Libye. Il faut enquêter sur des morts en détention


Déclaration publique

MDE 19/006/2006

Amnesty International demande aux autorités libyennes de mener une enquête complète, impartiale et indépendante sur les allégations d’usage excessif de la force par des responsables du maintien de l’ordre lors de troubles à la prison d’Abou Salim, ce mercredi 4 octobre à Tripoli, faisant au moins un mort et neuf blessés chez les détenus.

Dans une lettre envoyée aux autorités libyennes ce vendredi 6 octobre, Amensty International a exprimé ses graves préoccupations concernant cet épisode, et a demandé confirmation de l’ouverture d’une enquête, et des clarifications sur sa nature, sa portée, ses méthodes et ses responsables.

Selon les informations d’Amnesty International, l’épisode a eu lieu après le retour de 190 détenus à la prison d’Abou Salim, après une audience d’un tribunal à Tripoli. Le tribunal aurait confirmé la décision du Tribunal populaire, désormais aboli, condamnant ces détenus pour appartenance à une organisation interdite, ou liens avec celle-ci. Cette organisation serait le Groupe islamiste combattant libyen. Le tribunal a confirmé les peines précédentes prononcées par le Tribunal populaire, imposant la peine de mort à quelque 20 accusés et de longues peines de prison aux autres.

À leur retour en détention, certains détenus ont exigé de rencontrer de hauts responsables de l’établissement. Une altercation s’en est suivie entre des détenus et certains gardiens. Selon certains témoignages, à ce stade, l’administration de la prison a fait appel à des forces de sécurité extérieures à l’établissement pour aider les gardiens à contrôler la situation.

Il semble que cette situation se soit aggravée, et qu’entre 14 heures et 15 heures, des membres des forces de l’ordre aient tiré sur des détenus avec des grenades lacrymogènes, puis à balles réelles. Amnesty International n’a pu déterminer avec certitude si ces tirs provenaient des gardiens de la prison, des forces de sécurité appelées en renfort, ou des deux. Un détenu, Hafed Mansur Al Zwai, aurait reçu une balle dans la tête et serait mort peu après. Un autre détenu, Rida Al Hariri, aurait été extrait de la prison dans un état critique après avoir été blessé par balle ; il aurait été emmené à un centre de soins intensifs d’un hôpital. Huit autres détenus, Abd Al Munem Ahmad Abd Al Rahman, Hafed Al Amani, Fadlallah Al Arabi, Al Sanussi Al Bashari, Ayman Al Busufi, Ashraf Al Fazzani, Abd Al Wahab Al Katshi et Khaled Al Mansuri ont été blessés et transportés à l’hôpital pour y recevoir des soins. D’autres détenus auraient reçu des blessures par balle et pourraient encore se trouver dans un état grave.

Par la suite, ce même jour, une délégation comprenant notamment les hauts responsables de la sécurité Abdullah Sanussi et Al Muatassim Al Gaddafi se serait rendue à la prison d’Abou Salim, et, avec le directeur de la prison Abd Al Hamid Al Sayah, aurait rencontré un groupe composé de plusieurs représentants des prisonniers. La délégation officielle aurait exprimé ses regrets pour les blessures et le décès occasionnés, et informé les détenus que certaines mesures seraient prises en réaction à cet événement, comme un changement de personnel parmi les gardiens de prison.

À la connaissance d’Amnesty International, aucun commentaire officiel n’a été fait sur cet épisode, mais Hamed Abu Jabira, rédacteur d’ Al Zahf Al Akhdar (La marche verte), un journal dirigé par le Mouvement des comités révolutionnaires, a accordé un entretien à la chaîne de télévision Al Jazeera le soir du 4 octobre. Dans cet entretien, il confirmait qu’une altercation avait opposé certains détenus à des gardiens de la prison d’Abou Salim, et indiquait qu’une commission d’enquête sur cet événement avait été créée.

Dans sa lettre aux autorités libyennes, Amnesty International a demandé l’assurance que toute enquête sur cet épisode sera menée dans le respect des normes internationales relatives aux droits humains, comme les Principes des Nations unies sur la prévention des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires. Notre organisation a également demandé que soit menée sans délai une évaluation des pratiques des forces de l’ordre dans les prisons, afin de s’assurer que leurs instructions respectent les normes internationales relatives aux droits humains, comme le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ; ces forces de l’ordre doivent également recevoir une formation adéquate dans ce domaine.

Contexte
Le procès qui s’est achevé ce 4 octobre s’est déroulé devant un tribunal ad hoc de Tripoli. Ce tribunal s’était vu ordonner de rejuger l’affaire de quelque 190 prisonniers par la Cour suprême de Libye, qui avait réexaminé et annulé les condamnations originelles, après l’abolition du Tribunal populaire en janvier 2005. Un nombre important de ces détenus auraient été arrêtés dans la seconde moitié des années 1990, et semble-t-il maintenus en détention prolongée au secret. Certains détenus affirment que les déclarations qu’ils auraient faites pendant l’enquête concernant leur affaire leur auraient été extorquées sous la torture ou par des mauvais traitements.

La prison d’Abou Salim est située dans un complexe de la police militaire, dans la zone d’Abou Salim, une banlieue de Tripoli. Elle possède un statut pénitentiaire unique, car elle est dirigée par la Sûreté intérieure, plutôt que le Comité populaire général de la Justice. Des centaines de prisonniers politiques y ont été détenus ces dernières années.

La prison d’Abou Salim a été le théâtre d’homicides de masse de détenus en juin 1996, qui auraient entraîné jusqu’à 1 200 morts. Les autorités libyennes ont commencé par nier qu’un tel événement avait eu lieu, mais le dirigeant libyen, le colonel Kadhafi, a reconnu en avril 2004 que ces homicides avaient effectivement eu lieu. Les autorités ont déclaré à des délégués de Human Rights Watch visitant la Libye en mai 2005 qu’une enquête avait été ouverte sur cet épisode, mais aucun détail n’a été fourni sur la durée, la nature, la portée, les méthodes ou les responsables de cette enquête.

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