaha âgée de 39 ans qui travaille dans une plantation de thé, a déclaré : « Le mois dernier, nous n’avons pas mangé un seul repas pendant deux jours parce que nous n’avions rien à cuisiner. Mes enfants ne peuvent pas comprendre les problèmes... Quand ils ont faim, ils demandent des repas, et parfois pleurent pour avoir à manger. »
Il faut accorder la priorité aux droits humains
Le gouvernement du Sri Lanka, les États donateurs et les institutions financières internationales mettent en place des programmes et des réformes économiques pour faire face à la crise. Les autorités sri-lankaises et les États donateurs doivent s’assurer qu’ils respectent leurs obligations en vertu du droit international relatif aux droits humains en garantissant les droits à la santé et à une alimentation adéquate dans tous les accords d’aide.
Le gouvernement et les institutions financières internationales doivent également réaliser des études d’impact sur les droits humains avant de mettre en œuvre des réformes économiques ; on ignore si ces études ont déjà été réalisées ou le seront.
Les autorités sri-lankaises discutent actuellement avec les créanciers de la restructuration de la dette du pays. Toutes les options d’allègement de la dette doivent être envisagées, y compris l’annulation totale, qui permettrait au gouvernement d’accroître les investissements publics dans les systèmes essentiels de santé et de protection sociale.
Un accord d’allègement de la dette ne doit pas compromettre la capacité du Sri Lanka à s’acquitter de ses obligations en termes de droits humains. Quant aux réformes des systèmes de protection sociale, elles doivent être menées dans la transparence et en consultation réelle avec ceux qui seront affectés par ces changements. Le gouvernement doit explorer toutes les options permettant d’accéder au maximum de ressources disponibles afin de remplir ses obligations en matière de droits humains, notamment en mettant en œuvre une réforme fiscale progressiste basée sur la redistribution.
« La crise économique a des conséquences dévastatrices pour les Sri-Lankais, car beaucoup ne sont pas en mesure de garantir que leurs enfants aient suffisamment à manger ou que leurs proches malades puissent bénéficier de soins. Afin de transformer ce quasi-effondrement en une avancée, les autorités doivent placer les droits humains au cœur de leur réponse à la crise et faire en sorte que tous les habitant·e·s du pays puissent bénéficier des systèmes de protection sociale, a déclaré Sanhita Ambast.
« La communauté internationale doit apporter tout le soutien financier et technique possible au Sri Lanka, tout en prenant des mesures visant à protéger les groupes marginalisés contre des préjudices disproportionnés. »
Complément d’information
La crise économique au Sri Lanka trouve ses racines dans les politiques gouvernementales menées depuis plusieurs décennies, mais aussi dans la pandémie de COVID-19, qui a porté un coup à l’économie du pays en supprimant des sources vitales de revenus liées au tourisme, tandis que les envois de fonds des travailleurs·euses expatriés ont chuté.
En mars 2022, le gouvernement s’est retrouvé à court de devises étrangères, dont il avait besoin pour importer des produits essentiels comme le carburant et les médicaments. Cela a contribué à la hausse des taux d’inflation, à la flambée des prix des produits de première nécessité, au rationnement de l’approvisionnement en électricité et aux longues files d’attente pour le carburant. En mai 2022, pour la première fois, le Sri Lanka n’a pas honoré le remboursement de sa dette.
Face à la détérioration de la situation, des milliers de manifestant·e·s sont descendus dans la rue, demandant au gouvernement d’assumer la responsabilité de la crise. Les autorités sri-lankaises ont choisi de réagir durement, infligeant aux manifestant·e·s de graves violations des droits humains dont Amnesty International avait déjà rendu compte.
*Tous les noms ont été modifiés afin de protéger l’identité des personnes interrogées.