Les organisations de la société civile du pays considèrent que cette décision est motivée par des considérations politiques.
La recommandation du Premier ministre quant à la suspension de Nthomeng Majara va à l’encontre de deux décisions de la Haute Cour. Le 17 mai 2018, la Cour a statué comme suit : « les défendeurs (le Premier ministre, le ministre du Droit et des Affaires constitutionnelles, et trois autres personnes) ont pour interdiction de prendre quelque mesure que ce soit contre la requérante (la présidente de la Cour suprême, Nthomeng Majara), conformément à la Constitution, dans l’attente de l’achèvement de la présente procédure ; le premier défendeur (le Premier ministre) a pour interdiction de recommander à sa Majesté le Roi la suspension de la requérante (la présidente de la Cour suprême, Nthomeng Majara), aux termes de l’article s121(7) de la Constitution, dans l’attente [de l’examen] d’une requête en récusation en cours de dépôt par les défendeurs ; et les défendeurs ont pour interdiction d’agir de quelque manière que ce soit contre les juges de la Haute Cour ».
Le 23 mai 2018, la Cour a rendu une autre ordonnance interdisant au gouvernement de démettre la juge Nthomeng Majara de ses fonctions en attendant l’issue d’une action en justice au sujet de cette affaire, action qui doit être examinée lors d’une audience le 26 septembre 2018.
La suspension de Nthomeng Majara intervient sur fond d’attaques persistantes des autorités contre le pouvoir judiciaire, le bureau de la présidente de la Cour suprême, le ministre de la Justice, le procureur général et l’ordre des avocats du Lesotho.
Amnesty International craint que ces événements ne créent un précédent extrêmement inquiétant au Lesotho. L’indépendance du pouvoir judiciaire est indispensable pour que l’efficacité du système d’administration de la justice soit garantie à tous et pour que les droits humains soient respectés.
La suspension de la présidente de la Cour suprême est une menace grave pour l’indépendance du système judiciaire au Lesotho. Les autorités doivent faire preuve de retenue et respecter les droits humains et l’état de droit en levant immédiatement la suspension de Nthomeng Majara et en rétablissant celle-ci dans ses fonctions de présidente de la Cour suprême. Amnesty International appelle les autorités à respecter les obligations internationales, régionales et nationales du Lesotho en ce qui concerne l’indépendance des magistrats et la sécurité du mandat des juges.
Complément d’information
En novembre 2017, la présidente de la Cour suprême, Nthomeng Majara, a été approchée par la ministre de la Justice et des Services correctionnels, Mahali Phamotse, qui lui a demandé de démissionner. La ministre lui a dit que le gouvernement n’avait plus besoin de ses services et qu’il n’avait pas l’intention de continuer à travailler avec elle.
Le 9 décembre 2017, le ministre du Droit et des Affaires constitutionnelles, Lebohang Hlaele, a fait une déclaration publique dans laquelle il accusait la présidente de la Cour suprême de parti pris politique et de corruption et la menaçait d’être destituée si elle ne démissionnait pas.
En avril 2018, Nthomeng Majara a reçu une lettre de demande de justification de la part du Premier ministre Thomas Thabane, qui lui demandait de donner les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être destituée pour inconduite présumée.
Le 19 juin 2018, le gouvernement a déclaré qu’il prévoyait de destituer la présidente de la Cour suprême afin de restaurer la confiance envers le système judiciaire.
En vertu des Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature, toute plainte portée contre un juge dans l’exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Aux termes de la règle 18, « [un] juge ne peut être suspendu ou destitué que s’il est inapte à poursuivre ses fonctions pour incapacité ou inconduite. » Selon la règle 20, « [des] dispositions appropriées doivent être prises pour qu’un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution. »