Liban, l’État doit protéger les manifestants pacifiques

Au neuvième jour des manifestations de grande ampleur qui ont lieu dans tout le pays, les autorités libanaises doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer la protection des manifestants pacifiques, respecter leur droit à la liberté de réunion, y compris le blocage légitime d’axes routiers, et s’abstenir de disperser par la force les rassemblements pacifiques.

Si l’armée a dans l’ensemble garanti le droit de protester pour les manifestants à travers le pays, à trois reprises au cours de la semaine dernière des militaires ont à la fois utilisé une force excessive pour disperser les protestataires et manqué à leur devoir de protéger les manifestants pacifiques contre les violences commises par des membres de groupes non étatiques dont le Hezbollah et Amal.

« Alors que débute le neuvième jour des manifestations, les autorités libanaises doivent garantir la protection des manifestants pacifiques et veiller à ce qu’ils puissent exercer leur droit à la liberté de réunion sans crainte de harcèlement ou, ce qui est primordial, d’attaques menées par des partisans de partis politiques opposés au mouvement de protestation, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Les manifestants libanais font entendre leur voix de façon pacifique, et les autorités libanaises ont l’obligation de garantir et protéger ce droit, qui peut comprendre celui bloquer des axes routiers. Les brutalités policières et la dispersion violente de rassemblements ne font qu’accroître les tensions et provoquer l’hostilité, ce qui pourrait conduire à un dangereux tournant alors que les manifestations ont jusqu’à présent été largement pacifiques. »

Des membres du personnel d’Amnesty International ont observé les manifestations, parlé avec 12 témoins directs et examiné du matériel audiovisuel confirmant les déclarations des témoins.

Manifestations au Liban : des barrages routiers légitimes

Le droit dont disposent les manifestants pacifiques de protester sur les routes et de bloquer des axes routiers a systématiquement été protégé par les organes internationaux de défense des droits humains, qui considèrent l’espace urbain comme un lieu où l’on peut légitimement manifester. Le rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a déclaré qu’« il ne faut pas privilégier automatiquement la circulation à la liberté de réunion pacifique  ».

Des restrictions ne peuvent être apportées au droit à la liberté de réunion pacifique que lorsque cela est strictement nécessaire, proportionné et prévu par la loi, par exemple le fait de dégager une route d’accès à un hôpital, ou de disperser un rassemblement qui a causé de fortes perturbations de façon prolongée, afin de permettre la satisfaction d’un besoin social impérieux.
La réaction des forces armées, qui ont reçu l’ordre de dégager les barrages de fortune érigés par des manifestants sur plusieurs grands axes routiers a jusqu’à présent été largement contenue. Cependant, une fois au moins, à Saïda, dans le sud du Liban, Amnesty International a établi que l’armée a utilisé la force de façon excessive pour disperser des manifestants pacifiques sans justification.

Les manifestants pacifiques au Liban ne sont pas protégés

L’armée libanaise a dans une large mesure joué le rôle de tampon entre des manifestants rivaux, à travers le pays ; mais huit témoins ont dit à Amnesty International qu’à deux reprises au moins, dans le sud du pays, à Nabatieh et à Sour, les forces de sécurité n’ont pas réagi pour protéger des manifestants pacifiques qui étaient attaqués par des partisans du mouvement Amal et du Hezbollah, dont certains étaient armés.
Le 23 octobre, à Nabatieh, dans le sud du pays, un groupe comprenant de nombreux hommes qui selon des témoins étaient des partisans du mouvement Amal et du Hezbollah accompagnés de membres de la police municipale, ont attaqué un groupe de manifestants pacifiques qui s’étaient rassemblés sur une place non loin du Conseil municipal de la ville. Le lendemain, quatre membres au moins du Conseil municipal de Nabatieh ont annoncé qu’ils quittaient leurs fonctions en signe de protestation contre la participation de la police municipale à des violences commises contre des manifestants.

La manifestation a débuté de façon pacifique tôt le matin, mais vers 15 heures, plusieurs dizaines d’hommes armés de bâtons et de matraques ont attaqué les manifestants pour les disperser, les frappant à coups de poing et de bâton et les insultant. Un témoin a raconté à Amnesty International :

«  Ils ont commencé à frapper les manifestants avec leurs bâtons et à nous pousser, ils ont essayé de me frapper et de me prendre mon téléphone parce que je filmais [...] Les forces de sécurité étaient présentes, mais elles sont restées sur le côté, et de toute façon elles ne pouvaient pas les suivre, car ils étaient très nombreux », a expliqué « Fatima », une enseignante de Nabatieh.

