Libye. Les six membres du personnel soignant doivent être libérés

Déclaration publique

MDE 19/002/2007

Amnesty International demande aux autorités libyennes de libérer les six professionnels de la santé condamnés à mort le 19 décembre 2006, après avoir été reconnus coupables d’avoir délibérément infecté par le virus VIH 426 enfants, dont 57 sont morts du SIDA depuis.

Amnesty International lance cet appel pour un certain nombre de raisons. D’abord, notre organisation estime que ces professionnels de la santé – un médecin palestinien et cinq infirmières bulgares – se sont désormais vu refuser le droit à un procès équitable à deux reprises, malgré les demandes répétées d’Amnesty International et d’autres, depuis plusieurs années, pour que ce droit fondamental soit respecté. Ensuite, notre organisation estime qu’après un tel délai, ces personnes ont peu de chances d’être jugées dans le respect des normes internationales pour un procès équitable. Enfin, il n’existe guère ou pas d’élément concluant prouvant que les condamnés ont délibérément infecté des enfants par le virus VIH, ce qui laisse à penser que ces ressortissants étrangers ont été accusés à tort de responsabilité dans la tragédie qui s’est produite à l’hôpital pour enfants al Fateh de Benghazi.

Dans une lettre envoyée ce mardi 30 janvier à Mustapha Abdeljelil, secrétaire du Comité populaire général de la justice du gouvernement libyen, Amnesty International a développé les inquiétudes qu’elle a exprimées par rapport aux condamnations à mort et au jugement ayant conduit à leur prononciation, dans un communiqué de presse suivant immédiatement ce verdict : Les condamnations à mort prononcées contre des membres du personnel soignant étranger doivent être annulées (index AI : 19/007/2006).

Ce faisant, Amnesty International a souligné deux points relatifs au contexte de cette affaire. Tout d’abord, notre organisation a noté des remarques faites par de hauts responsables libyens, selon lesquelles les condamnations à mort pourraient toujours être révisées par la Cour suprême du pays, ou annulées par le Conseil suprême des organes judiciaires. Amnesty International sait que la Cour suprême a annulé des condamnations à mort lors du premier procès des six professionnels de la santé, et espère qu’elle pourra examiner cette affaire une nouvelle fois de manière rapide, indépendante et impartiale.

Ensuite, Amnesty International a souligné qu’elle comprenait la colère et l’anxiété des familles des enfants infectés par le VIH, ayant rencontré leurs représentants et leurs avocats lors de sa visite en Libye, en février 2004. Notre organisation a clairement fait savoir qu’elle reconnaissait le droit et le devoir des autorités libyennes de traduire en justice toute personne responsable de l’infection de centaines d’enfants par le VIH et de la mort de 57 d’entre eux ayant contracté le SIDA. Cependant, Amnesty International a également rappelé qu’il ne sera possible d’établir la vérité sur ces événements tragiques et de rendre justice aux familles touchées que par un processus donnant droit à un procès équitable pour les accusés.

En ce qui concerne les peines prononcées, Amnesty International considère la peine de mort comme le châtiment cruel, inhumain et dégradant ultime, et s’oppose à son application en toutes circonstances. Notre organisation a publiquement salué la réduction du nombre d’exécutions en Libye ces dernières années, et a noté le fait encourageant que de hauts responsables libyens ont à plusieurs reprises affirmé leur intention d’abolir la peine de mort. Amnesty International renouvelle son appel aux autorités libyennes afin qu’elles déclarent immédiatement que les condamnations à mort prononcées dans cette affaire ne seront jamais exécutées.

En ce qui concerne le procès, Amnesty International est toujours préoccupée de son caractère inéquitable, contrairement aux normes du droit international relatif aux droits humains ; ce bilan est partagé par le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, qui a également demandé aux autorités libyennes de ne pas exécuter les six professionnels de la santé.

Tout d’abord, des aveux qui auraient été extorqués sous la torture ont été utilisés comme élément à charge. Lors du premier comme du deuxième procès, les professionnels de la santé ont nié les charges pesant sur eux et témoigné à plusieurs reprises que leurs « aveux » leur avaient été extorqués sous la torture lors de leur détention provisoire. Certaines de ces déclarations vigoureusement contestées ont servi d’élément à charge contre les accusés et ont contribué à les faire condamner.

Les six professionnels de la santé affirment avoir été torturés à plusieurs reprises après leur arrestation en janvier 1999, afin de leur faire « avouer » les crimes dont ils étaient accusés, puis menacés de nouvelles tortures pour leur faire confirmer ces « aveux » aux autorités judiciaires enquêtant sur l’affaire. Les accusés affirment qu’ils avaient trop peur pour signaler la torture lors de leur première année de détention, pendant laquelle ils ne disposaient que d’un accès intermittent au monde extérieur, à cause des menaces brandies par leurs geôliers de les torturer à nouveau. Ces accusés soutiennent que malgré tout, ils ont fait part de leurs allégations au tribunal à la première occasion.

