Ces personnes qui vivent dans la peur de subir de nouvelles attaques, dans un contexte de montée des violences visant les musulmans, se trouvent actuellement dans un poste de police et des centres communautaires surpeuplés qui ont été mis à leur disposition, de façon temporaire et dans un geste de bonne volonté, pour les héberger. Les conditions sont très difficiles, il leur manque des lieux pour pouvoir dormir et se laver correctement, et elles n’ont pas accès aux installations sanitaires nécessaires ni aux soins de santé dont elles ont besoin pour les maladies qui prolifèrent dans ces abris de fortune.
Ces réfugiés et demandeurs d’asile ont été pris pour cible par des foules qui leur en veulent pour les attentats du 21 avril, qui ont visé trois églises et trois hôtels et causé la mort de plus de 250 personnes. Beaucoup appartiennent à des minorités religieuses persécutées d’Afghanistan, d’Iran et du Pakistan, et disent revivre les horreurs qui les avaient à l’origine contraints à fuir leur propre pays.
« Ce sont des personnes qui ont maintenant été spoliées à deux reprises à cause de leur origine. Elles avaient espéré trouver la sécurité au Sri Lanka après avoir fui les violences sectaires dans leurs propres pays. Elles sont maintenant confrontées à ces mêmes craintes qui les avaient forcées à venir s’installer ici, et qui les empêchent de quitter les lieux où elles se sont réfugiées et où les conditions d’existence sont très difficiles, a déclaré Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Le gouvernement sri-lankais a la responsabilité de veiller à ce que ces personnes soient immédiatement rétablies dans leur dignité. »
« Le gouvernement sri-lankais a la responsabilité de veiller à ce que ces personnes soient immédiatement rétablies dans leur dignité. Elles ont besoin de sécurité pour être protégées, de nourriture pour pouvoir manger et de médecins pour soigner leurs problèmes de santé nécessitant des soins urgents, d’endroits où elles puissent dormir confortablement et dans des conditions respectant leur intimité, et de lieux propres où les femmes et les hommes puissent, séparément, se laver et utiliser des installations sanitaires. »
Figurent parmi ces réfugiés et demandeurs d’asile, des ahmadis, des chiites et des chrétiens du Pakistan, des chiites hazaras d’Afghanistan, ainsi que des réfugiés politiques venus d’Iran et du Pakistan.
Au Pakistan, les ahmadis font officiellement l’objet d’une discrimination inscrite dans la législation du pays, et de violences commises par des groupes armés. Les chrétiens du Pakistan sont pris dans les rets de lois sur le blasphème coercitives et rédigées en termes vagues, et certains ont été victimes de violences commises par des foules. En Afghanistan, des groupes armés sectaires ont à maintes reprises pris pour cible les chiites hazaras, notamment le groupe qui se fait appeler « État islamique ».
Attaques commises à la suite des massacres du dimanche de Pâques
À partir du 22 avril 2019, des groupes de jeunes hommes parfois armés ont commencé à aller de maison en maison dans le secteur de Negombo, à la recherche de réfugiés et de demandeurs d’asile venant de pays majoritairement chrétiens, pour les expulser. Les réfugiés et demandeurs d’asile ont indiqué qu’ils avaient jusque-là vécu de façon paisible dans ce secteur, ne se heurtant qu’occasionnellement à des manifestations d’hostilité.
L’atmosphère a toutefois changé à la suite des attentats du dimanche de Pâques, qui ont notamment visé l’église Saint-Sébastien de Negombo, et cette seule attaque a coûté la vie à plus de 100 personnes. Des réfugiés et des demandeurs d’asile ont dit à Amnesty International qu’une rumeur s’est propagée dans le secteur de Negombo, selon laquelle les attentats étaient imputables à des Pakistanais, ce qui a déclenché de violentes émeutes motivées par la volonté de représailles.
