Si le gouvernement a déjà pris un certain nombre de mesures, dont des libérations, des milliers de personnes sont toujours en détention dans l’attente de leur procès ou, parfois, alors qu’elles ont déjà fini de purger leur peine.
Ces dernières semaines, des émeutes ont éclaté dans les prisons et des familles ont organisé des sit-in devant les prisons et les postes de police, réclamant la libération immédiate de leurs proches, alors que les inquiétudes grandissent face au COVID-19.
« Les prisons au Liban sont pleines de gens qui n’ont rien à y faire, dont des centaines de personnes qui restent enfermées parce que le système judiciaire ne traite pas leur dossier en temps voulu ou parce qu’elles n’ont pas les moyens de régler leurs amendes ou d’obtenir des mandats de libération, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International.
« La réponse des autorités face au COVID-19 est l’occasion de réparer cette injustice persistante et doit être mise en œuvre sans plus attendre. À celles et ceux qui demeurent en détention ou en prison, le gouvernement libanais doit assurer un niveau de soins correspondant aux besoins de chacun·e et garantir la meilleure protection possible contre la propagation du COVID-19. »
Les personnes détenues sont exposées à un risque accru de contracter le COVID-19, n’ayant d’autre choix que de vivre dans une forte promiscuité, souvent sans avoir accès à des mesures préventives suffisantes
Amnesty International demande aux autorités libanaises de libérer les prisonnières et prisonniers ayant fini de purger leur peine, ou purgeant une condamnation ou détenus pour des inculpations qui ne sont pas des infractions reconnues par le droit international.
En outre, elle les invite à envisager sérieusement de libérer ou d’adopter des mesures non privatives de liberté pour toutes les personnes incarcérées dans l’attente de leur procès et celles qui sont particulièrement vulnérables en raison de leur âge ou d’une pathologie préexistante, quelle que soit l’infraction qui leur a valu d’être incarcérées ou condamnées.
Des prisonnières et prisonniers libérés
Le 6 avril, le ministère de l’Intérieur a annoncé la libération de plus de 600 personnes placées en détention provisoire, dans le cadre des mesures gouvernementales visant à endiguer la propagation du COVID-19. Selon l’ONG libanaise Legal Agenda, le taux d’occupation des prisons s’élevait à 130 % en 2018, principalement en raison des détentions provisoires prolongées. Les conditions demeurent très difficiles, la surpopulation perdure et les conditions de vie sont inadéquates, sans parler de l’état de santé critique de centaines de détenu·e·s. Les personnes détenues sont exposées à un risque accru de contracter le COVID-19, n’ayant d’autre choix que de vivre dans une forte promiscuité, souvent sans avoir accès à des mesures préventives suffisantes.
Le 17 mars, le gouvernement a soumis au Parlement un projet de loi qui permettrait en principe d’exonérer les détenu·e·s ayant purgé leur peine de leurs amendes et donc de les libérer – ils sont semble-t-il plus d’une centaine dans cette situation. Toutefois, l’ordre du jour parlementaire de la session législative de trois jours cette semaine n’a pas intégré ce texte de loi. Son existence même laisse à penser que des centaines de prisonniers ont purgé leur peine, mais restent en prison.
Le ministre de l’Intérieur Mohammed Fahmi a confirmé la libération de 606 personnes maintenues en détention provisoire
Doummar El Mokdad, du Comité des familles de prisonniers au Liban, a déclaré qu’il connaissait des cas de personnes placées en détention provisoire pendant des périodes prolongées. Il a ainsi expliqué : « Certains prisonniers ne comparaissent pas devant un juge. Certains sont incarcérés depuis les événements de Nahr El Bared en 2007 et ont passé 13 ans en prison sans être jugés. Ce sont des otages, pas des prisonniers. »
Le 2 avril, le Premier ministre Hassan Diab a annoncé son intention de libérer quelque 3 000 détenu·e·s, soit près de la moitié de la population carcérale générale. Une semaine plus tard, le ministre de l’Intérieur Mohammed Fahmi a confirmé la libération de 606 personnes maintenues en détention provisoire.
Doummar El Mokdad a indiqué : « Pour les détenu·e·s et leurs familles, le Liban, c’est l’enfer sur terre. Nos prisons ne sont pas faites pour des êtres humains. Les photos et les vidéos envoyées de l’intérieur montrent que leurs conditions de détention sont révoltantes. »
Les inquiétudes des familles
Les familles interviewées par Amnesty International ont confié leur peur pour la santé de leurs proches détenus en raison du COVID-19, d’autant que les droits de visite sont de plus en plus difficiles à obtenir du fait des restrictions imposées pour lutter contre cette pandémie.
Selon Omar Nashabe, ancien conseiller auprès du ministère de l’Intérieur, l’administration de la prison centrale de Roumieh a fourni la liste de 700 détenu·e·s souffrant de pathologies préexistantes, pour la plupart de problèmes respiratoires et d’autres affections qui les exposent à un risque accru face au COVID-19. D’après Doummar El Mokdad, environ 120 prisonniers utilisent les mêmes douches dans la prison de Roumieh et 70 dorment dans chaque couloir. On estime que la prison de Zahlé, dont la capacité d’accueil est de 300 places, héberge 820 détenu·e·s.
Condamné à une peine de 13 ans de prison pour vente de stupéfiants, Ali a déjà passé sept ans derrière les barreaux. Son épouse, Heba Al Mawla, mère de deux enfants, n’a pas pu lui rendre visite depuis trois semaines car son travail de chauffeuse de taxi a pris fin et elle n’a pas l’argent nécessaire.
Heba Al Mawla a indiqué : « Ali m’a dit qu’ils ont rassemblé les prisonniers et les ont aspergés d’eau et de Dettol. Est-ce une mesure efficace pour les protéger contre le coronavirus ? Ou simplement une autre façon de leur manquer de respect ? Lorsqu’ils condamnent quelqu’un à une peine de prison aussi lourde, ils condamnent aussi sa mère, sa femme et ses enfants. Notre pays est gangréné par l’injustice. »