Communiqué de presse

Libye. Aujourd’hui encore, les lois héritées du régime Kadhafi sont invoquées pour réprimer la liberté d’expression

Les restrictions de plus en plus strictes imposées à la liberté d’expression menacent les droits que les Libyens ont revendiqués en renversant le colonel Mouammar Kadhafi, a déclaré Amnesty International à la veille du troisième anniversaire du soulèvement libyen de 2011.

Dernière mesure à ce jour prise par les autorités pour étouffer la dissidence dans le pays : la refonte d’un texte datant du régime Kadhafi qui érige en infraction l’outrage à l’État, à son emblème ou son drapeau. La version modifiée de l’article 195 du Code pénal rend illégales toutes les critiques de la révolution du 17 Février et l’outrage à agent de l’État. Une loi quasi identique élaborée sous le régime de Kadhafi interdisait tous les actes considérés comme une attaque à l’encontre de la révolution Al Fateh et de son guide.

« Il y a trois ans, les Libyens sont descendus dans la rue pour exiger une plus grande liberté et non un autre régime autoritaire, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Ne pas pouvoir critiquer la révolution Al Fateh de Kadhafi ou celle du 17 Février, quelle est la différence ? Ces deux textes sous-entendent qu’on ne peut pas s’exprimer librement et que certains sujets sont tabous.

« Les autorités libyennes se sont engagées dans une voie dangereuse. Cet amendement se réduit à une modification sémantique : le nom d’une révolution a été remplacé par celui d’une autre. C’est un simple “copier-coller” d’un texte des années Kadhafi, qui vise de toute évidence à porter atteinte à la liberté d’expression. Cet article doit être abrogé immédiatement. »

À la fin du conflit libyen, l’article 195 est resté en vigueur, puis a été modifié le 5 février. Aux termes des dispositions modifiées, quiconque insulte publiquement l’exécutif, le pouvoir législatif ou les autorités judiciaires encourt une peine comprise entre trois et 15 années d’emprisonnement.

Le texte érige aussi en infraction les insultes visant les membres du Congrès général national, le Parlement libyen par intérim, qui a voté cet amendement.

« Mouammar Kadhafi avait systématiquement recours à des lois répressives pour réduire au silence ses détracteurs et opposants politiques. Remplacer ces textes par une copie carbone de ceux-ci est une trahison manifeste des aspirations de la révolution du 17 Février », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Dans une déclaration constitutionnelle adoptée peu de temps après le renversement du colonel Kadhafi en août 2011, les autorités de transition avaient promis de garantir le droit à la liberté d’expression.

Au lieu de renforcer la protection de ce droit, elles continuent à utiliser les lois répressives de Kadhafi. L’année dernière, la version antérieure de ce même article avait été invoquée pour poursuivre en justice Amara al Khattabi, journaliste qui avait publié les noms de 84 magistrats qu’il accusait d’être corrompus. Son procès est en cours.

Au moins une personne a été jugée pour « insulte à la révolution », toujours sur la base de cet article, car elle avait comparé les « révolutionnaires » à des « rats » alors qu’elle étudiait à l’étranger pendant le conflit.

Il y a quelques semaines, le Congrès général national a adopté un décret pour interdire la diffusion de toute chaîne télévisée par satellite dont les programmes seraient considérés comme « hostiles à la révolution du 17 Février », ou comme cherchant à déstabiliser le pays ou à provoquer des « dissensions au sein du peuple libyen ».

Le mois dernier, les autorités ont adopté un autre décret qui punit les étudiants et les fonctionnaires libyens qui se livrent à des « activités hostiles à la révolution du 17 Février » en les privant de leurs bourses, de leurs traitements ou de leurs primes. En vertu de ce texte, les ambassades et autorités compétentes sont tenues de communiquer au parquet général le nom des personnes soupçonnées à des fins d’interrogatoire.

Amnesty International craint que les dispositions de ce décret, formulées de façon vague et imprécise, ne soient utilisées pour engager des poursuites contre des Libyens qui ont exprimé publiquement leur opposition au soulèvement et participé aux manifestations de soutien au régime de Kadhafi pendant qu’ils étaient à l’étranger.

