Depuis juillet 2018, les autorités libanaises organisent le retour de réfugié·e·s en Syrie et soutiennent qu’il s’agit d’une démarche totalement volontaire. Cependant, l’analyse réalisée par Amnesty International montre que des personnes sont poussées vers la Syrie sous l’effet conjugué de politiques gouvernementales restrictives, de conditions humanitaires déplorables et d’une discrimination endémique.
« Pour de nombreux réfugié·e·s syriens, la vie au Liban est marquée par la peur, les manœuvres d’intimidation constantes et un sentiment de désespoir. Bien que l’État libanais affirme que les retours en Syrie sont volontaires, des événements comme l’attaque de Deir al Ahmar montrent que le quotidien des réfugié·e·s devient insoutenable, ce qui ne laisse d’autre choix à beaucoup d’entre eux que de rentrer dans leur pays », a déclaré Lynn Maalouf, directrice de la recherche sur le Moyen-Orient à Amnesty International.
L’organisation a constaté que les expulsions forcées, les couvre-feux, les raids constants dans les camps et les arrestations collectives rendaient la vie insupportable à de nombreuses personnes réfugiées au Liban, obligeant nombre d’entre elles à retourner en Syrie malgré les dangers.
« En ne protégeant pas les réfugié·e·s des attaques, du harcèlement ni des manœuvres d’intimidation et en appliquant des politiques iniques et restrictives qui leur rendent la vie plus difficile, les autorités libanaises alimentent une situation qui, de fait, contraint des réfugié·e·s à rentrer en Syrie, où ils risquent d’être interrogés dès leur arrivée, torturés et victimes de disparition forcée ou d’autres violations », a déclaré Lynn Maalouf.
Pour que le retour de réfugié·e·s en Syrie soit véritablement volontaire, il doit reposer sur un consentement libre et éclairé. Or, Amnesty International est convaincue que de nombreux réfugié·e·s syriens qui émettent le souhait de quitter le Liban ne sont pas en mesure de prendre une décision libre et éclairée, ce pour plusieurs raisons : les conditions déplorables dans lesquelles ils vivent au Liban, notamment la difficulté d’obtenir ou de renouveler leur visa de résidence, ce qui les empêche d’accéder pleinement aux services essentiels, et l’impossibilité d’obtenir des informations objectives et à jour sur la situation des droits humains en Syrie.
Par conséquent, les autorités libanaises ne respectent pas leur obligation de ne pas renvoyer de réfugié·e·s dans un endroit où ceux-ci risqueraient de subir des persécutions ou d’autres graves violations des droits humains (obligation de non-refoulement) car elles leur imposent des conditions qui, en réalité, les forcent à quitter le Liban.
Deir al Ahmar
Le 5 juin, les autorités libanaises ont ordonné l’évacuation du camp de Deir al Ahmar, qui accueillait 600 réfugié·e·s, car la situation était tendue depuis qu’un incendie avait eu lieu. Les personnes qui y vivaient s’étaient plaintes de l’arrivée tardive des secours, ce qui avait donné lieu à une altercation avec la population locale. Les travailleurs et travailleuses d’organisations non gouvernementales (ONG) qui étaient présents ont indiqué à Amnesty International que des hommes de Deir al Ahmar avaient menacé de brûler des réfugié·e·s dans leur tente, poussant nombre d’entre eux à fuir immédiatement.
Plus tard dans la soirée, au moins 50 hommes avaient attaqué le camp : ils avaient incendié trois tentes et en avaient démoli deux autres au bulldozer. Ils avaient hurlé des menaces aux réfugié·e·s : « Vous souillez notre sol – dégagez d’ici – brûlez ici et en enfer. » Aucun agent des forces de sécurité en faction n’était intervenu pour arrêter l’attaque. Un jour plus tard, les municipalités de Deir al Ahmar, de villages environnants et de la ville voisine de Baalbek avaient publié une déclaration ordonnant aux réfugié·e·s syriens de quitter Deir al Ahmar « pour leur propre sécurité ».
