L’association des propriétaires d’agences de recrutement a porté plainte auprès du Conseil de la Choura le 21 septembre, lui demandant de bloquer et d’annuler les deux décisions du ministre du Travail relatives à l’adoption du nouveau contrat type unique pour les employé·e·s de maison migrants et au plafonnement à 30 % des déductions que l’employeur ou employeuse peut retrancher du salaire d’un·e employé·e· de maison – qui équivaut au salaire minimum national. Le Conseil de la Choura s’est prononcé le 14 octobre en faveur des agences de recrutement au motif que les décisions du ministère du Travail nuisaient gravement aux intérêts de ces agences. Le Conseil n’a pas du tout évoqué les droits des employé·e·s de maison migrants que le Liban est pourtant tenu de protéger au titre du droit international.
« Les abus inacceptables dont font l’objet des employé·e·s de maison migrants à cause du système de kafala doivent cesser, a déclaré Diala Haidar, chargée de campagne sur le Liban à Amnesty International. Les autorités libanaises, y compris les autorités judiciaires, ont le devoir de protéger les droits de ces travailleurs et travailleuses et non de protéger un système qui facilite l’exploitation, le travail forcé et la traite des êtres humains. »
On estime que quelque 250 000 employé·e·s de maison migrants travaillent au Liban. La majorité de ces personnes sont des femmes originaires de pays africains et d’Asie du Sud et du Sud-Est, notamment d’Éthiopie, des Philippines, du Bangladesh et du Sri Lanka. Ces personnes ne sont pas couvertes par les dispositions protectrices du droit du travail libanais, et leur statut dans le pays est régi par le système de kafala, un régime restrictif basé sur des lois, des règlements et des pratiques coutumières qui lient le lieu de résidence légal des travailleurs et travailleuses migrants à la personne qui les emploie.
Human Rights Watch [5], Amnesty International et de nombreuses autres organisations rassemblent depuis de nombreuses années des informations qui montrent que le système de kafala permet aux employeurs et employeuses d’exercer un très fort contrôle sur la vie de leurs employé·e·s. Ce système a donné lieu à tout un ensemble d’abus, notamment au non-paiement du salaire, à un confinement forcé, à un temps de travail excessif sans jours de repos ni temps de repos, et à des violences verbales, physiques et sexuelles. Des personnes ayant quitté leur employeur ou employeuse sans « autorisation » ont risqué de perdre leur droit de séjour dans le pays et d’être arrêtées et expulsées. Le contrat qui existait précédemment ne permettait des exceptions que pour les cas extrêmes d’abus, la charge de la preuve incombant aux employé·e·s, ce qui empêchait ces derniers d’échapper à ces abus, y compris en cas de travail forcé.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), près de 90 % des employé·e·s de maison migrants au Liban sont recrutés par l’intermédiaire d’une agence [6]. Ces agences de recrutement font venir des travailleurs et travailleuses au Liban via des agences partenaires dans les pays d’origine ou par le biais de leurs propres représentant·e·s à l’étranger. Leur modèle économique repose sur les frais élevés demandés aux employeurs ou employeuses, qui se situent entre [7] 1 000 et 3 000 dollars des États-Unis. L’OIT a constaté que les employeurs ne savent souvent pas exactement ce que couvrent ces frais. Elle a également constaté une très grande disparité dans ces frais de recrutement, qui varient en fonction du revenu de l’employeur ou employeuse et de la nationalité de l’employé·e.
Amnesty International et Human Rights Watch [8] ont réuni des informations sur les abus commis par des agences de recrutement. Certaines agences ont demandé aux employeurs ou employeuses de leur verser les premiers mois de salaire, au lieu de les verser aux employé·e·s, violant ainsi les droits des travailleurs et travailleuses. Certaines de ces personnes ont également indiqué avoir été victimes de violences physiques ou verbales, de travail forcé et de la traite aux mains d’agences de recrutement.
Les agences de recrutement ont avancé que les employé·e·s de maison migrants sont spécifiquement exclus du droit du travail et que leurs relations avec leurs employeurs ou employeuses sont uniquement régies par la Loi relative aux obligations et aux contrats tant que cela n’entre pas en conflit avec les exigences relatives à « l’ordre public, la moralité publique et les dispositions générales ». Elles ont ajouté que le contrat type unique viole le principe de la liberté d’établir un contrat, car les deux parties doivent avoir la possibilité de décider des termes du contrat, y compris en ce qui concerne l’obligation d’un salaire minimum. La décision du Conseil de la Choura n’a tenu compte ni des droits des travailleurs et travailleuses ni du déséquilibre des forces entre les parties.
