Les droits humains doivent être la pierre angulaire de la Constitution tunisienne

Amnesty International exhorte l’Assemblée nationale constituante, qui se réunit mardi 22 novembre pour la première fois afin de rédiger la nouvelle Constitution de la Tunisie, à remédier aux lacunes de l’ancien texte de loi et à intégrer des garanties concernant les droits fondamentaux de la personne humaine.

L’Assemblée nationale constituante doit, avant tout, prendre en compte les obligations qui incombent à la Tunisie au regard des traités internationaux relatifs aux droits humains, en particulier en ce qui concerne la suprématie du droit international relatif aux droits humains sur le droit national, le principe de non-discrimination, la protection des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, l’indépendance de la justice, les protections juridiques au sein du système pénal, la protection contre la torture et les autres formes de mauvais traitements, le droit à la vie et la protection des droits économiques, sociaux et culturels.

L’ancienne Constitution tunisienne, suspendue le 23 mars 2011, ne protégeait pas les droits fondamentaux ni les libertés essentielles des Tunisiens. Les opposants politiques, les militants et les défenseurs des droits humains, toutes les voix dissidentes en fait, étaient impitoyablement réprimés et en butte aux arrestations et aux détentions arbitraires. Loin d’être des institutions protégeant les droits des citoyens, les services de sécurité et le système judiciaire faisaient partie de l’appareil répressif des autorités. Les conditions carcérales et le traitement réservé aux détenus étaient notoirement mauvais. Des lois étaient adoptées en vue de réprimer plutôt que de protéger les Tunisiens.

La torture était monnaie courante, l’impunité généralisée ; le discours relatif à la lutte antiterroriste servait à justifier les atteintes aux droits humains. Tandis que d’aucuns louaient le « miracle économique » de la Tunisie, les syndicalistes étaient incarcérés et de larges catégories de la population étaient privées d’un accès minimum aux droits économiques, sociaux et culturels.

• En premier lieu, la nouvelle Constitution doit préserver la suprématie du droit international sur le droit national et veiller à ce que les droits humains consacrés dans les traités internationaux auxquels la Tunisie est partie aient force de loi devant une cour de justice.

• Il importe de garantir l’indépendance de la justice, particulièrement vis-à-vis du pouvoir exécutif, notamment grâce aux garanties qui protègent les juges des pressions et des tentatives d’ingérence. Le principe d’inamovibilité doit être adopté. En outre, la Constitution doit clairement préciser que les juges seront nommés en fonction de leurs compétences et qualifications, sans aucune forme de discrimination hostile.

• L’Assemblée nationale constituante doit garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique et veiller à ce que ces droits soient uniquement restreints dans les limites imposées par le droit international et les normes internationales.

• Il importe d’interdire la discrimination en s’appuyant clairement sur le droit international, qui prohibe toute discrimination fondée sur la race, la couleur de la peau, le sexe, la langue, la religion, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les opinions politiques ou autres, l’origine géographique ou sociale, les biens, la naissance ou toute autre situation. En outre, Amnesty International recommande à l’Assemblée nationale constituante d’inclure une disposition indiquant sans ambiguïté que les femmes et les hommes jouissent des mêmes droits en droit et en pratique, et des mêmes opportunités dans la sphère politique, économique, culturelle et sociale.

• Afin de garantir l’équité des procès et de mettre fin à l’impunité, il faut renforcer les protections juridiques existantes et les définir dans la nouvelle Constitution, en vue d’assurer la mise en œuvre des garanties nécessaires. Au regard du poids historique de l’impunité en Tunisie, la Constitution doit préciser qu’aucun membre des services de sécurité ne sera autorisé à agir au-dessus des lois et inclure d’autres garanties, telles que la présomption d’innocence, le droit de consulter un avocat, le respect des normes internationales en matière de conditions de détention, le droit d’être informé sur-le-champ du motif d’une arrestation, le droit de contester sans délai la légalité d’un placement en détention, le recours exclusif aux tribunaux civils pour juger les civils, le droit de l’accusé à disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense, l’irrecevabilité des preuves extorquées sous la torture ou toute autre forme de mauvais traitements, le droit de faire appel et de recevoir des réparations pour toute arrestation illégale. Par ailleurs, la nouvelle Constitution doit offrir des protections afin de venir à bout de l’impunité et de garantir l’obligation de rendre des comptes pour les responsables présumés de violations des droits humains.

• Il importe d’inscrire la prohibition absolue de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les dispositions doivent souligner le caractère absolu et non susceptible de dérogation du droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, et préciser que les preuves extorquées sous la torture ou d’autres mauvais traitements ne sont jamais recevables.

• La nouvelle Constitution doit garantir le droit à la vie et interdire le recours à la peine de mort en tant que châtiment, quel que soit le crime commis. Amnesty International estime que la peine de mort doit être abolie, car elle bafoue le droit à la vie et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. Il est impossible pour un pays de respecter pleinement les droits humains tout en condamnant des citoyens à la peine capitale.

• Enfin, il convient de garantir les droits économiques, sociaux et culturels, notamment en prévoyant un niveau essentiel minimum d’exercice de ces droits et en assurant la non-discrimination dans l’accès aux services publics de base. En outre, il faut faire appliquer le droit des travailleurs et des syndicats et offrir la possibilité aux victimes de violations des droits économiques, sociaux et culturels, d’avoir accès à des recours utiles.
Il faudra bien plus qu’une nouvelle Constitution pour prévenir efficacement les atteintes aux droits humains en Tunisie. Mais une Constitution qui consacre les droits fondamentaux et les libertés est un instrument puissant pour y parvenir. Ultime garant des droits des Tunisiens, elle permettra de guider les institutions et les représentants de l’État.

Complément d’information

Le président tunisien intérimaire a promulgué un décret le 23 mars qui suspend la Constitution de 1959 jusqu’à l’élection d’une Assemblée nationale constituante, chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de nommer un nouveau gouvernement. Aux termes de ce décret :
« Considérant que la situation actuelle de l’Etat, après la vacance définitive de la Présidence de la République le 14 janvier 2011 […] ne permet plus le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et que la pleine application des dispositions de la constitution est devenue impossible.
Article premier - Jusqu’à ce qu’une assemblée nationale constituante, élue au suffrage universel, libre, direct et secret selon un régime électoral pris à cet effet, prenne ses fonctions, les pouvoirs publics dans la République Tunisienne sont organisés provisoirement conformément aux dispositions du présent décret-loi
. »

Les membres de l’Assemblée nationale constituante ont été élus lors d’élections nationales le 23 octobre.
Depuis que l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali a été chassé du pouvoir, le gouvernement intérimaire a ratifié plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits humains, notamment le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ils ont tous été publiés dans le Journal officiel le 22 février 2011.

Le gouvernement intérimaire a également retiré les réservations formulées au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Des modifications ont été apportées à des lois nationales, notamment celles régissant la presse et les documents audiovisuels, ainsi que la Loi relative aux associations et la Loi contre la torture. Amnesty International salue ces évolutions, qui illustrent une avancée dans la bonne direction – même s’il reste encore beaucoup à faire pour que les droits humains soient la pierre angulaire de la Tunisie de demain.

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