Liban, les meurtriers du militant Lokman Slim doivent être traduits en justice

Liban, les meurtriers du militant Lokman Slim doivent être traduits en justice

Les autorités libanaises doivent intensifier leurs efforts pour identifier et poursuivre en justice les responsables présumés du meurtre de Lokman Slim, intellectuel et défenseur des droits humains assassiné il y a deux ans.

Depuis que Lokman Slim a été retrouvé mort dans sa voiture le 4 février 2021 dans le sud du Liban, il n’y a eu ni inculpation ni arrestation. Il était un intellectuel à l’avant-garde de la lutte contre l’impunité dans le Liban d’après-guerre et un actif défenseur du droit à la justice et à la vérité pour les proches des personnes portées disparues ou victimes de disparitions forcées. Il avait co-fondé la maison d’édition indépendante Dar Al Jadeed, ainsi que UMAM Documentation and Research, un centre citoyen d’archives concernant l’histoire chargée de conflits du Liban, en utilisant la recherche et la documentation comme outils principaux.

« Lokman Slim est une victime de l’impunité systémique qui règne au Liban depuis des décennies, et les faibles efforts des autorités libanaises pour trouver les meurtriers en sont une preuve supplémentaire. Rien n’a réellement été fait pour trouver ses assassins, et la détérioration du système judiciaire libanais, notamment illustrée par la mascarade judiciaire autour de l’enquête sur l’explosion de Beyrouth en 2020, laisse encore moins d’espoir de justice à la famille de Lokman Slim » a déclaré Aya Majzoub, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

La veuve de Lokman Slim, Monika Borgmann, a déclaré à Amnesty International qu’à partir de la découverte du corps, les autorités n’avaient fait aucun effort réel pour traduire les auteurs présumés en justice. Des photos et des vidéos, examinées par Amnesty International, montrent que rien n’a été fait pour sécuriser la scène de crime : des passants et des journalistes ont touché la voiture dans laquelle le corps a été trouvé et ont ouvert la portière.

Monika Borgmann a déclaré que les enquêteurs lui avaient posé des questions « stupides », lui demandant surtout si son mari avait une addiction aux jeux d’argent ou une amante déçue. Elle a ajouté que les enquêteurs avaient même suggéré un suicide, bien qu’il ait été tué de cinq balles dans la tête et une dans le dos. Selon elle, ils n’ont posé aucune question sur les menaces reçues par Lokman Slim et sa famille, liées à son travail et à son militantisme. En décembre 2019, des tracts menaçants avaient été placés sur les murs et à l’entrée de leur maison de la banlieue sud de Beyrouth, et un groupe de personnes s’était réuni dans le jardin de la famille pour scander des menaces et des insultes.

Les procédures élémentaires n’ont pas été respectées lors de l’enquête, des pistes potentiellement sensibles sur le plan politique ont manifestement été abandonnées et le juge d’instruction a interrogé les témoins lors d’une audience publique, où leurs conversations pouvaient facilement être entendues. Selon Monika Borgmann, le juge n’a pour l’instant entendu que trois témoins en dehors des membres de la famille.

Elle a déclaré à Amnesty International : « Je veux garder espoir, mais si je regarde l’histoire des assassinats politiques au Liban, je n’ai pas beaucoup de raisons d’espérer. Si je vois ce qui se passe avec Tarek Bitar [le juge chargé de l’enquête de l’explosion sur le port de Beyrouth], je sais aussi comment cette affaire va se terminer. Ça ne me donne pas d’espoir ».

Les experts des droits humains des Nations unies ont publié une déclaration [1] le 2 février exprimant leur vive préoccupation face à la lenteur des progrès faits par les autorités pour garantir que les auteurs présumés rendent des comptes, deux ans après l’assassinat de Lokman Slim. Comme l’indiquent les experts, « le fait de ne pas engager une enquête rapide et efficace peut constituer en soi une violation du droit à la vie ».

Les enquêtes sur l’explosion massive dans le port de Beyrouth ayant tué plus de 220 personnes le 4 août 2020 se sont transformées en un bras de fer juridique entre Tarek Bitar, le juge d’instruction, et Ghassan Oweidat, le procureur général du Liban.

Amnesty International et d’autres organisations internationales et locales ont mis en lumière le climat d’impunité [2] qui règne dans le pays, les entraves à la justice et l’ingérence politique dans le système judiciaire libanais.

« Les autorités libanaises doivent briser ce cycle d’impunité et amener au plus vite les responsables présumés du meurtre de Lokman Slim devant la justice. L’enquête doit être efficace, transparente, impartiale et indépendante, et ses conclusions doivent être rendues publiques. Une aide médico-légale de la part de la communauté internationale serait également la bienvenue », a déclaré Aya Majzoub.

« Le parlement doit de toute urgence adopter une loi qui garantisse l’indépendance du système judiciaire au Liban, en conformité avec les normes internationales. Le parquet et les forces de sécurité intérieure doivent enquêter sur les fautes et négligences qui auraient été commises par leurs membres dans le cadre de cette enquête, et faire en sorte que les responsables présumés rendent des comptes. Des systèmes doivent être mis en place pour permettre aux membres de la magistrature, du parquet et de la police de déposer en toute sécurité des plaintes à propos de l’ingérence politique dans les poursuites et enquêtes de la justice pénale. »

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