Le Liban est l’un des deux seuls pays du Moyen-Orient accueillant un grand nombre d’employé·e·s de maison migrants qui n’ont pas adopté de loi régissant les relations avec leurs employeurs ou employeuses et garantissant des protections et des droits suffisants. Le Liban est tenu, au titre du droit international relatif aux droits humains, de veiller à ce que les employé·e·s de maison et les travailleurs et travailleuses migrants bénéficient de protections équivalentes à celles que prévoit la loi pour les autres travailleurs et travailleuses.
Ce contrat est le seul document juridique que les employé·e·s de maison migrants reçoivent au Liban. Le pays avait mis en place depuis 2009 un contrat type unique pour les employé·e·s de maison migrants, mais la version de 2009 ne comportait pas de garanties essentielles contre le travail forcé, n’était pas conforme aux exigences des normes relatives aux droits humains et au travail, et il a été adopté avant la Convention de l’OIT de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques.
« Les employé·e·s de maison migrants font partie des populations les plus marginalisées du Liban. En raison de l’effondrement de l’économie du pays, qui est aggravée par les répercussions de la pandémie de Covid-19, leur situation, qui était déjà précaire et préoccupante, n’a fait qu’empirer. Mais au lieu de renforcer leur protection et de démanteler un système qui permet de piéger et d’exploiter ces travailleurs et travailleuses, le Conseil de la Choura a manifestement préféré protéger de façon prioritaire les intérêts commerciaux des agences de recrutement. »
Le nouveau contrat type unique visait à corriger le déséquilibre des forces entre les parties et à octroyer aux travailleurs et travailleuses des garanties essentielles existant déjà pour les autres travailleurs et travailleuses, comme les 48 heures de travail hebdomadaires, la journée de repos hebdomadaire, la rémunération des heures supplémentaires, les congés-maladie payés, les congés annuels et le salaire minimum national, avec des déductions autorisées pour le logement et la nourriture. Plus important encore, le nouveau contrat type unique aurait permis aux travailleurs et travailleuses de mettre fin à leur contrat sans le consentement de leur employeur ou employeuse, ce qui supprimait l’un des aspects les plus abusifs du système de kafala.
« Les employé·e·s de maison migrants font partie des populations les plus marginalisées du Liban, a déclaré Aya Majzoub [9], chercheuse sur le Liban à Human Rights Watch. En raison de l’effondrement de l’économie du pays, qui est aggravée par les répercussions de la pandémie de COVID-19, leur situation, qui était déjà précaire et préoccupante, n’a fait qu’empirer. Mais au lieu de renforcer leur protection et de démanteler un système qui permet de piéger et d’exploiter ces travailleurs et travailleuses, le Conseil de la Choura a manifestement préféré protéger de façon prioritaire les intérêts commerciaux des agences de recrutement. »
L’on ignore quelle a été la réaction du ministère du Travail et s’il compte contester cette décision ; un représentant de ce ministère s’est refusé à tout commentaire.
Human Rights Watch a constaté que le système judiciaire libanais ne protège pas [10] les employé·e·s de maison migrants et ne fait pas le nécessaire pour que les personnes qui les emploient répondent de leurs actes quand elles violent les droits fondamentaux de ces travailleurs et travailleuses.
Le Parlement libanais doit de façon urgente modifier la législation sur le travail pour y intégrer les employé·e·s de maison migrants. Les autorités libanaises doivent de toute urgence prendre d’autres mesures pour supprimer le système de kafala, notamment en veillant à ce que les travailleurs et travailleuses migrants ne dépendent pas de leur employeur ou employeuse en ce qui concerne leur statut au regard de la loi dans le pays.
« Les employé·e·s de maison migrants pâtissent depuis longtemps du système abusif de kafala au Liban, a déclaré Diala Haidar. Le Liban doit respecter ses obligations internationales, intégrer les employé·e·s de maison migrants dans son droit du travail, et mettre fin au système archaïque de kafala. »