Les droits humains doivent être une priorité pour les négociations de Genève

Communiqué de presse conjoint

21 février 2017

Les participants aux négociations de paix sur la Syrie qui reprennent sous l’égide de l’ONU le 23 février 2017 à Genève, doivent accorder un haut niveau de priorité à cinq points majeurs en matière de droits humains, ont déclaré le 21 février 40 organisations spécialisées dans la défense des droits humains ou d’autres questions. Ces priorités sont les suivantes : mettre fin aux attaques illégales ; garantir l’accès à l’aide humanitaire et la sécurité pour les civils qui s’enfuient ; les droits des détenus ; la justice ; et la réforme du secteur de la sécurité.

Il va être nécessaire, pour garantir le respect et la promotion des droits humains durant les phases de transition et d’après-conflit, d’introduire des modifications essentielles dans la législation et dans la Constitution afin d’inscrire dans la loi la protection des droits, ont déclaré ces organisations. Il s’agit notamment d’introduire dans la Constitution une disposition prévoyant que la Syrie est tenue de respecter toutes les lois et tous les traités internationaux qui ont été ratifiés. La transformation de la Syrie en un État respectueux des droits humains et de l’état de droit doit être un processus mené par la Syrie elle-même, avec des réformes transparentes découlant de consultations locales.

Les autres pays participant aux réunions organisées par l’ONU à Genève doivent user de leur influence sur les parties au conflit en Syrie pour garantir que les droits fondamentaux des Syriens soient bien inclus dans la liste des points examinés.

L’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, Staffan de Mistura, a expliqué que les négociations porteront sur des points reflétant les objectifs mis en avant dans la Résolution 2254 de décembre 2015. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité exprime son soutien pour la mise en place d’un gouvernement inclusif et non sectaire, la rédaction d’une nouvelle constitution, et des élections libres et équitables. Il insiste en outre sur la nécessité de « surveiller et vérifier le cessez-le-feu et mettre en place un mécanisme de communication des informations » ; appelle les parties à faciliter la distribution sans entraves de l’aide humanitaire et la remise en liberté de toute personne détenue arbitrairement ; et exige qu’il soit mis fin aux attaques contre les populations ou les biens civils ainsi qu’à l’usage des armes frappant sans discernement.

Mettre fin aux attaques illégales

Pendant que les parties aux négociations s’efforcent de parvenir à un accord de paix, tout accord de transition doit explicitement prévoir que les parties au conflit doivent respecter les lois de la guerre durant toute poursuite des combats. Tout accord doit inclure l’engagement du gouvernement syrien et des forces russes de cesser immédiatement d’utiliser des armes frappant sans discrimination telles que les armes à sous-munitions et les armes incendiaires, et de mettre fin aux attaques menées sans discrimination dans des zones habitées par des civils, et aux autres attaques illégales.

Les forces de l’opposition doivent aussi accepter de mettre fin aux attaques menées sans discrimination et aux autres attaques illégales, notamment aux attentats à la voiture piégée et aux tirs de mortier sur des zones civiles se trouvant sous le contrôle des forces gouvernementales. La coalition menée par les États-Unis doit prendre toutes les précautions nécessaires pour réduire au minimum les dommages causés aux civils et aux infrastructures civiles, et doit veiller à ce que les informations dignes de foi faisant état de victimes civiles donnent lieu à des enquêtes efficaces et impartiales et à ce qu’il en soit rendu compte publiquement.

Malgré le cessez-le-feu de fin décembre 2016, des attaques illégales continuent d’être menées, notamment à Wadi Barada, non loin de Damas, à Idlib et ailleurs encore dans le pays. Très tôt le matin du 1er février, le bâtiment du Croissant-Rouge syrien à Idlib a été touché par une frappe aérienne qui a blessé le directeur de ce centre et gravement endommagé le bâtiment. Le 10 février, l’UNICEF a signalé qu’au moins 20 enfants avaient été tués dans des violences à Idlib, Al Zahraa, et à Al Waer, un quartier de Homs, ainsi que dans la Ghouta orientale, près de Damas.

