Le Népal est à un moment de son histoire où il faut que les mécanismes de transition pour la vérité, la justice, la participation et la sécurité donnent des résultats

Déclaration publique

ASA 31/011/2007 (Public)

Le premier anniversaire de la signature de l’Accord de paix général offre l’occasion au gouvernement népalais de renouveler les engagements qu’il avait pris alors dans le domaine de la justice, de la sécurité, de l’égalité sociale, culturelle et économique et de la participation ; c’est aussi l’occasion pour le gouvernement d’enclencher les mécanismes établis en vertu de l’accord de paix pour atteindre ces objectifs. Amnesty International lance ce mardi 20 novembre une action de soixante jours pour engager tant le gouvernement du Népal que le Parti communiste népalais maoïste (CPN-M) à tenir les engagements qu’ils ont pris dans l’accord de paix.

L’accord de paix du 21 novembre 2006 a mis fin à une décennie de conflit armé au Népal entre les forces de sécurité et le CPN-M. L’accord évoquait un « nouveau Népal » et promettait la mise en place de mécanismes de transition pour procéder à une véritable transformation politique, sociale et économique du pays. Un parlement et un gouvernement provisoires, incluant 73 membres du CPN-M, ont été mis en place dès le mois d’avril 2007. Cependant, l’élection d’une assemblée constituante considérée comme cruciale dans l’établissement du « nouveau Népal » a été reportée à une date indéfinie. En outre, un conflit d’origine ethnique a vu le jour dans la zone méridionale du Teraï où des membres de plusieurs communautés madeshi militent pour mettre fin à des siècles de discrimination ; le Teraï a été le théâtre de grèves des transports et de manifestations violentes ; la violence intercommunautaire et la criminalité sont montées d’un cran, en particulier dans les zones urbaines .

Amnesty International est convaincue que si ce qui a été promis dans l’accord de paix dans le domaine de la justice, de la sécurité et de la participation n’est pas respecté, l’histoire récente et tragique du Népal risque de se répéter. Négliger ces promesses ce serait trahir les victimes de violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains ; parmi elles se trouvent les centaines de familles qui attendent toujours des nouvelles d’un proche disparu.

Les Népalais ont soif de justice après cette guerre qui a fait près de 13 000 morts, dont des milliers de civils tués par les forces de sécurité . Au moins 900 personnes ont disparu après avoir été arrêtées par les forces de sécurité. Le Parti communiste népalais maoïste est responsable quant à lui de plusieurs centaines d’homicides, d’enlèvements et d’actes de torture à l’encontre de personnes considérées comme opposées à sa cause . On est sans nouvelles d’environ 200 personnes détenues par le CPN-M .

La promesse d’une justice de transition

La "paix" que le Népal a atteinte à ce jour est temporaire, incomplète et très précaire. L’accord de paix dispose qu’il est nécessaire de s’occuper des violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains commises par le passé mais la mise en œuvre de cette disposition a été très problématique jusqu’à maintenant.

L’accord de paix promettait la mise en place de quatre mécanismes de transition en matière de justice :

• une commission pour la vérité et la réconciliation ;

• une commission pour la paix nationale et la réconciliation ;

• une commission d’enquête de haut niveau sur les citoyens disparus (Commission des disparitions) ;

• une commission de haut niveau chargée d’émettre des recommandations pour la reconstruction de l’État.

Certains mesures ont été prises mais aucun de ces mécanismes n’a été entièrement mis en place. De ce fait, les promesses qui avaient été faites de s’occuper des crimes commis pendant le conflit armé et de créer une société plus participative n’ont pas été honorées à ce jour.

Parmi les engagements figurant dans l’accord figurait celui de rendre publics dans les soixante jours suivant la date de signature de l’accord les noms de toutes les victimes de disparitions forcées et d’enlèvements et de toutes les personnes tuées pendant le conflit ; il était également prévu de dire aux familles la vérité sur ce qu’il était advenu de leurs proches. Le gouvernement a pris quelques mesures pour résoudre le problème des disparitions forcées. Cependant, la plupart des proches de personnes disparues ignorent toujours ce que sont devenus les êtres qui leur étaient chers.

Le 1er juin 2007, la Cour suprême a recommandé, dans une décision historique, que le Parlement crée une commission pour enquêter sur les disparitions forcées, en accord avec le droit international et les normes internationales .
Le gouvernement du Népal a alors créé une commission d’enquête de haut niveau chargée d’enquêter sur les disparitions forcées ayant eu lieu au Népal entre le 13 février 1996 et le 21 novembre 2006. Cependant, la Commission des disparitions a été créée en application d’une loi dont la Cour suprême a déjà établi qu’elle était loin d’être conforme aux normes internationales.

L’élaboration de la commission s’est faite sans consulter véritablement les proches de victimes et la société civile. Les membres de la commission ont bien été nommés mais la Commission des disparitions est accaparée par la résolution de différents et n’a toujours pas entamé ses travaux.

Un avant-projet de loi sur la Commission pour la vérité et la réconciliation a été publié par le gouvernement en juillet 2007. Son objectif était d’établir une commission chargée d’enquêter sur les « personnes impliquées dans des violations manifestes des droits humains et des crimes contre l’humanité pendant le conflit armé » .

Amnesty International a fait état dans un rapport de sa préoccupation au sujet de plusieurs aspects de la mise en place de cette commission . L’organisation est préoccupée principalement par les dispositions qui semblent permettre d’amnistier les auteurs de crimes de droit international et en particulier des centaines de disparitions forcées. En bout de ligne, l’avant-projet de loi reflètera ce qu’un ancien membre de la Commission des droits humains, SuShil Pyakurel, a décrit comme « la justice des vainqueurs », les deux parties au conflit voulant enterrer leurs secrets .