Aucun village des alentours n’a accepté d’accueillir les réfugié·e·s mais quelque 90 familles sur 120 ont finalement été autorisées, le 10 juin, à s’installer dans le village reculé de Mekna. La grande majorité d’entre elles vivent dehors dans les champs, sans électricité, eau, nourriture ni tentes, et sans aucun service essentiel à proximité.
Des conditions déplorables
Autre élément illustrant à quel point l’atmosphère est devenue hostile aux personnes réfugiées au Liban, le Courant patriotique libre, un parti politique libanais, a organisé une réunion le 8 juin pour mobiliser l’opinion publique contre les réfugié·e·s et demander leur retour dans leur pays. Il a distribué des tracts portant le slogan « La Syrie est un pays sûr et le Liban ne peut plus faire face » et des affiches exhortant la population à « protéger les travailleurs et travailleuses libanais en dénonçant les réfugié·e·s qui violent le droit du travail ».
En avril, le Haut Conseil de défense, un organe militaire libanais, a fixé la date butoir du 10 juin pour la démolition de « toutes les structures semi-permanentes » en ciment et d’une hauteur supérieure à 1,5 mètre construites par des réfugié·e·s syriens dans des camps informels à Arsal, une ville du nord du pays. Selon un travailleur humanitaire en poste à Arsal, les autorités font pression sur les réfugié·e·s pour qu’elles démolissent elles-mêmes ces structures afin d’éviter les images de militaires détruisant de force des logements. Une vidéo examinée par Amnesty International semble montrer une réfugiée en train de démolir à la masse un mur en béton.
Par ailleurs, un document publié le 10 juin par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a révélé que les autorités libanaises avaient durci les restrictions imposées aux réfugié·e·s syriens et aux enfants de moins de 15 ans sollicitant un titre de séjour. Elles ont également émis un nouveau décret ordonnant l’expulsion de toute personne de nationalité syrienne entrée au Liban de façon irrégulière après le 24 avril 2019.
Environ 73 % des réfugié·e·s de Syrie vivent au Liban sans visa de résidence valable, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer les 200 dollars de frais, soit en raison d’un retard de traitement des demandes par les autorités locales. Les réfugié·e·s en situation irrégulière risquent d’être placés en détention et de se voir imposer des restrictions d’accès à des services comme l’éducation et la santé.
Mettre fin aux « retours volontaires »
Amnesty International estime que, compte tenu du contexte coercitif dans lequel les retours en Syrie s’inscrivent, ils ne peuvent être volontaires. Par conséquent, les autorités libanaises ne respectent pas leur obligation au regard du droit international de ne pas renvoyer de réfugié·e·s dans un endroit où ils risqueraient véritablement de subir des persécutions ou d’autres graves violations des droits humains.
À ce jour, les civils qui rentrent chez eux doivent se soumettre à une « vérification de sécurité » qui comprend notamment un interrogatoire par les forces de sécurité syriennes, responsables de violations des droits humains généralisées et systématiques constituant des crimes contre l’humanité, y compris d’actes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées.
« Il faut que l’État libanais élimine de toute urgence l’ensemble des facteurs coercitifs, comme l’impossibilité pour les réfugié·e·s d’obtenir des documents de résidence officiels et d’autres restrictions, ou cesse purement et simplement de renvoyer des réfugié·e·s en Syrie. La communauté internationale, pour sa part, doit mettre à disposition des fonds et des ressources suffisants pour réinstaller les réfugié·e·s et faire pression sur les autorités libanaises pour qu’elles ne renvoient pas de réfugié·e·s en Syrie tant qu’il ne sera pas établi clairement que le pays est sûr et que les droits des personnes qui rentrent seront protégés », a déclaré Lynn Maalouf.
Complément d’information
Le Liban accueille actuellement 938 531 réfugié·e·s syriens enregistrés auprès du HCR et 31 000 réfugié·e·s palestiniens venus de Syrie et enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
En outre, l’État libanais affirme qu’environ 550 000 réfugié·e·s vivent sur son territoire sans être enregistrés.
En mars 2019, la Direction générale de la sécurité a annoncé que 172 046 réfugié·e·s étaient rentrés en Syrie depuis décembre 2017 du fait de l’assouplissement des restrictions administratives et de la facilitation et de l’organisation des retours.