Libye. Fin de la première mission d’Amnesty International dans le pays depuis cinq ans

Déclaration publique

Une équipe d’Amnesty International a effectué une mission de recherche en Libye du 15 au 23 mai 2009 ; il s’agissait de la première visite de l’organisation que les autorités libyennes autorisaient depuis 2004.

Pendant cette mission, facilitée et rendue possible par la Fondation Kadhafi pour les organisations caritatives dirigée par Saif al Islam Kadhafi, les délégués d’Amnesty International ont évoqué avec des hauts responsables gouvernementaux les problèmes des droits humains qui préoccupent l’organisation depuis de nombreuses années ; ils ont aussi rencontré des représentants d’institutions de la société civile et des prisonniers détenus pour des raisons de sécurité ou en tant que migrants illégaux. Des responsables de la sécurité en Libye ont cependant interdit à deux délégués d’Amnesty International de se rendre à Benghazi, comme cela était prévu, pour y rencontrer les proches de victimes de disparitions forcées et ne les ont pas autorisés non plus à rencontrer plusieurs prisonniers.

Lors des rencontres avec des hauts responsables gouvernementaux, dont les secrétaires des Comités populaires généraux (ministères) de la Justice et de la Sécurité publique (Intérieur), le président de la Haute Cour et d’autres responsables de la justice, Amnesty International a cherché à obtenir plus d’informations sur les pouvoirs et les pratiques des forces de sécurité et plus particulièrement de l’Agence de sécurité intérieure ; l’organisation a insisté sur la nécessité de soumettre les forces de sécurité à une surveillance indépendante et à l’obligation de rendre des comptes. Actuellement, l’Agence de sécurité intérieure semble disposer de pouvoirs illimités en ce qui concerne l’arrestation, la détention et les interrogatoires des personnes soupçonnées de dissidence ou de menace à la sécurité ; elle peut les détenir au secret pendant des périodes prolongées sans les autoriser à prendre contact avec un avocat, en violation des garanties pourtant minimes du Code de procédure pénale de la Libye. Ces détenus peuvent alors être inculpés d’atteintes à la sécurité publique puis jugés par la Cour de sûreté de l’État (créée en 2007), qui applique une procédure contraire aux normes internationales d’équité des procès et qui aurait, dans certains cas, siégé dans les locaux de la prison d’Abou Salim, à Tripoli.

Amnesty International a exhorté les autorités à prendre des mesures concrètes pour empêcher les actes de torture et les autres formes de mauvais traitements à l’encontre des prisonniers et en particulier des personnes détenues au secret pour être interrogées, qui sont particulièrement en danger ; elle leur a demandé d’apporter des éclaircissements sur le sort des victimes de disparitions forcées.

À Tripoli, les délégués d’Amnesty International ont été autorisés à rencontrer des personnes détenues à la prison d’Al Jdayda (administrée par Comité populaire général de la Justice), et à celles d’Aïn Zara et d’Abou Salim, qui semblent être sous le contrôle du Comité populaire général de la Sécurité publique. Amnesty International n’a pas été autorisée à rencontrer plusieurs autres prisonniers au motif que leur affaire était encore devant les tribunaux.

À la prison d’Abou Salim, tristement célèbre pour avoir été le théâtre en 1996 d’une tuerie au cours de laquelle plusieurs centaines de prisonniers auraient été tués par des surveillants dans des circonstances qui restent confuses, Amnesty International a interrogé plusieurs prisonniers incarcérés après avoir été renvoyés en Libye par les dirigeants des États-Unis et de pays européens entre 2005 et 2007. Pour certains, considérés comme des suspects dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », ce renvoi est intervenu après avoir été longtemps détenus de manière clandestine par les États-Unis, dans des centres de détention secrets. Selon la presse libyenne, un autre prisonnier détenu dans des circonstances similaires, Ali Mohamed Abdelaziz Al Fakheri (alias Ibn Al Sheikh Al Libi) se serait suicidé le 10 mai 2009 à la prison d’Abou Salim, où il était détenu depuis son renvoi en Libye à la fin de l’année 2005 ou au début de l’année 2006. Les autorités libyennes n’ont pas autorisé les délégués d’Amnesty International à interroger les surveillants qui travaillaient à la prison au moment de la mort de cet homme, ni le médecin légiste ayant examiné son corps ; les délégués n’ont pas pu, non plus, obtenir de copie du rapport d’autopsie.

