Libye. Début du procès de personnes ayant critiqué le gouvernement.

Déclaration publique

MDE 19/009/2007

Au moment où s’ouvre le procès de 12 personnes détenues en lien avec un projet de manifestation contre les autorités en février 2007, Amnesty International demande au gouvernement libyen d’ouvrir une enquête complète, impartiale et indépendante sur les informations indiquant qu’au moins deux de ces 12 personnes auraient été soumises à la torture ; ces personnes doivent également avoir droit à un procès équitable.

Amnesty International remarque aussi avec préoccupation que ces 12 personnes sont détenues au secret sur une période prolongée depuis leur arrestation en février 2007, et qu’elles sont punies de fait pour leur opposition politique pacifique ou leurs critiques du gouvernement. Si cela est exact, notre organisation les considèrerait comme des prisonniers d’opinion et demanderait leur libération immédiate et inconditionnelle.

Idriss Boufayed, un chirurgien libyen anciennement exilé en Suisse, et secrétaire général de l’Union nationale pour la réforme (NUR) aurait été le premier des 12 à être arrêté. Il aurait été appréhendé le 16 février à son domicile de Gheryan, vers 1 heure du matin, par des représentants de l’Agence de sûreté intérieure. Idriss Boufayed avait publié, avec al Mahdi Saleh Hmeed, Ahmed Youssef al Obaidi et Bashir Qasem al Hares, un communiqué sur un site Web d’information annonçant qu’ils prévoyaient une manifestation pacifique à Tripoli le 17 février, pour commémorer le premier anniversaire de l’homicide d’au moins 12 personnes (des dizaines d’autres ayant été blessées) lors d’une manifestation à Benghazi. Les autorités libyennes ont annoncé en 2006 qu’au moins dix policiers de haut rang avaient été inculpés en lien avec cet épisode, mais ils n’ont toujours pas été traduits en justice à la connaissance d’Amnesty International.

Juma Boufayed, le frère d’Idriss Boufayed, a décrit son arrestation lors d’un entretien téléphonique avec le site Web d’informations Libya al Mostakbal. Selon lui, le jour de l’arrestation d’Idriss Boufayed, un groupe d’hommes armés est arrivé au domicile familial et a frappé à la porte, avant de l’enfoncer comme personne ne répondait, emmenant son frère. Juma Boufayed aurait reconnu le policier apparemment responsable de l’opération : c’était le chef d’une branche locale de l’Agence de sûreté intérieure. Juma Boufayed ignorait où ils avaient emmené son frère, ajoutant qu’il craignait lui aussi d’être arrêté, en raison des informations qu’il avait révélées dans son entretien et d’autres communications téléphoniques. Juma Boufayed aurait été arrêté quelques heures plus tard.

Al Mahdi Saleh Hmeed aurait été arrêté dans l’après-midi du 16 février. Quelques heures plus tôt, la maison de son père avait été incendiée par un groupe de jeunes gens, apparemment en lien avec les autorités, qui auraient également agressé des membres de sa famille. Ses frères Adel Saleh Hmeed, Ali Saleh Hmeed, Faraj Saleh Hmeed et al Sadeq Saleh Hmeed ont également été arrêtés.
Les deux autres organisateurs de la manifestation, Ahmed Youssef al Obaidi et Bashir Qasem al Hares, auraient été arrêtés le 16 ou le 17 février avec d’autres personnes, comme Alaa al Drissi et les écrivains Jamal al Hajji et Farid Mohammed al Zwai. Toutes ces personnes auraient été arrêtées et placées en détention en lien avec leur projet de manifestation pacifique ou leurs critiques récentes du gouvernement sur Internet.

Ces 12 personnes seraient encore toutes en détention. Le 20 avril, plus de deux mois après leur arrestation, Ahmed Youssef al Obaidi, Adel Saleh Hmeed, Ali Saleh Hmeed, Faraj Saleh Hmeed, al Mahdi Saleh Hmeed et al Sadeq Saleh Hmeed auraient été inculpés par un tribunal du district de Tajoura à Tripoli, pour des infractions comme : tentative de renverser le système politique, détention d’armes et d’explosifs dans l’intention de mener des activités subversives, et communication avec des puissances ennemies. Les accusés auraient été transférés à la prison al Jadida à Tripoli, où ils seraient détenus à l’isolement. Selon certaines informations, le tribunal de Tajoura est un tribunal spécial, plutôt qu’un tribunal pénal régulier.

Idriss Boufayed, Juma Boufayed, Alaa al Drissi, Jamal al Hajji, Bashir Qasem al Hares et Farid Mohammed al Zwai seraient détenus à la prison d’Ain Zara à Tripoli, après avoir été détenus semble-t-il pendant au moins deux mois dans un centre de détention dirigé par l’Agence de sûreté intérieure dans Sikka Street, à Tripoli. Amnesty International a reçu des informations indiquant qu’ils avaient été inculpés par le même tribunal de Tajoura à Tripoli, pour des chefs d’inculpation similaires. Selon certaines informations, le procès de ces 12 personnes s’est ouvert le 24 juin.

Amnesty International est particulièrement préoccupée d’informations selon lesquelles au moins deux des détenus, Faraj Saleh Hmeed et al Mahdi Saleh Hmeed, auraient subi la torture en détention. Lors d’un interrogatoire au moins, ils auraient été frappés à coups de poing et de bâton, soumis à la falaqa (coups assénés sur la plante des pieds) et placés dans un cercueil en guise d’intimidation ; en conséquence, ils ont dû recevoir des soins médicaux.

Dans une lettre envoyée ce 2 juillet à Mustapha Abdeljelil, secrétaire du Comité populaire général de la justice du gouvernement libyen, Amnesty International a demandé aux autorités que les 12 détenus soient tous traités humainement, soient protégés de la torture et autres mauvais traitements, reçoivent un accès rapide à leur avocat, à leur famille et à des soins médicaux si nécessaire, et puissent remettre en cause la légalité de leur détention devant un tribunal, dans le respect des obligations de la Libye aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Amnesty International a également demandé des détails sur les chefs d’inculpation précis pesant sur les 12 accusés, ainsi que sur la nature du tribunal de Tajoura à Tripoli, devant lequel ces personnes seraient traduites. En outre, Amnesty International a demandé aux autorités que toute procédure judiciaire soit menée dans le respect complet des normes internationales pour un procès équitable.

Contexte

En Libye, les journalistes, les écrivains et les militants politiques qui critiquent les autorités ou essayent d’organiser des réunions ou manifestations pour protester contre le gouvernement courent le risque d’être arrêtés et placés en détention, et de subir d’autres formes d’intimidation ou de harcèlement.

Idriss Boufayed, qui aurait été le premier des 12 accusés à être arrêté le 16 février, avait reçu le statut de réfugié en Suisse et n’était rentré en Libye qu’en septembre 2006, après avoir reçu un passeport et semble-t-il des assurances de l’ambassade libyenne de Berne qu’il ne courrait aucun danger auprès des autorités. Idriss Boufayed avait déjà été arrêté le 5 novembre 2006 et détenu au secret jusqu’au 29 décembre 2006, apparemment sans inculpation. Au cours de sa détention, les autorités n’auraient pas indiqué à sa famille la raison de son arrestation ni l’endroit où il se trouvait. Amnesty International a écrit aux autorités libyennes le 21 décembre 2006 pour exprimer ses craintes qu’Idriss Boufayed soit un prisonnier d’opinion. Le 15 janvier 2007, Idriss Boufayed a publié une déclaration dans laquelle il s’engageait à continuer la lutte pour une « Libye moderne et démocratique ».

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