Libye. Les attaques visant les résidents de Misratah donnent à penser que des crimes de guerre ont été commis

Communiqué de presse

6 mai 2011

Il est possible que les attaques lancées par les forces loyales au colonel Kadhafi contre des zones civiles et résidentielles de Misratah constituent des crimes de guerre, a déclaré Amnesty International vendredi 6 mai dans un nouveau rapport sur la situation affligeante des habitants de cette ville assiégée.

Ce document, intitulé Misratah : Under Siege and Under Fire, accuse les forces du colonel Kadhafi d’avoir exécuté des civils de manière extrajudiciaire en lançant contre eux des attaques aveugles au moyen, notamment, de l’utilisation de pièces d’artillerie lourde, de roquettes et de bombes à sous-munitions dans des zones civiles et de tireurs embusqués sommés de faire feu sur les résidents.

Il fait également état d’informations indiquant que les autorités ont systématiquement ouvert le feu sur les manifestants pacifiques et fait subir des disparitions forcées à des individus perçus comme des opposants, ce qui pourrait s’apparenter à des crimes contre l’humanité.


« L’ampleur des attaques incessantes que l’on voit les forces de Mouammar Kadhafi mener depuis plus de deux mois contre les résidents de Misratah afin de les intimider est véritablement effrayante »
, a déclaré Donatella Rovera, conseillère d’Amnesty International actuellement en Libye.
« La force employée démontre un mépris total pour la vie de ces personnes ordinaires et est en violation flagrante du droit international humanitaire. »
Amnesty International a exhorté Tripoli à mettre immédiatement fin aux attaques menées sans discrimination et aux attaques directes visant des civils ou des biens à caractère civil.

Depuis que Misratah a proclamé son allégeance aux forces de l’opposition en février, les forces du colonel Kadhafi ont utilisé leurs positions autour de la ville et dans le centre afin de lancer des attaques aveugles incessantes contre les quartiers résidentiels de la ville.

Des dizaines de résidents n’ayant pris part à aucun affrontement armé ont été tués et des centaines d’autres blessés, dans une grande proportion par des roquettes Grad de 122 mm, tirées de manière non discriminante depuis des dizaines de kilomètres, et par des tirs de mortier et des obus de 155 mm.

Les roquettes, mortiers et obus sont conçus pour contrer des attaques massives d’infanterie ou des véhicules blindés. En vertu du droit international humanitaire, aucune de ces armes ne devrait être utilisée dans des zones résidentielles peuplées, sous quelque circonstance que ce soit.
Tôt le matin du 14 avril, une dizaine de résidents ont été tués et de nombreux autres blessés, lorsque plusieurs salves de roquettes ont plu sur le quartier de Qasr Ahmad à Misratah. Un grand nombre des victimes faisaient la queue devant une boulangerie.

Le 15 avril, Amnesty International a trouvé des éléments attestant que des mortiers contenant des bombes à sous-munitions étaient utilisés dans des zones résidentielles, notamment dans le centre ville.

L’organisation a déclaré que les bombes à sous-munitions, qui ne peuvent faire de distinction entre civils et soldats, ne doivent être employées sous aucun prétexte et que leur utilisation dans des zones résidentielles est une violation flagrante de l’interdiction des attaques sans discrimination énoncée par le droit international.

Amnesty International a également déterminé que des tireurs embusqués ont été utilisés par les forces du colonel Kadhafi pour viser les résidents des zones se trouvant sous le contrôle des combattants de l’opposition, les empêchant d’aller et venir librement.

Ibrahim Ahmad al Dernawi, un père de trois enfants âgé de 33 ans, a été abattu au domicile de ses parents, vraisemblablement par un tireur embusqué. Son père a déclaré à Amnesty International :
« Il tenait son fils de six mois sur ses genoux alors que nous parlions. Soudain j’ai entendu un bruit de verre cassé mais la fenêtre n’a pas volé en éclats. Puis j’ai vu du sang couler sur le visage de mon fils. Il est mort sur le coup. »

De nombreux résidents sont restés coincés pendant des semaines dans des secteurs proches de la zone de combat, en particulier autour de la rue de Tripoli, ne pouvant sortir de peur d’être pris pour cible par les tireurs.
Amnesty International a par ailleurs recueilli des éléments donnant à penser que les forces du colonel Kadhafi utilisent des boucliers humains. Dans le quartier de Gheiran, au sud-ouest du centre-ville, des tanks ont été postés à côté d’immeubles civils, visiblement dans le but de les mettre à l’abri de possibles frappes aériennes.

Cette pratique est une violation du droit international humanitaire et constitue un crime de guerre.

Amnesty International attire par ailleurs l’attention sur la situation désespérée de milliers de migrants restant bloqués au port de Misratah, de plus en plus souvent pris pour cibles par les forces loyales au colonel Kadhafi, ces dernières s’efforçant de priver les résidents encore en ville de ce dernier lien vital avec le monde extérieur.

Mercredi 4 mai, quatre membres d’une famille originaire du Niger, deux enfants de moins de deux ans et leurs oncle et tante, ont été tués lors d’une attaque à la roquette alors qu’ils attendaient qu’on les évacue de Misratah.
Amnesty International a demandé à la communauté internationale de soutenir l’ouverture d’enquêtes internationales sur les violations des droits humains et atteintes au droit international humanitaire commises en Libye, s’adressant en particulier à la Cour pénale internationale (CPI) et à la Commission d’enquête établie par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Mercredi 4 mai, Luis Moreno-Ocampo, procureur de la CPI, a déclaré au Conseil de sécurité des Nations unies qu’il demanderait aux juges de la Cour de délivrer des mandats d’arrêt contre trois personnes pour des crimes contre l’humanité perpétrés en Libye.

« La population de Misratah n’a eu nulle part où aller afin d’obtenir protection ou soutien ces derniers mois », a ajouté Donatella Rovera.
« La communauté internationale doit apporter tout le soutien requis – financier, juridique et matériel – aux organes essayant de traduire en justice les auteurs présumés de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Misratah et ailleurs en Libye. »


Complément d’information

Les informations présentées dans le rapport intitulé Misratah : Under Siege and Under Fire proviennent des constats d’un délégué d’Amnesty International qui se trouvait à Misratah du 14 au 20 avril. Ce document s’appuie également sur une visite effectuée par Amnesty International en Tunisie entre les 6 et 20 avril, au cours de laquelle des délégués ont rencontré des résidents blessés de Misratah et leur famille, qui avaient été évacués afin de recevoir des soins.

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