Impunité persistante

« Ni le gouvernement ni les Maoïstes n’ont fait preuve d’une intention quelconque d’enquêter sur les auteurs de violences et de les punir », a déclaré Mandira Sharma, à la tête d’Advocacy Forum, ONG active auprès des familles de victimes. Bien que le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires se soit intéressé à plusieurs cas de disparition, l’armée népalaise n’a pas coopéré jusqu’à maintenant aux enquêtes.

Citons le cas, par exemple, de l’arrestation arbitraire de Maina Sunuwar, torturée à mort à l’âge de quinze ans le 17 février 2004. Advocacy Forum fait la réflexion suivante au sujet de cette affaire : « À l’issue d’un pseudo procès en septembre 2005, un tribunal militaire a déclaré trois officiers coupables de négligence et de non respect de la procédure pour la prise en charge du corps de Maina ; ils ont été incarcérés pendant six mois. »

La disparition forcée d’au moins 46 prisonniers de l’unité Bhairab Nath (Maharajgunj) à Katmandou, en 2004, n’a également donné lieu à aucune enquête sérieuse malgré la publication d’un rapport du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies à ce sujet en mai 2006 .

L’avocat spécialisé dans les droits humains Jitman Basnet a été arrêté par l’armée en 2004 et détenu près de neuf mois dans les baraquements de l’unité Bhairab Nath à Katmandou, où il aurait été torturé. Son livre 258 Dark Days relate son expérience ainsi que celle que d’autres détenus lui ont racontée. Dans son livre, il donne les noms de soldats qui, selon lui, ont violé, torturé et tué des personnes pendant le conflit .

En dépit de récits de première main comme celui-ci, tous les acteurs de la justice pénale (y compris la police et le bureau du procureur général) font preuve de réticence au moment d’ouvrir des enquêtes criminelles, même lorsqu’une plainte a été déposée auprès de la police. Ni les forces de sécurité ni le PCN maoïste n’ont pris de mesures concrètes pour améliorer dans leurs rangs l’obligation de rendre des comptes.

Amnesty International est préoccupée par les violences dont se rendent actuellement coupables le Parti communiste du Népal maoïste et la Ligue des jeunes communistes. La Ligue se serait rendue coupable de plusieurs atteintes aux droits humains dont des enlèvements, des mauvais traitements infligés à des captifs, des atteintes à l’intégrité physique et mentale et l’interruption violente d’activités politiques.

Le Parti communiste népalais maoïste a reconnu publiquement sa responsabilité dans l’enlèvement et le meurtre du journaliste Birenda Kumar Sah le 5 octobre 2007, dans le district de Bara, dans le sud du pays. Cependant, au lieu de condamner les attaques de plus en plus nombreuses à la liberté d’expression par des groupes syndicaux affiliés aux maoïstes, le CPN-Maoïste a déclaré que l’incident était dû au caractère « individualiste » et « anarchiste » de cadres de rangs inférieurs du parti.

La fragilité du processus de paix incite certains analystes à souligner la nécessité de trouver un équilibre entre justice et sécurité. Les autres conflits ont montré cependant que la persistance de l’impunité contenait souvent en germe un nouveau conflit. Les responsables d’atteintes aux droits humains continuent souvent de commettre des violences s’ils pensent que leurs méfaits demeureront impunis.

Aujourd’hui, les auteurs de tortures, de disparitions forcées et d’homicides illégaux se promènent librement dans les rues du Népal tandis que les victimes sont toujours menacées et harcelées. Les groupes népalais de défense des droits humains n’ont pas renoncé à obtenir justice et certaines des victimes, dont Jitman Basnet, continuent de demander ouvertement que les auteurs des violations commises par le passé soient déférés à la justice. Au cours des soixante prochains jours, les membres d’Amnesty International vont écrire aux familles des personnes qui sont toujours portées disparues pour leur exprimer leur solidarité. Le gouvernement doit les écouter et agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

Recommandations

• il faut que soit appliquée la décision du 1er juin 2007 de la Cour suprême demandant la création d’une commission d’enquête efficace, indépendante et impartiale pour déterminer le sort de toutes les personnes ayant « disparu », conformément au droit international et aux normes internationales ;

• le gouvernement népalais et le CPN-Maoïste doivent immédiatement rendre accessibles aux familles et à tout organe indépendant et impartial enquêtant sur les violations des droits humains les informations dont ils disposent sur les personnes ayant disparu, comme le prévoit l’accord de paix ;

• les autorités népalaises doivent veiller à ce que toutes les victimes de graves violations du droit humanitaire et relatif aux droits humains reçoivent réparation sous forme de restitution, indemnisation, réadaptation et réhabilitation, assorties de garanties de non-répétition ;

• toute loi prévoyant la création d’une commission pour la vérité et la réconciliation doit prévoir une consultation générale de toutes les parties concernées : organisations de la société civile, népalaises et internationales ; victimes ; défenseurs des droits humains ; membres des minorités et des groupes vulnérables ; etc.

• toute loi prévoyant la création d’une commission pour la vérité et la réconciliation doit exclure toute amnistie ou autre mesure permettant aux auteurs de violations d’échapper à la justice ; l’établissement et la diffusion de la vérité sur les violations au Népal devraient venir en complément des poursuites engagées contre les personnes soupçonnées de violations, dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité ;

• le gouvernement devrait ratifier le Statut de la Cour pénale internationale.

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