Amnesty International engage les autorités libyennes à tenir immédiatement leur promesse d’enquêter sur l’homicide d’Abd al Salam al Mismari, militant politique et avocat tué le 26 juillet à Benghazi. L’enquête doit être approfondie et indépendante, et les enquêteurs doivent disposer de toutes les prérogatives et ressources nécessaires pour la mener à bien, y compris pour protéger les témoins. Les autorités doivent également assurer la protection d’autres militants en danger.
Si la Libye ne garantissait pas la justice dans cette affaire, qui semble être le premier homicide ciblé d’un militant pour des raisons politiques, elle créerait un précédent dangereux, susceptible d’avoir un effet dévastateur sur l’action vitale menée par la société civile libyenne, y compris par les défenseurs des droits humains.
Abd al Salam al Mismari a reçu une balle en plein cœur tirée par un individu depuis un véhicule stationné devant la mosquée Abu Ghoula, dans le quartier de Birka de Benghazi. Il est décédé avant d’arriver à l’hôpital.
Abd al Salam al Mismari a participé à la création de la Coalition du 17 février, mouvement qui a coordonné les différentes forces d’opposition à Benghazi lors du soulèvement qui a entraîné la chute du gouvernement du colonel Kadhafi. Au cours des derniers mois, il avait critiqué ouvertement les Frères musulmans et participé activement à l’organisation de manifestations pacifiques contre les attaques de milices visant des institutions publiques, recueillant des informations sur les violations dont elles se rendaient coupables à l’encontre de manifestants et demandant l’instauration de l’état de droit.
Sous le régime de Kadhafi, Abd al Salam al Mismari avait joué un rôle important après le massacre de plus de 1 200 détenus de la prison d’Abou Salim, en 1996, soutenant les demandes de vérité et de justice des familles des victimes.
Amnesty International s’inquiète de ce que, à ce jour, les autorités n’aient pas mené d’enquêtes effectives sur toute une série d’homicides, à caractère semble-t-il politique, commis depuis 2011 dans l’est du pays, en particulier dans les villes de Derna et de Benghazi. D’après des organisations libyennes de défense des droits humains, au moins 50 anciens membres ou membres actuels des forces de sécurité, dont la plupart avaient travaillé dans les différents services de sécurité qui existaient sous le régime de Kadhafi, ont été visés par des engins explosifs depuis août 2011. Un certain nombre d’entre eux ont trouvé la mort. Par exemple, le 30 octobre 2012, Khaled al Safi al Adli, membre d’un comité révolutionnaire sous le régime de Kadhafi, a été abattu à Derna par des inconnus. Deux membres des forces de sécurité, un colonel de l’armée de l’air à la retraite et un haut gradé de la police, ont eux aussi été abattus le jour où Abd al Salam al Mismari a été tué.
Si les autorités libyennes ne mènent pas d’enquête effective sur l’homicide d’Abd al Salam al Mismari, elles contribueront à créer une atmosphère d’impunité et de non-droit, et laisseront la porte ouverte à d’autres homicides illégaux et attaques contre les institutions judiciaires du pays. Deux jours après le meurtre d’Abd al Salam al Mismari, deux attentats à l’explosif coordonnés ont eu lieu dans le nord de Benghazi, infligeant de lourds dégâts à un tribunal, aux locaux du ministère public et aux bureaux du ministère de la Justice installés dans la ville. Perpétrés dimanche 28 juillet, dans la soirée, ces attentats ont fait 43 blessés d’après le ministère de la Santé. Quelques jours auparavant, le 23 juillet, une explosion s’était produite devant l’enceinte d’un tribunal de Syrte, entraînant la destruction partielle du bâtiment.
Amnesty International salue l’engagement pris publiquement par le gouvernement d’enquêter sur l’homicide d’Abd al Salam al Mismari et de traduire les auteurs de cet acte en justice. L’organisation note également que le Premier ministre a annoncé que son gouvernement demanderait une aide technique médicolégale à la communauté internationale, et que les autorités ont procédé sans délai à l’examen du lieu de l’homicide. Elles doivent toutefois poursuivre leur action dans ce sens, en veillant à ce que les enquêteurs disposent des prérogatives, des compétences et des ressources nécessaires, et puissent notamment garantir une véritable protection des témoins. Par ailleurs, elles doivent protéger les défenseurs des droits humains et les militants politiques qui sont de plus en plus souvent la cible de menaces et de manœuvres d’intimidation de la part notamment de milices.