Compte tenu des crimes de guerre et des violations massives et systématiques des droits humains commis de façon répétée par le gouvernement syrien, y compris avec une utilisation d’armes illégales, tous les États, y compris ceux qui participent aux négociations, doivent s’engager à cesser de transférer tout type d’armes, d’équipements connexes et de soutien logistique au gouvernement syrien jusqu’à ce que les abus cessent et jusqu’à ce que les responsables soient amenés à rendre des comptes. Les États doivent également cesser de fournir un tel soutien aux groupes d’opposition armés responsables de crimes de guerre ou d’atteintes aux droits humains massives et systématiques.

La coalition menée par les États-Unis doit pleinement tenir compte du fait que la coalition formée par la Syrie et la Russie a commis de façon répétée des crimes de guerre sous couvert de lutte contre le terrorisme, et veiller à ce que toute coopération avec la Russie pour combattre État islamique (EI) en Syrie n’entraîne pas la participation à de tels crimes.

Accès à l’aide humanitaire et évacuation en toute sécurité pour les civils

Aux termes du droit international humanitaire, toutes les parties à un conflit armé sont tenues de faciliter la fourniture rapide et sans entraves de l’aide humanitaire à tous les civils qui en ont besoin, et de permettre aux civils de quitter librement une zone en état de siège. Il est interdit d’affamer la population civile en tant que méthode de guerre. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), en Syrie, 4,9 millions de personnes vivent dans des zones en état de siège ou difficiles d’accès. Les populations dans ces zones souffrent des bombardements, d’un manque d’aide humanitaire, de nourriture, d’eau et de soins médicaux.

Les forces gouvernementales et progouvernementales ainsi que les groupes d’opposition armés continuent d’assiéger des zones civiles, et la distribution de l’aide humanitaire continue d’être bloquée, malgré le cessez-le-feu. Les conditions de vie dans les zones assiégées par les forces gouvernementales et progouvernementales se sont rapidement dégradées, ce qui a obligé les civils à quitter ces secteurs.

Selon l’OCHA, 4 millions de personnes à Damas et dans ses environs ont été privées d’eau potable, qui provenait de Wadi Barada et d’Ain el Fijah, alors sous le contrôle de l’opposition, « les infrastructures ayant été délibérément prises pour cible et endommagées ». Bellingcat, une organisation de citoyens journalistes d’investigation qui a enquêté sur les dommages subis par le système d’alimentation en eau, a conclu que « le scénario le plus probable est que le régime a été responsable des dommages subis par le système alimentation en eau de source. » La population civile de Damas a été privée d’eau potable pendant plusieurs semaines alors que les parties au conflit s’accusaient mutuellement de ces faits et négociaient un accord pour réparer les conduites d’alimentation.

En février 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la Résolution 2139 concernant la distribution de l’aide humanitaire, appelant toutes les parties au conflit en Syrie à faciliter la distribution de cette aide dans toutes les régions du pays. Le gouvernement syrien ne la respectant pas, le Conseil a adopté le 14 juillet 2014 la Résolution 2165 autorisant les agences de l’ONU et leurs partenaires opérationnels à distribuer l’aide humanitaire en franchissant quatre frontières qui n’étaient pas contrôlées par le gouvernement syrien en plus de celles déjà utilisées. La Résolution 2165 a été reconduite en décembre 2016 jusqu’au 10 janvier 2018.

Alors que le gouvernement syrien ne respectait toujours pas les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la distribution immédiate de l’aide humanitaire, le Conseil n’a pris aucune autre mesure, contrairement à ce qu’il avait affirmé dans sa Résolution 2165. Le 5 décembre, la Russie a une fois de plus utilisé son droit de veto pour bloquer l’action du Conseil de sécurité concernant la Syrie. Le projet de résolution bloqué visait à appeler à une suspension des hostilités durant sept jours à Alep et à obtenir un accès en toute sécurité pour la fourniture de l’aide humanitaire.

Les gouvernements concernés devraient pousser les délégations du gouvernement syrien et de l’opposition à s’engager immédiatement à permettre à tous les civils qui le souhaitent de quitter les zones assiégées, et à permettre un accès immédiat et sans entraves pour l’aide humanitaire avec un franchissement des frontières et des lignes de conflit.