Ces allégations de torture ont fait l’objet d’une enquête, mais celle-ci n’a pas été menée promptement, et des examens médicaux n’ont été ordonnés que trois ans après les actes de torture présumés. En outre, le procès ayant conduit à l’acquittement des dix accusés de torture a été marqué par des irrégularités, selon Amnesty International. D’un côté, le tribunal a accepté que soit réfuté le témoignage d’un médecin qui aurait trouvé des traces de « coercition physique » et de « coups » sur les corps des accusés ; cette réfutation a été effectuée par un autre médecin, qui ne les avait même pas examinés. De l’autre côté, des avocats étrangers représentant les infirmières bulgares affirment qu’ils n’ont pas eu accès à leurs clientes, n’ont pas eu la permission de les rencontrer alors qu’ils l’avaient demandée à plusieurs reprises, et n’ont pu obtenir leurs visas pour participer à des audiences essentielles du procès, en mai 2005.

Ensuite, le tribunal a rejeté la demande des avocats des professionnels de la santé de permettre à des experts médicaux internationaux de témoigner à la barre pour présenter les raisons pour lesquelles ils estiment que les six accusés ne pouvaient pas être coupables du crime qui leur était imputé. Dans une lettre ouverte au dirigeant libyen Muammar Khadafi, 114 prix Nobel de science ont demandé que ces éléments scientifiques soient pris en compte dans le procès. Amnesty International craint que le refus du tribunal de permettre à ces experts de témoigner ne viole le droit des accusés de faire comparaître et d’interroger des témoins, principe fondamental du droit de la défense, aux termes du droit international relatif aux droits humains.

Tout en notant la décision du tribunal, selon lequel le témoignage des experts médicaux internationaux n’était pas nécessaire étant donné celui des experts médicaux libyens, Amnesty International estime que ces dépositions de spécialistes internationaux auraient dû être prises en considération. En 2006, de nouveaux éléments essentiels sont apparus, confirmant apparemment les conclusions présentées par les experts du SIDA Luc Montagnier et Vittorio Colizzi lors du premier procès, selon lesquelles les infections avaient été provoquées par l’hygiène insuffisante de l’hôpital, avaient débuté avant que les accusés ne commencent à y travailler et s’étaient répandues après leur départ. Ces événements sont d’autant plus importants que des experts médicaux internationaux ont récemment fait paraître dans la publication scientifique Nature des rapports récents remettant en cause l’analyse rédigée par cinq experts médicaux libyens en 2003, qui avait joué un rôle essentiel dans la plaidoirie de l’accusation lors des deux procès.

Contexte

Le médecin palestinien Ashraf Ahmad Juma Al Hajouj et les infirmières bulgares Valya Georgieva Tchervenyachka, Snejana Ivanova Dimitrova, Nassya Stoytcheva Nenova, Valentina Manolova Siropoulo et Kristiana Venelinova Valtcheva sont en détention depuis 1999. Ils ont tout d’abord été condamnés à mort par peloton d’exécution en mai 2004, après avoir été reconnus coupables d’avoir délibérément infecté 426 enfants par le virus VIH à l’hôpital pour enfants al Fateh, à Benghazi. Ces condamnations à mort ont été annulées le 25 décembre 2005 par la Cour suprême, qui a ordonné que les accusés soient de nouveau jugés après avoir noté des « irrégularités » lors de leur arrestation et leur interrogatoire. Ce nouveau procès a commencé le 11 mai 2006 devant un tribunal pénal de Benghazi, s’achevant sur leur condamnation à mort le 19 décembre 2006.

Ce verdict a déclenché des réactions vigoureuses au sein de la communauté internationale. L’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan a exprimé sa profonde préoccupation devant ces condamnations avant de quitter ses fonctions à la fin de 2006 ; il a offert le soutien des Nations unies dans tous les efforts pour répondre aux besoins des enfants infectés et pour trouver une solution humaine au sort des six professionnels de la santé. Le programme conjoint des Nations unies sur le VIH/SIDA (UNAIDS) a demandé que les condamnations à mort fassent l’objet d’une révision judiciaire, à la lumière d’éléments montrant que le virus circulait avant l’arrivée des six accusés.

L’Union européenne a exprimé sa grave inquiétude quant au fondement de l’accusation visant les accusés, à leur traitement en détention et à la longueur excessive du processus judiciaire, tandis que l’Union africaine et la Ligue arabe ont demandé à toutes les parties de ne pas politiser le procès ni la tragédie des enfants infectés.

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