« Un groupe d’hommes est venu, et certains d’entre eux avaient des bâtons dans lesquels ils avaient planté des clous. Certains étaient souls. Ils ont dit que nous étions des Pakistanais et que nous avions deux heures pour quitter le secteur. Nous avons expliqué que nous étions aussi des catholiques, comme les victimes qui ont été tuées dans l’église. Ils ont répondu : "ça n’a aucune importance, vous êtes tout de même des Pakistanais. Vous devez partir." »
« Un groupe d’hommes est venu, et certains d’entre eux avaient des bâtons dans lesquels ils avaient planté des clous. Certains étaient souls, a indiqué à Amnesty International Naseem John, un Pakistanais catholique âgé de 57 ans originaire de Karachi. Ils ont dit que nous étions des Pakistanais et que nous avions deux heures pour quitter le secteur. Nous avons expliqué que nous étions aussi des catholiques, comme les victimes qui ont été tuées dans l’église. Ils ont répondu : "ça n’a aucune importance, vous êtes tout de même des Pakistanais. Vous devez partir." »
Les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires d’Afghanistan et du Pakistan ont dit à Amnesty International que dans plusieurs cas, les propriétaires de leur logement sont intervenus et ont demandé à ces foules de ne pas attaquer leurs locataires, et ensuite ils ont aidé leurs locataires à partir. Des femmes ahmadies ont dit qu’elles ont dû partir, dans un mouvement de panique soudain, et qu’à cause de la peur elles n’ont même pas pu emporter leurs foulards ni les autres pièces de vêtement à caractère religieux.
Les familles ont reçu des messages de la communauté leur conseillant de se rendre aux postes de police et aux lieux de culte qu’elles connaissaient. De nombreuses familles ont dit qu’elles ont eu du mal à trouver un moyen de transport, car de nombreux taxis ont refusé de les prendre, parfois sur l’insistance des émeutiers.
« Quand j’ai dû quitter ma maison à Negombo, j’ai beaucoup pleuré, a indiqué Nargis Alizada, une réfugiée chiite hazara originaire d’Afghanistan. Cela m’a rappelée à la dure réalité de notre situation : nous ne sommes en sécurité ni dans notre pays ni ici. Je me sens vulnérable et insignifiante. »
Le 25 avril 2019, une foule d’une centaine de personnes, comprenant des moines bouddhistes, s’est rassemblée devant l’un des abris temporaires dans lesquels les réfugiés et demandeurs d’asile s’étaient mis en sécurité.
Les émeutiers ont crié des menaces et lancé des pierres, dont certaines ont atterri sur le terrain du centre communautaire et même percuté le bâtiment où les femmes et les enfants étaient abrités, ce qui a davantage encore traumatisé ces personnes.
« Ma fille n’arrête pas de trembler et elle a de la fièvre depuis jeudi, le jour où il y a eu une émeute dehors et où ils ont lancé des pierres sur nous. Elle n’arrête pas de dire "Est-ce que c’est les mêmes hommes méchants [qu’au Pakistan] ?" », a indiqué Afiya Aslam, une musulmane ahmadie dont la famille s’est enfuie du Pakistan à la suite des attaques commises contre leur mosquée à Dhumial, dans le district de Chakwal, en décembre 2016.
Crainte de nouvelles attaques
En raison des événements qui ont eu lieu depuis le 21 avril 2019, un grand nombre des réfugiés et demandeurs d’asile concernés ont peur et n’osent pas sortir de leurs abris temporaires, et certains pensent même qu’ils ne sont plus en sécurité au Sri Lanka.
« Nous nous sentons en sécurité ici [dans le poste de police], mais nous avons trop peur pour sortir. La police a dit qu’elle pouvait nous protéger ici, mais pas dehors », a déclaré Habib-ur-Rehman, un demandeur d’asile pakistanais âgé de 35 ans.
L’agence des Nations unies chargée des réfugiés n’a jusqu’à présent pas réussi à réinstaller dans d’autres régions du Sri Lanka certains des réfugiés et demandeurs d’asile. On les a refusés à trois reprises.
Un bus a emmené certaines de ces personnes jusqu’à Colombo, mais la police ne les a pas autorisées à sortir du véhicule. Dans un autre cas, certains réfugiés et demandeurs d’asile ont été invités à se réfugier dans une église, mais ils ont été confrontés à une foule en colère incluant des moines bouddhistes.
Le 8 mai, dans la ville d’Ambalantota, des manifestants ont protesté contre la présence des réfugiés et demandeurs d’asile.