Toutes les parties au conflit doivent s’engager à veiller à ce que toutes les évacuations de civils se fassent dans le respect du droit international humanitaire. L’ONU et les autres institutions doivent pouvoir se rendre dans les zones concernées pour surveiller les évacuations et en rendre compte. Les évacuations de civils doivent être volontaires, et ils doivent être évacués vers des endroits qu’ils ont choisis, et ceux qui ont choisi de rester doivent être protégés, tout comme ceux qui ont choisi de fuir.

Justice

Le 21 décembre 2016, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution créant un mécanisme pour faciliter les enquêtes sur les crimes graves commis en Syrie depuis 2011, et faire en sorte que justice soit rendue après plusieurs années d’atrocités restées impunies. Les pays qui ont voté pour cette résolution sans précédent devraient soutenir ce mécanisme d’enquête, notamment en lui fournissant des moyens financiers pour l’aider à accomplir sa tâche. Les informations réunies par ce mécanisme et par d’autres entités, notamment la Commission d’enquête de l’ONU, seront essentielles pour les futurs processus nationaux et internationaux de reddition de comptes. Ces initiatives peuvent permettre de donner une certaine impulsion à la justice et de faire clairement savoir aux victimes syriennes de crimes graves que ces agissements ne resteront pas impunis.

Les parties au conflit, y compris le gouvernement syrien, doivent s’engager à coopérer avec ce mécanisme d’enquête et avec la Commission d’enquête de l’ONU.

La communauté internationale doit continuer d’œuvrer pour la construction des fondations d’une justice concrète et digne de ce nom sur le long terme. Les gouvernements qui soutiennent les mesures visant à donner un mandat en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI) doivent rester résolus à obtenir justice pour les victimes, que ce soit au moyen du Conseil de sécurité de l’ONU, de l’Assemblée générale de l’ONU, du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ou par tout autre moyen, notamment avec le recours à la compétence universelle. Les autres pays doivent clairement indiquer que la justice est une composante essentielle de toute paix à venir, y compris lors des négociations à Genève.

Les propositions visant à accorder l’immunité à des individus impliqués dans des crimes graves doivent être rejetées. Les parties doivent également s’engager à réexaminer et modifier toute disposition de la législation syrienne accordant l’immunité aux forces de sécurité, et à mener de vastes réformes pour équiper le pays d’un système judiciaire apte à connaître de crimes graves parallèlement à d’autres tribunaux, y compris la CPI éventuellement.

Il sera aussi nécessaire de mettre en place des mécanismes et programmes de recherche de la vérité afin de garantir l’obtention de réparations pour les victimes et leurs proches, et pour que les auteurs de tels actes soient écartés de toutes fonctions officielles. Tout accord doit comprendre un engagement de la part des parties aux négociations de mettre en place une commission nationale chargée de révéler ce qu’il est advenu des disparus et d’enquêter sur les actes de torture, les exécutions extrajudiciaires et les autres violations graves des droits humains.

Réforme du secteur de la sécurité et libération des prisonniers

Depuis le début du soulèvement en Syrie, les forces de sécurité ont procédé à des arrestations arbitraires, des détentions illégales, des disparitions forcées, des mauvais traitements et des actes de torture, et elles ont tué des milliers de personnes, en utilisant un vaste réseau de lieux de détention dans tout le pays. Parmi les personnes arrêtées figurent des manifestants pacifiques, des défenseurs des droits humains, et des militants ayant participé à l’organisation de manifestations et à leur enregistrement vidéo et en ayant rendu compte, ainsi que des journalistes, des travailleurs humanitaires, des avocats et des médecins.

Tout programme de transition doit inclure l’engagement de mettre en place un mécanisme indépendant de surveillance des hauts responsables actuels et potentiels des forces de sécurité. Tout haut responsable qui est présumé, au vu d’éléments de preuve, avoir participé à des crimes de droit international ou à d’autres graves atteintes aux droits humains doit être suspendu de ses fonctions et écarté de tout autre poste au sein des forces de sécurité durant l’enquête exhaustive qui devra être menée. À chaque fois qu’il existe des éléments de preuve suffisants, les suspects doivent être poursuivis en justice dans le cadre de procès équitables.

