Vendredi au petit matin, une énorme opération a été menée conjointement par l’armée, la police et des forces spéciales pour évacuer les manifestant·e·s qui dormaient sous des tentes sur le site d’un mouvement de protestation pacifique qui s’est installé à Colombo au mois d’avril de cette année. Des manifestant·e·s ont été frappés et attaqués. L’accès à cette zone a été bloqué, ce qui a empêché les médias, les avocat·e·s et les militant·e·s de s’y rendre. Selon certaines informations, une cinquantaine de personnes ont été blessées et neuf ont été arrêtées.
« Amnesty International condamne avec la plus grande fermeté cette attaque menée avant l’aube par les forces de sécurité contre des manifestant·e·s pacifiques sur le site du mouvement de protestation « GotaGoGama » à Galle Face. Il s’agissait du principal site occupé par le mouvement de protestation contre le gouvernement, et ce mouvement a attiré l’attention du monde entier sur la situation très difficile de la population sri-lankaise du fait de la crise économique qui frappe le pays. Il est inadmissible que le nouveau gouvernement ait recouru à une telle violence quelques heures seulement après son arrivée au pouvoir. Il faut que le droit de manifester soit respecté. Toutes les charges retenues contre des personnes qui ont été arrêtées alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits doivent être immédiatement abandonnées, a déclaré Kyle Ward, secrétaire général adjoint d’Amnesty International.
« Les protestataires ont le droit de manifester pacifiquement. Les autorités sri-lankaises semblent recourir systématiquement à la force, à l’intimidation et aux arrestations illégales face à la contestation et aux rassemblements pacifiques. Ces mesures répressives sont cependant clairement contraires aux obligations du Sri-Lanka découlant du droit international relatif aux droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression. »
Les manifestant·e·s attaqués et maltraités
Vers une heure du matin, heure locale (19 h 30 TU jeudi), des militaires et des policiers en tenue antiémeute ont fait irruption sur le site du mouvement de protestation, frappant et attaquant sans discernement toutes les personnes qui se trouvaient sur leur chemin, et démantelant les tentes sous lesquelles dormaient les manifestant·e·s depuis plus de trois mois.
Tous les points d’accès au site de la manifestation avaient été bloqués en amont de cette opération des forces de sécurité. Selon les récits de témoins et selon les médias, l’armée a attaqué de nombreux manifestant·e·s, en particulier ceux qui essayaient de filmer ce qui se passait. Les soldats ont saccagé les tentes « les unes après les autres » sur la zone menant au Secrétariat présidentiel, et démantelé le site de la manifestation.
Un témoin interrogé par Amnesty International très tôt vendredi sur le site de l’attaque a déclaré : « Il y avait dans les 200 à 300 manifestant·e·s à ce moment-là, je pense. Soudain, [les forces] ont surgi [de derrière] les barricades et ont complètement saccagé les tentes. Il y avait suffisamment de policiers et de militaires pour remplir la zone. Les policiers, et tout particulièrement les militaires ont tabassé des manifestant·e·s pacifiques. »
« [Les soldats] ont commis ces actes sous l’effet de la colère. On a vu que certains des manifestant·e·s [qui avaient] participé [au mouvement de protestation] avaient apporté leurs guitares. On les a vus prendre ces guitares et les briser sur les barrières en fer. On les a vus frapper des gens [...] Cette répression a été violente. »
Dans des vidéos diffusées par les médias on voit aussi que des personnes/ manifestant·e·s non armés ont été attaqués par les forces de sécurité.
Aucune sommation
Les récits des témoins incitent à penser que personne ne s’attendait à cette attaque contre les manifestant·e·s et leurs tentes, même si des rumeurs avaient circulé sur l’éventualité d’une offensive. Les manifestant·e·s ont été pris par surprise, car ils ne comprenaient pas ce qui pouvait motiver une telle attaque. La police et les militaires n’ont pas lancé d’avertissement ni ordonné aux gens d’évacuer les lieux avant de s’en prendre à eux de façon très violente.
Une femme qui dormait sur le site de la manifestation au moment de l’attaque a dit à Amnesty International : « Vers 1 h 30 du matin, on a entendu [d’autres manifestant·e·s] crier et dire "Ils nous ont encerclés, ils nous ont encerclés, levez-vous, levez-vous". Quand je suis sortie, j’ai vu que de nombreux militaires se dirigeaient vers nous. Certains d’entre eux avaient couvert leur visage et on ne pouvait donc pas les reconnaître [...] Il n’y a eu aucune annonce [...] Ils ne [nous] avaient pas ordonné de partir. Soudain, ils ont commencé à taper sur les tentes autour de nous. Ils ont tapé sur les jeunes tout comme ils ont tapé sur les tentes. »
Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale sur ces faits. Les auteurs de ces violences et ceux qui ont ordonné cette attaque doivent être identifiés et amenés à répondre de leurs actes.