Parmi les prisonniers d’Abou Salim interrogés par Amnesty International se trouvait un ancien détenu de Guantánamo, à Cuba, renvoyé en Libye par les autorités américaines en 2007. Un autre ancien détenu de Guantánamo également incarcéré à la prison d’Abou Salim a refusé d’être interviewé par Amnesty International. Le maintien en détention d’anciens détenus de Guantánamo libérés par les autorités américaines avant d’être renvoyés en Libye incite à craindre que d’autres Libyens toujours détenus à la base américaine ne soient eux aussi immédiatement arrêtés et détenus sans inculpation ni jugement, ou à l’issue d’un procès inique, s’ils sont renvoyés en Libye par le gouvernement américain actuel.

Amnesty International s’est également rendue à environ 200 km de Tripoli, où elle a interrogé brièvement certains des centaines de migrants clandestins en provenance d’autres pays d’Afrique qui sont entassés au centre de détention de Misratah. Un grand nombre de ces migrants ont été interceptés alors qu’ils cherchaient à se rendre en Italie, ou dans un autre pays du sud de l’Europe ayant demandé à la Libye et à d’autres pays d’Afrique du Nord de retenir les migrants illégaux en provenance de l’Afrique sub-saharienne pour les empêcher de se rendre en Europe.

Fait préoccupant, le centre de Misratah, comme la prison d’Abou Salim à Tripoli, semble être contrôlé par le Comité populaire général de la Sécurité publique plutôt que par la justice et ne relever de ce fait ni du procureur général ni d’aucune autre instance judiciaire. Il est possible qu’il y ait parmi les personnes détenues à Misratah des réfugiés fuyant des persécutions, mais la Libye ne dispose pas de procédure d’asile et n’est pas un État partie à la Convention relative au statut des réfugiés et à son Protocole de 1967 ; des étrangers, y compris ceux nécessitant une protection internationale, risquent de ne pas bénéficier de la protection de la loi. Les détenus n’ont pratiquement aucune possibilité de porter plainte devant une autorité judiciaire compétente pour actes de torture ou autres formes de mauvais traitements.

Amnesty International a fait part aux responsables gouvernementaux qu’elle a rencontrés en Libye de son inquiétude au sujet de la détention et des mauvais traitements qui seraient infligés aux centaines, voire aux milliers, d’étrangers que les autorités assimilent à des migrants illégaux, et elle leur a demandé de mettre en place une procédure pour identifier et protéger adéquatement les demandeurs d’asile et les réfugiés. De même, Amnesty International a demandé aux autorités libyennes de ne plus renvoyer de force des ressortissants étrangers vers des pays où ils risquent de graves violations des droits humains, et de trouver une meilleure solution que la détention pour les étrangers qu’elles ne peuvent pas renvoyer dans leur pays d’origine pour ces raisons. Certains des ressortissants érythréens, qui constituent une part importante des ressortissants étrangers détenus à Misratah, ont indiqué à la délégation d’Amnesty International qu’ils se trouvaient là depuis deux ans.

Au cours de cette visite, la délégation a appris avec tristesse la mort du prisonnier d’opinion Fathi el Jahmi ; cet homme était détenu depuis mars 2004 en Libye et avait été envoyé de toute urgence, au début du mois de mai 2009, recevoir des soins médicaux dans un hôpital à Amman en Jordanie, où il est décédé. L’organisation s’était inquiétée auparavant de ce que la détérioration de l’état de santé de cet homme pouvait être due à sa détention prolongée, dont de longues périodes se déroulaient au secret, et au déni de soins médicaux appropriés dont il aurait été victime aux mains des autorités libyennes. La cause précise de son décès et les circonstances entourant la dégradation de son état de santé au centre médical de Tripoli où il était détenu depuis juillet 2007 devront être clarifiées, au moins pour les membres de sa famille.

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