« En demandant sans cesse de ne pas porter atteinte à la révolution du 17 Février, les autorités doivent tirer la sonnette d’alarme dans l’esprit de tous les Libyens. Personne ne peut être envoyé en prison simplement pour avoir exprimé ses opinions, même si elles sont considérées comme offensantes », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Amnesty International demande aux autorités libyennes d’abroger immédiatement toutes les lois qui imposent des restrictions abusives sur les libertés d’expression, d’association et de réunion dans le pays.

Même si, le week-end des 8 et 9 février, plusieurs milliers de Libyens ont pu manifester pacifiquement dans tout le pays et donner leur avis sur la période de transition de la Libye et le mandat du Congrès général national, il reste dangereux de communiquer des informations sur des sujets politiques sensibles.

Autre preuve de l’étau qui se resserre autour de la liberté d’expression en Libye, les journalistes sont de plus en plus pris pour cible par les médias d’État et d’autres groupes depuis la fin du conflit. Ils sont en butte à des tentatives d’assassinat, à des enlèvements et à des menaces permanentes, y compris des menaces de mort liées aux informations qu’ils diffusent. La dernière attaque en date a eu lieu le 11 février : le bureau de Tripoli d’Al Assema, chaîne télévisée locale, a essuyé des tirs de roquette. Quelque temps auparavant, le directeur du bureau de Benghazi de la chaîne avait été enlevé pendant une courte période.

Comme dans le cas d’autres exactions commises par des milices, les autorités se montrent incapables d’enquêter sur ces attaques visant des journalistes et de traduire en justice les auteurs présumés de ces actes.

« L’engagement de la Libye envers la liberté d’expression se jugera à la manière dont elle va réagir face aux attaques dont sont victimes les journalistes qui couvrent la crise politique actuelle. Il faut qu’un débat public, y compris sur des sujets sensibles sur le plan politique, puisse se tenir en toute sécurité, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« Les pouvoirs publics sont tenus d’enquêter sur toutes les attaques contre la liberté d’expression et de faire en sorte que ces actes ne restent pas impunis. »

Complément d’information

Liberté d’expression
Les premières autorités de transition avaient déjà tenté de limiter la liberté d’expression, invoquant la protection de la révolution du 17 Février. En mai 2012, le Conseil national de transition avait adopté la loi n° 37 qui incriminait la glorification de l’ancien dirigeant libyen, le colonel Kadhafi.
Certaines dispositions de ce texte reposaient sur l’article 195 du Code pénal. Cette loi prévoyait des peines d’emprisonnement contre les auteurs de rumeurs, d’actes de propagande et de fausses informations visant à nuire à la défense nationale ou à « semer la panique dans la population », mais sanctionnait également quiconque portait atteinte à la révolution du 17 Février, offensait l’Islam, l’État et ses institutions, ou « portait publiquement outrage au peuple libyen ». Elle a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême un mois plus tard.

Attaques visant des journalistes
Le nombre de médias a augmenté dans la « nouvelle Libye ». Trois ans plus tard, certains d’entre eux sont contraints de pratiquer l’autocensure, tandis que des journalistes ont parfois dû démissionner en raison des violations et des attaques de plus en plus nombreuses à leur encontre.

Au moins deux journalistes ont été tués par des tirs ciblés. Ezzedine Kousad, présentateur de la chaîne télévisée Al Hurra, a été abattu en août 2013 alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture, à Benghazi. Radwan al Gharyani, responsable de la station de radio Tripoli FM, a lui aussi été tué par balle en décembre 2013, dans un quartier de Tripoli.

Le 6 février, le bureau de Benghazi de Libya Al Ahrar, une chaîne télévisée locale, a été victime d’une tentative d’effraction. Les assaillants, dont on ignore l’identité, ont ouvert le feu sur le bâtiment. La même nuit, les locaux de Libya Awwalan TV ont eux aussi été attaqués. Les deux événements pourraient être liés.

Craignant de subir le même sort et ayant reçu plusieurs menaces, le personnel de la chaîne télévisée Al Assema a décidé d’évacuer son bureau de Benghazi. Mohamed Al Sureet, directeur du bureau, avait été enlevé pendant une courte période le 5 février, alors qu’il couvrait une attaque contre des membres de la Saiqa, unité des forces spéciales libyennes, déployés devant l’hôpital al Jalaa. Il a été relâché sain et sauf 10 heures plus tard.

Amnesty International craint que ces attaques récentes ne soient liées aux activités de ces médias qui relaient des informations sur la crise politique actuelle.

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