LIBYE. Des événements récents mettent en évidence la nécessité d’enquêter sur les homicides perpétrés dans la prison d’Abou Salim

Déclaration publique

Index AI : MDE 19/006/2010

ÉFAI- 30 avril 2010

Amnesty International a déclaré vendredi 30 avril que l’altercation entre des familles de prisonniers tués en juin 1996 dans la prison d’Abou Salim et l’ancien coordinateur d’une organisation représentant les familles des personnes tuées dans des affrontements avec des groupes armés islamistes met en évidence la nécessité pour les autorités libyennes d’aborder sans délai les séquelles du passé.

Les autorités n’ont toujours pas révélé la vérité sur les événements qui se sont déroulés les 28 et 29 juin 1996 dans la prison d’Abou Salim et au cours desquels quelque 1 200 prisonniers auraient été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Les familles des victimes continuent de manifester pour connaître la vérité et obtenir justice ainsi qu’une réparation appropriée.

Durant une manifestation organisée le 17 avril 2010 à Benghazi, des manifestants ont eu une altercation avec Mouftah Badri, ancien coordinateur de l’organisation Pour ne pas oublier, qui fait campagne en faveur des droits des personnes tuées ou blessées pendant les années 1990 dans des affrontements avec des groupes armés islamistes.

Dans le cadre des affrontements entre ces groupes et les forces de sécurité, les autorités libyennes avaient arrêté de manière arbitraire plusieurs milliers de personnes parmi lesquelles figuraient des membres et des sympathisants présumés de groupes armés, dont beaucoup auraient ensuite été tués dans la prison d’Abou Salim en 1996.

Selon des témoins oculaires, Mouftah Badri a insulté les manifestants et il les a attaqués avec une machette. Le site d’information libyen Al Manara basé à l’étranger a diffusé des photos de cet homme qui brandissait une machette face aux manifestants. Selon certaines sources, des membres des forces de sécurité présents sur les lieux ne seraient pas intervenus. À la suite de cette attaque, Fathi Tourbil, président du Comité d’organisation des familles des victimes d’Abou Salim à Benghazi, a dû recevoir trois points de suture à l’arrière de la tête. En sortant de l’hôpital il s’est rendu au poste de police de Madina avec des membres de familles de victimes pour déposer une plainte contre Mouftah Badri. Une fois sur place ils ont constaté que Mouftah Badri avait déjà déposé une plainte contre trois manifestants – Fathi Tourbil, Faraj al Sharani et Walid al Abar – accusés de participation à une rixe et de coups et blessures.

Le parquet de Madina qui dépend du parquet de Benghazi-Nord a ouvert une information judiciaire sur les plaintes. Plusieurs membres des familles de victimes ont été entendus, dont Fathi Tourbil, Faraj al Sharani et Walid al Abar qui ont été laissés en liberté sous contrôle judiciaire en attendant la fin des investigations. Ils doivent se présenter deux fois par semaine devant un représentant du parquet de Benghazi-Nord.

Les avocats de ces hommes affirment que Mouftah Badri ne s’est pas présenté devant le parquet de Madina alors qu’il y avait été convoqué. Selon le quotidien Cerene, il nie les accusations formulées contre lui et affirme que les manifestants l’ont agressé et insulté. Il aurait également déclaré que son père, qui était membre des forces de l’ordre, avait été tué par des individus qui étaient au nombre de ceux morts en 1996 dans la prison d’Abou Salim.
Amnesty International appelle les autorités libyennes à faire en sorte qu’une enquête approfondie, indépendante et impartiale soit diligentée sur les événements du 17 avril 2010, notamment sur les allégations selon lesquelles les forces de sécurité ne seraient pas intervenues, et à traduire en justice les responsables selon une procédure conforme aux normes internationales d’équité.

L’absence d’enquête signifierait que les familles des victimes de la prison d’Abou Salim risquent de faire l’objet de représailles pour avoir réclamé publiquement le respect de leurs droits. Les autorités doivent également prendre des mesures concrètes pour garantir le respect absolu du droit à la liberté d’expression et de réunion des familles des détenus tués dans la prison d’Abou Salim. L’organisation exhorte à nouveau les autorités libyennes à répondre aux demandes légitimes des familles de connaître la vérité et d’obtenir justice et une réparation appropriée. En qualité d’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le gouvernement libyen est tenu de révéler la vérité à propos des homicides perpétrés dans la prison d’Abou Salim, de traduire les responsables en justice et d’accorder aux familles une réparation adéquate comprenant, entre autres, une indemnisation.

Complément d’information

La reconnaissance officielle des événements qui se sont déroulés en 1996 dans la prison d’Abou Salim n’a eu lieu que huit ans plus tard quand le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a admis en février 2004 lors d’une rencontre avec une délégation d’Amnesty International que des homicides avaient été commis. Aucune enquête approfondie, indépendante et impartiale n’a été effectuée à ce jour et aucun responsable n’a été traduit en justice. Les autorités ont annoncé, en 2009, la désignation d’une commission chargée d’enquêter sur les faits, mais aucun détail n’a été fourni sur son mandat ni sur les conclusions des investigations. Elles ont proposé d’indemniser les familles des victimes à condition qu’elles renoncent à exercer des voies de recours judiciaires.

De nombreuses familles de victimes, particulièrement à Benghazi, n’étaient pas d’accord avec la manière dont les autorités voulaient régler la question des homicides commis dans la prison d’Abou Salim.

À Benghazi, un groupe de 30 familles dont les proches avaient été arrêtés à des dates différentes depuis 1989 et qui étaient sans nouvelles d’eux ont intenté une procédure en justice. En juin 2008, la chambre civile du tribunal de première instance de Benghazi-Nord a ordonné aux autorités d’informer officiellement les familles du sort de 33 personnes dont on craignait qu’elles ne soient mortes en détention en 1996 dans la prison d’Abou Salim ou dans d’autres lieux. Cette décision n’a pas été exécutée à ce jour.

Les familles réclament de plus en plus activement leurs droits depuis le second semestre de 2008, probablement encouragées par le fait que le tribunal a reconnu la légitimité de leurs revendications ainsi que par les appels de Saif al Islam Kadhafi, un des fils du chef de l’État, et de la Fondation internationale Kadhafi pour le développement pour que des mesures soient prises en vue de régler la question de ces homicides. Il est révélateur qu’en Libye, où la liberté d’association et de réunion est soumise à des restrictions sévères tant dans la législation qu’en pratique, les familles des victimes de la prison d’Abou Salim organisent régulièrement des manifestations à Benghazi pour exprimer leurs revendications. Bien que les autorités tolèrent généralement ces rassemblements, certains des manifestants les plus actifs font l’objet de harcèlement et d’intimidation, et notamment de menaces par téléphone, de surveillance, de restrictions à leurs déplacements, voire d’arrestation. C’est ainsi que cinq proches de prisonniers tués à Abou Salim, dont Fathi Tourbil, ont été arrêtés en mars 2009 et maintenus au secret à la suite de manifestations ; ils ont été libérés quelques jours plus tard sans avoir été inculpés ni jugés.

Des affrontements armés qui avaient éclaté à la mi-1995 entre des groupes armés islamistes, dont Al Jamaa al Islamiya al Muqatila (Groupe islamique combattant libyen), et les forces de sécurité dans l’est du pays, et particulièrement à Benghazi et à Derna, ont fait de nombreuses victimes dans les deux camps. Les combats auraient continué de manière sporadique jusqu’à la fin des années 1990. Amnesty International condamne sans réserve les attaques délibérées contre des civils et les attaques aveugles qui démontrent un mépris total pour le droit à la vie.

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