À Nabatieh et Sour, des manifestants agressés par le Hezbollah et Amal

Un autre témoin a dit à Amnesty International que les hommes faisant partie de ce groupe étaient des partisans ou des membres du parti politique et du groupe armé du Hezbollah : « J’ai vu des membres du Hezbollah. Les agents de la police municipale qui nous ont attaqués étaient eux aussi des membres du Hezbollah. Nous en connaissons beaucoup parce qu’ils sont des mêmes villages que nous. Ils ont commencé par s’en prendre à l’équipe de reportage d’Al Jadeed TV, et ils ont cassé leur caméra. Ensuite, ils ont commencé à frapper des manifestants avec des bâtons et à traîner des gens dans la rue. »
D’autres sources à Nabatieh ont confirmé que cette attaque a duré pendant presque une heure jusqu’à l’arrivée de l’armée, qui a protégé les manifestants, vers 16 heures : « Il y avait plus de 250 personnes. Ils ont cassé la caméra de la télévision, et ensuite ils ont commencé à frapper tous ceux qu’ils pouvaient atteindre. Ils nous ont frappés avec leurs mains et avec des bâtons. L’armée est arrivée vers 16 heures et elle a protégé les manifestants en formant un bouclier entre nous et ces brutes », a raconté un témoin à Amnesty International.

Dans un autre cas qui a eu lieu le 18 octobre à Sour, dans le sud du pays, des membres de l’armée ont visiblement permis à des partisans armés du mouvement Amal de franchir le cordon de l’armée et d’agresser des manifestants pacifiques. Des témoins ont dit à Amnesty International que plusieurs dizaines d’hommes armés ont commencé à attaquer les manifestants, les poussant et les frappant à coups de bâton et de crosse de fusil, et que les soldats ne sont pas intervenus. Deux manifestants ont dû être hospitalisés, et aucun des hommes qui ont participé à l’attaque n’a été arrêté.
« Comme des attaques menées par des partisans de partis au pouvoir ont lieu depuis le début des manifestations, et que cela semble continuer, les membres des forces armées ont le devoir de veiller à ce que le droit de manifester pacifiquement soit garanti, ce qui comprend la protection des manifestants pacifiques contre les attaques de protestataires rivaux et d’hommes armés  », a déclaré Lynn Maalouf.

L’armée a tenté de lever par la force des barrages routiers

Le 23 octobre, des membres de l’armée et du service du renseignement libanais ont utilisé une force excessive pour disperser des manifestants qui avaient bloqué la principale autoroute qui relie la capitale, Beyrouth, et la ville de Saïda, dans le sud du pays. Les manifestants avaient installé un barrage routier, mais ils continuaient de laisser passer les véhicules de secours et de l’armée.
Des manifestants étaient rassemblés à cet endroit depuis cinq heures du matin, selon des témoins. Des négociations ont eu lieu entre eux et des membres de l’armée qui leur demandaient de lever le barrage routier. D’après tous les témoignages recueillis par Amnesty International, peu avant huit heures, un officier de haut rang a dit aux manifestants que l’armée avait reçu l’ordre de rouvrir la route par la force, et qu’ils avaient 20 minutes pour partir de façon pacifique.

Des soldats équipés de boucliers antiémeutes ont commencé à déloger par la force les manifestants qui étaient assis par terre avec les bras levés en l’air en signe d’intentions pacifiques, les emmenant et les menottant. Ils ont aussi frappé des manifestants à coups de pied et de matraque métallique, et les ont agressés verbalement. Amnesty International a parlé avec quatre personnes qui étaient présentes sur les lieux :

« Je portais un keffieh [foulard]… Ils l’ont agrippé [et m’ont] traîné sur le sol comme un chien. Ils nous ont frappés avec leurs boucliers en plexiglas. Ils m’ont frappé jusqu’à ce que je perde connaissance  », a déclaré Mostafa Fayyad, un manifestant qui a dû être hospitalisé en raison de ses blessures.
Un autre manifestant, Mohammed Kanso, a déclaré : « Ils se sont précipités sur nous en nous cognant avec leurs matraques métalliques, avec leurs bottes et à coups de poing. Deux jeunes hommes ont reçu des coups sur la tête et ils ont perdu connaissance.  »

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