Communiqué de presse

Les femmes ne connaissent pas la paix

Par Widney Brown, directrice générale chargée du droit international et de la stratégie politique à Amnesty International

De nombreuses informations ont été rassemblées qui démontrent que les femmes et les jeunes filles sont prises pour cibles durant les conflits armés ; en revanche, on sait moins qu’une fois les hostilités terminées, la guerre non déclarée contre les femmes peut se prolonger des années durant.

Même si officiellement les combats ont cessé, la prolifération des armes, la culture de la violence et la réduction des femmes à la condition d’objets continuent de semer le chaos.

Comme le disait une militante bosniaque des droits des femmes en s’adressant à un groupe de chercheurs sur les droits humains qui recueillaient des témoignages sur les horreurs perpétrées durant la guerre civile, au début des années 1990 : « Les femmes ne connaissent pas la paix. »

Cette déclaration toute simple a éclairé la vérité qu’ils peinaient à saisir : pour les femmes en particulier, l’accord de paix n’avait pas amené la paix.

Depuis près de 20 ans, des centaines de femmes continuent de vivre avec les conséquences du viol et d’autres formes de torture, bien souvent facilités ou commis sous la menace d’une arme, sans avoir dûment accès à l’aide médicale, psychologique et financière dont elles ont besoin pour reconstruire leur vie brisée. Pour la plupart, les responsables demeurent impunis.

Le 18 mars, à New York, s’ouvriront les négociations finales sur un traité réglementant le commerce des armes.

Le monde a cruellement besoin que l’accord final garantisse qu’aucun pays ni marchand d’armes ne vendra des armes, des munitions ou des équipements connexes à des gouvernements, des entreprises ou des groupes armés lorsqu’il existe un risque substantiel que ces armes et ces munitions – allant de Kalachnikov à des bombardiers – soient utilisées pour commettre des atrocités ou de violentes atteintes aux droits humains.

Parmi les défis à relever pour parvenir à un Traité sur le commerce des armes efficace, citons le simple fait que les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et la France sont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. En tant que tels, il leur incombe de maintenir la paix et la sécurité dans le monde. Or, ces cinq gouvernements représentent presque 70 % du commerce annuel d’armes classiques, qui se monte à plus de 53 milliards d’euros. Ces États, et d’autres, commercent depuis des décennies en l’absence de contrôles internationaux sur la circulation d’armes et de munitions à travers les frontières.

Les armes et les munitions sont fournies à des gouvernements, des entreprises et des groupes armés qui les mettent souvent entre les mains d’utilisateurs qui terrorisent les populations en prenant pour cibles les civils : des hommes, des femmes et des enfants. Prendre des civils pour cibles lors d’un conflit armé est un acte intentionnel qui constitue un crime de guerre au regard du droit international. Il peut s’agir d’une tactique voire d’une stratégie mise en œuvre par des forces gouvernementales ou des groupes armés, et les femmes sont souvent la proie d’auteurs d’atteintes aux droits humains, de bandes criminelles et de personnes qui brandissent des armes fabriquées à l’étranger.

Certains gouvernements feront valoir que s’en prendre aux femmes pendant la guerre – en leur infligeant notamment des violences sexuelles – est le corollaire regrettable mais inévitable d’un conflit armé. Pourtant, c’est cette attitude qui fait que ces mêmes gouvernements ignorent la violence faite aux femmes en temps de paix.

Le comble, c’est que malgré la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité, les femmes sont fréquemment écartées des négociations de paix, du contrôle du processus de désarmement des combattants et des décisions visant à reconstruire la société et à favoriser la résolution pacifique des conflits.

Les graves violations des droits humains contre les femmes et les hommes, que ce soit ou non en situation de conflit, sont déjà prohibées d’un point de vue juridique. Par exemple, les Conventions de Genève et les Protocoles interdisent des crimes de guerre précis, et les auteurs présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité peuvent être traduits en justice en vertu du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le droit international relatif aux droits humains interdit également des violations spécifiques, et il incombe aux gouvernements de prendre des mesures afin de mettre un terme à la violence contre les femmes, quels qu’en soient les auteurs.

Il est admis depuis bien longtemps qu’il est possible de juguler ces crimes en supprimant les outils dont se servent les responsables pour les commettre ou les faciliter. Un Traité sur le commerce des armes mondial, fort et efficace serait un grand pas en avant pour y parvenir.

Dans le monde entier, les femmes ont besoin de savoir que les gouvernements ne feront pas passer les profits avant la sécurité humaine, en permettant que des armes atterrissent dans les mains de personnes qui les utiliseraient pour perpétrer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide ou d’autres violations graves des droits humains.

Cela semble si simple. Cela semble si juste. Pourtant, bien trop souvent, l’argent prend le pas sur les engagements des gouvernements à respecter le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Comme en attesterait la militante bosniaque citée plus haut, les conséquences durables de cette cupidité s’avèrent dévastatrices, pour les femmes en particulier.

Aussi, au nom de toutes les femmes qui vivent dans une insécurité permanente, les gouvernements qui se réunissent à New York au mois de mars doivent faire ce qui est juste. Mettre de côté les avantages financiers et les intérêts nationaux étriqués pour ouvrir à toutes les femmes la voie de la paix et de la sécurité en adoptant un Traité sur le commerce des armes édictant des règles fermes et justes au bénéfice de la protection des droits humains de tous.

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