Les multiples services de sécurité de la Syrie doivent également être tenus de rendre des comptes à tout gouvernement de transition. Les parties doivent s’accorder sur la mise en œuvre de réformes des institutions visant à garantir que les violations des droits humains commises par le passé ne se répéteront pas.

Un grand nombre de manifestants pacifiques et de militants politiques et des droits humains se trouvent toujours en détention au secret, tandis que d’autres ont été jugés, parfois devant un tribunal militaire ou antiterroriste, pour avoir exercé leurs droits. Des groupes d’opposition armés, principalement dans les zones tenues par l’opposition dans le nord de la Syrie, ont aussi arrêté de façon arbitraire des journalistes, des travailleurs humanitaires, et des militants qui les avaient critiqués, entre autres personnes.

Tout accord doit comprendre l’engagement de libérer les prisonniers politiques, les journalistes, les travailleurs humanitaires et les militants des droits humains détenus par les parties, et de permettre à des observateurs indépendants de visiter les lieux de détention et de se rendre auprès de toutes les personnes privées de liberté. Pour garantir efficacement la mise en œuvre de ces mesures, une solution consisterait à créer une commission indépendante chargée d’examiner les cas des détenus, de contrôler la façon dont ils sont traités en détention, et de garantir leur remise en liberté. Afin d’accomplir correctement sa tâche, cette commission devra être autorisée à se rendre dans tous les lieux de détention.

Les parties doivent également s’engager à abroger ou modifier les lois qui répriment pénalement l’exercice des droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, y compris la loi de 2012 sur la lutte contre le terrorisme, qui sanctionne pénalement les activités militantes non violentes et l’opposition au gouvernement. Il est nécessaire d’inclure l’engagement explicite de ne pas arrêter ou poursuivre en justice les travailleurs humanitaires qui travaillaient dans des zones tenues par l’opposition, y compris ceux qui ont fourni une aide médicale aux malades et aux blessés – qu’il s’agisse de civils ou de combattants –, conformément aux lois de la guerre.

Les parties doivent aussi s’engager à incorporer dans la législation syrienne toutes les protections et garanties fondamentales pour les détenus prévues par le droit international, notamment l’interdiction de la détention arbitraire, l’obligation d’informer une personne arrêtée des motifs de son arrestation, et l’obligation de fournir aux détenus la possibilité de contester la légalité de leur détention devant un tribunal. Les personnes privées de liberté, quel que soit l’endroit où elles sont détenues, doivent pouvoir avoir régulièrement accès à des avocats, aux membres de leur famille et à des médecins.

Signataires :

• Al Kawakibi Organization for Human Rights
• Amnesty International
• Association for Peace, Justice and Documentation
• Assyrian Human Rights Network
• Bridge of Peace Syria
• Cairo Institute for Human Rights Studies
• Christian Aid
• Democratic Republic Studies Center
• Réseau euro-méditerranéen des droits humains
• Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)
• Fraternity Foundation For Human Rights
• Global Centre for the Responsibility to Protect
• Helen Bamber Foundation
• Human Appeal
• Human Rights Guardian
• Human Rights Watch
• IHH Humanitarian Relief Foundation
• Justice for Life Organization
• Middle East and North Africa Partnership for the Prevention of Armed Conflict
• Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits humains
• Non-Violence Network in the Arab Countries
• Permanent Peace Movement
• Physicians for Human Rights
• Refugees International
• Souria Houria
• Syria Charity
• Syrian Center For Legal Studies and Researches
• Syrian Center for Media and Freedom of Expression
• Syrian Center for Statistics and Research
• Syrian Institute for Justice
• Syrian League for Citizenship
• Syrian Network for Human Rights
• Syrians for Truth and Justice
• The Day After
• The Violations Documentation Center in Syria (VDC)
• Trócaire
• UOSSM International
• URNAMMU
• Vision GRAM-International

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