En raison des événements qui se sont produits depuis le massacre du dimanche de Pâques, les réfugiés et demandeurs d’asile craignent pour leur sécurité au Sri Lanka, et ils comparent cette situation aux faits qui les ont déjà forcés à fuir leurs pays.
« Avant, c’était un pays paisible, mais ça a changé, a expliqué Nobil John, un Pakistanais catholique âgé de 27 ans originaire de Karachi. Nous voulons être en sécurité. Nous ne pouvons pas retourner [au Pakistan], et nous ne pouvons plus rester ici. Si [des groupes armés] peuvent attaquer des gens, qui viendra nous défendre ? Nous voulons aller dans un endroit, quel qu’il soit, où nous pourrons vivre paisiblement et dignement. »
Abris surpeuplés et absence d’hygiène
Les abris temporaires où les réfugiés et demandeurs d’asile sont allés se mettre en sécurité sont surpeuplés, les conditions sont insalubres et ils n’ont pas d’accès fiable aux services de base. Ils dorment par terre, n’étant protégés du sol que par une fine bâche en plastique ou un simple drap, et n’ont même pas suffisamment de place pour pouvoir se retourner. Ceux qui se trouvent dehors dorment sur des palettes en bois pour se mettre à l’abri des eaux pluviales.
Dans les postes de police et les centres communautaires, chaque famille signale qu’au moins un de ses membres est malade.
Les gens souffrent de la fièvre, d’infections, de maladies respiratoires ou de diarrhée, et aussi, en particulier les personnes âgées, d’hypertension. Il n’y a pas de centre médical à proximité de ces endroits, et les réfugiés et demandeurs d’asile ne peuvent pas s’aventurer seuls à l’extérieur. Des médecins se rendent dans ces abris temporaires, mais seulement de façon ponctuelle. Un groupe d’hommes pakistanais a indiqué à Amnesty International qu’ils avaient été confrontés à l’hostilité du personnel de l’hôpital de Negombo.
Une femme a été forcée d’accoucher dans l’abri temporaire où elle séjournait, avant l’arrivée d’une équipe médicale. D’autres femmes ont essayé de l’aider à accoucher, mais aucune d’entre elles ne savait comment faire ni ne disposait des fournitures médicales nécessaires pour un accouchement. On dénombre au moins 15 femmes enceintes parmi ces réfugiés et demandeurs d’asile.
Dans un de ces lieux où plus de 600 musulmans ahmadis se sont réfugiés, une femme courrait partout à la recherche d’une personne capable d’aider sa fille qui souffrait de diarrhée. « Ma fille est complètement déshydratée », a-t-elle expliqué à Amnesty international.
Dans le poste de police où plus de 180 personnes se sont réfugiées, les femmes ne peuvent avoir aucune intimité. La nuit, elles sont contraintes de dormir dehors, en n’ayant qu’une simple bâche pour se protéger, et près d’hommes qu’elles ne connaissent pas. Durant la journée, cela les met mal à l’aise de s’étendre ou de se reposer alors que des hommes circulent autour d’elles. Les mères allaitantes disent qu’elles n’ont aucun endroit privatif pour allaiter leurs bébés.
Des musulmanes ahmadies, dont beaucoup sont pratiquantes, ont indiqué à Amnesty International qu’elles sont préoccupées par l’interdiction du port du niqab (voile intégral), qui a été instaurée par le gouvernement sri-lankais après les attentats du dimanche de Pâques.
Les femmes et les hommes sont contraints d’utiliser le même cabinet de toilette ou deux petites salles d’eau – comprenant une douche et un w.c. – au poste de police. Il n’y a pas d’installations séparées.
Pendant la journée, les températures dépassent les 30°C et ces personnes sont contraintes de s’assoir sous le soleil sans aucune protection et au milieu de nuées de moustiques. Quand il pleut, elles ont du mal à rester au sec, car le niveau de l’eau qui ruisselle sur le sol monte et submerge les endroits où elles dorment.
La pluie s’accompagne d’autres dangers. Dans un endroit, les gens ont dit avoir dû repousser des serpents et des porcs-épics qui avaient envahi leurs abris. Certains des réfugiés et demandeurs d’asile ont contracté des infections cutanées.
