Cette militante bien connue a été abattue chez elle, à Benghazi, ville de l’est du pays, le 25 juin 2014. Son assassinat avait amorcé une dégradation de la sécurité pour les défenseures des droits humains, qui se poursuit depuis.
« L’assassinat de Salwa Bugaighis a marqué un tournant négatif pour les femmes en Libye qui cherchaient à participer activement à la vie publique et politique au lendemain du soulèvement de 2011, a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Après 2014, la situation en termes de sécurité s’est dégradée pour l’ensemble des Libyens, mais les femmes ont été particulièrement touchées. Le fait que personne n’ait eu à rendre des comptes pour cet assassinat a révélé au grand jour le climat d’impunité pour les violences visant les femmes militantes, ce qui en a incité certaines à se retirer de la société civile libyenne et d’autres à quitter le pays. »
Les meurtriers de Salwa Bugaighis, des inconnus vêtus d’uniformes militaires et portant des cagoules, n’ont toujours pas été identifiés.
Le jour de son assassinat, Salwa venait tout juste de voter lors des élections générales libyennes. Son époux, Essam al Ghariani, a également été kidnappé ce jour-là et on ignore toujours où il se trouve.
L’incapacité des autorités libyennes à diligenter une enquête digne de ce nom sur cet assassinat, malgré leurs promesses, revenait à dire aux membres des groupes armés qu’ils pouvaient s’en prendre à d’autres défenseures des droits humains sans craindre de répercussions.
Ce fut notamment le cas de Fariha Al Berkawi, ancienne membre du Congrès de Derna, tuée le 17 juillet 2014, et de la militante des droits humains Entisar El Hassari, supprimée en février 2015.
Dans ces deux cas, les autorités libyennes ont affirmé que les homicides n’étaient pas motivés par des considérations politiques et n’ont pas mené d’investigations transparentes et adéquates.
Laila Mughrabi, défenseure des droits humains contrainte de fuir la Libye après avoir été la cible de menaces et d’attaques, a déclaré à Amnesty International : « Pour chacune de ces femmes assassinées, les autorités et la société... ont attribué [leur mort] à un vol dans le cas de Salwa, à un héritage dans le cas d’Intisar et à un crime d’" honneur " dans celui de Naseeb (la journaliste de télévision Naseeb Kernafa, tuée en mai 2014).
« Considérer ces femmes comme des acteurs politiques au même titre que des hommes n’est pas une option [pour les autorités] et leurs assassinats sont alors résumés à des crimes et rien de plus. »
Amnesty International a recensé de nombreux exemples de violences fondées sur le genre et d’atteintes aux droits humains ciblant des défenseures des droits humains en Libye – attaques, enlèvements, violences sexuelles et campagnes de diffamation sur les réseaux sociaux notamment.
« Depuis le meurtre de Salwa Bugaighis et les assassinats qui ont suivi, nous avons constaté une multiplication des violences fondées sur le genre contre les femmes qui continuent de lutter en faveur de l’inclusion politique, a déclaré Heba Morayef.
« La réponse inadaptée des autorités témoigne d’une tolérance à l’égard de cette violence, tandis que les normes sociales conservatrices protègent les responsables de ces crimes. »
Les femmes en Libye se heurtent à d’énormes obstacles pour participer à la vie publique et politique, malgré des avancées initiales après la chute du régime de Kadhafi.
En outre, les groupes armés agissent au-dessus des lois et bafouent les droits fondamentaux en toute impunité, ce qu’aggrave le manque de volonté flagrant des autorités libyennes à amener les auteurs présumés à rendre des comptes.
« L’insécurité en Libye ne saurait excuser la négligence des autorités vis-à-vis de la situation épouvantable des droits des femmes. Elles doivent mettre fin aux violations visant celles qui défendent ces droits, mener des enquêtes efficaces sur les crimes dont elles sont victimes et remettre en cause les normes sociales qui les excluent de tout engagement public.
« La Libye doit agir afin de s’acquitter de ses obligations internationales en termes de droits humains et surtout protéger tous ses citoyens – et lutter contre la discrimination envers les femmes qui perdure à tous les niveaux de la société. »
Amnesty International demande une nouvelle fois au gouvernement libyen d’enquêter dûment sur la mort de Salwa Bugaighis et d’amener les responsables présumés de son homicide à rendre des comptes dans le cadre d’un procès équitable, sans recourir à la peine de mort.