Les avocat·e·s et les médias privés d’accès au site
Le journal The Hindu a indiqué que vers trois heures du matin, quand la nouvelle de l’attaque a commencé à se propager, des médias et des militant·e·s se sont rendus sur les lieux mais qu’on les a empêchés d’accéder au site pendant l’attaque. Un membre des forces de sécurité posté sur Galle Road, un axe menant au site de la manifestation, aurait dit : « Personne ne passe. Pas même les médias et les avocat·e·s. »
Un journaliste de la BBC qui enregistrait des vidéos aurait été frappé par des militaires ; un soldat lui a pris son téléphone et les vidéos ont été effacées.
Des avocat·e·s qui voulaient intervenir à titre professionnel en ont aussi été empêchés par les forces de sécurité. Deux d’entre eux au moins ont été attaqués. Plusieurs journalistes et au moins un avocat auraient été arrêtés.
« Les autorités sri-lankaises doivent s’abstenir d’arrêter des personnes qui ont exercé leur droit de réunion pacifique à portée de vue et d’ouïe de la cible du mouvement de protestation. De plus, toute arrestation doit respecter les garanties d’une procédure régulière, notamment le droit de consulter sans délai un·e avocat·e. Amnesty International est très préoccupée par les violations des droits humains actuellement commises au Sri Lanka, les autorités recourant illégalement à la force et à des restrictions des déplacements pour tenter de réprimer la contestation », a déclaré Kyle Ward.
Attaques contre les tentes de moines, de manifestant·e·s sourds et muets et de soldats handicapés
Les forces de sécurité ont violemment démonté les tentes de manifestant·e·s qui avaient été installées sur le site de la manifestation, notamment les tentes de personnes sourdes et muettes et de soldats handicapés qui participaient depuis le mois d’avril au mouvement de protestation.
« Je les ai vus frapper des gens des deux côtés et arriver vers nous. Nous sommes partis en courant dans l’autre direction parce qu’ils nous pourchassaient [...] Le groupe des personnes sourdes et muettes était accompagné d’un très jeune interprète. Ce groupe se trouve généralement dans ce secteur. Personne ne sait ce qu’il leur est arrivé [...] personne ne les a retrouvés. Dans la tente des « héros de la guerre » il y avait un petit groupe de soldats handicapés, et il y avait aussi des moines, en face [...] Eux aussi ils ont reçu des coups », a raconté un témoin à Amnesty International.
La colère et la peur
Ranil Wickremesinghe a prêté serment jeudi en tant que président, l’ancien président Gotabaya Rajapaksa ayant fui le pays la semaine dernière. Le nouveau Premier ministre a prêté serment le 22 juillet. Après 100 jours de manifestation, les protestataires s’étaient engagés à évacuer certains secteurs du site de la manifestation vendredi. Or, les militaires ont violemment pris d’assaut le site de la manifestation pendant la nuit, moins de 24 heures après le changement de régime.
« Nous pensons que le gouvernement a mal agi en attaquant un mouvement de protestation pacifique », a déclaré un manifestant témoin des événements qui se sont produits vendredi matin.
Conjointement aux appels lancés à la communauté internationale pour qu’elle aide le Sri Lanka, Amnesty International demande aux autorités de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour protéger les droits des personnes manifestant pacifiquement à GotaGoGama, à Colombo, et ailleurs au Sri Lanka. Les charges visant tous les manifestant·e·s qui ont été arrêtés uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains doivent être abandonnées.
« Les autorités doivent pour l’heure apporter la justice et garantir l’obligation de rendre des comptes alors que le Sri Lanka vise à la stabilité avec la perspective d’une aide du FMI pour faire face à la crise économique. Amnesty International a à maintes reprises appelé les forces de sécurité à faire preuve de retenue dans le cadre des règlements d’exception adoptés dans le pays. Il est très préoccupant de constater qu’ils sont utilisés comme prétexte pour commettre de nouvelles violations des droits humains, et cela ne donne pas une bonne image du nouveau gouvernement sri-lankais. Il ne doit pas laisser passer l’occasion qui lui est offerte de partir sur de nouvelles bases et de mettre fin au cycle de la répression des droits des personnes, qui ne fait que nourrir la méfiance et la peur de la population au Sri Lanka. Le droit de manifester pacifiquement doit être protégé », a déclaré Kyle Ward.