De nombreuses familles ont dit qu’elles n’avaient pas les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école ; les enfants qui peuvent aller à l’école ont eux subi une interruption de leur scolarité.
Des musulmanes ahmadies, dont beaucoup sont pratiquantes, ont indiqué à Amnesty International qu’elles sont préoccupées par l’interdiction du port du niqab (voile intégral), qui a été instaurée par le gouvernement sri-lankais après les attentats du dimanche de Pâques.
Au Sri Lanka, les musulmans ahmadis pouvaient pratiquer leur culte librement, sans crainte de représailles. De nombreuses musulmanes ahmadies ont dit qu’à cause de l’interdiction du voile intégral, elles ne vont désormais plus pouvoir se montrer en public, y compris pour acheter des provisions pour leur famille.
Recommandations
Malgré cette épreuve, de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile ont dit à Amnesty International qu’ils ont compris ce qu’ont ressenti les Sri-Lankais à la suite de la tragédie du dimanche de Pâques ; ils ont expliqué qu’ils savent ce que c’est que d’être pris pour cible par des groupes armés en raison de l’appartenance religieuse.
« Nous compatissons à la douleur qu’éprouvent les Sri-Lankais. Nous subissons cela depuis 40 ans, a expliqué à Amnesty International Jawid Akram Nazari, un réfugié chiite hazara originaire d’Afghanistan. Nous sommes reconnaissants de l’aide que les gens nous ont apportée jusqu’à présent. J’espère que nous allons développer la culture de la tolérance et de l’acceptation de l’autre, et pouvoir vivre ensemble en paix […] Il faut nous traiter avec le respect et la dignité auxquels nous avons droit en tant qu’êtres humains. »
Amnesty International appelle le gouvernement sri-lankais à :
- 1. apporter la sécurité de façon effective à tous les réfugiés et demandeurs d’asile, où qu’ils se trouvent ;
- 2. réinstaller les réfugiés et demandeurs d’asile de façon transitoire dans des abris temporaires où ils seront protégés et où ils pourront vivre en sécurité et dignement ;
- 3. fournir immédiatement à ces personnes des soins médicaux, de la nourriture, des installations sanitaires, des abris temporaires adéquats et veiller à ce que les femmes et les filles, en particulier les femmes enceintes, aient accès à des soins de santé séparément et à des installations sanitaires séparées ;
- 4. veiller à ce qu’aucune personne réfugiée ou en quête d’asile ne soit renvoyée contre son gré dans son pays d’origine ou dans tout autre endroit où elle risque réellement de subir de graves violations des droits humains, car cela constituerait alors une violation du principe juridique international de non-refoulement.
Amnesty International demande au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés :
- 1. de traiter les demandes d’asile et les recours en tenant compte des besoins des personnes particulièrement exposées à un danger ;
- 2. d’allouer les ressources nécessaires aux opérations du HCR au Sri Lanka, y compris en ce qui concerne la mise à disposition d’agents chargés de la protection et d’interprètes et traducteurs.
Amnesty International demande à la communauté internationale :
- 1. d’accroître le nombre de réfugiés qui bénéficient d’une réinstallation depuis le Sri Lanka compte tenu de la situation actuelle de ces personnes, et d’accélérer la procédure de réinstallation ;
- 2. d’étudier les différentes possibilités permettant aux réfugiés et demandeurs d’asile de garantir leur avenir en dehors du Sri Lanka, y compris au moyen d’un parrainage citoyen, de visas d’études, de visas médicaux, de permis de travail et de visas d’urgence ou humanitaires.
« Le gouvernement sri-lankais et la communauté internationale ont la possibilité d’inverser immédiatement cette terrible situation s’ils en ont la volonté politique. Il ne s’agit en aucun cas d’un très grand nombre de réfugiés et demandeurs d’asile. Cela ne coûte pas grand-chose de leur apporter la sécurité dont ils ont besoin et de respecter leur dignité, a déclaré Biraj Patnaik.
« Les mesures nécessaires doivent être prises pour que le Sri Lanka puisse s’enorgueillir du traitement de cette situation. Mais si rien n’est fait, cette affaire risque de se transformer en une tragédie humanitaire qui déshonorera le Sri Lanka pour les années à venir. »