LITUANIE. L’enquête sur les allégations concernant les prisons secrètes de la CIA doit être efficace et impartiale

Déclaration publique

ÉFAI-
28 août 2009

Amnesty International se réjouit de ce que la présidente lituanienne Dalia Grybauskaité a annoncé le 25 août 2009 que son gouvernement allait enquêter sur les allégations selon lesquelles la Lituanie a hébergé une prison secrète où des agents des Services de renseignements américains (CIA) ont interrogé des terroristes présumés dans les années qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Les autorités lituaniennes doivent veiller à ce que cette enquête soit exhaustive, efficace et impartiale.

Dans une émission diffusée le 20 août, la chaîne de télévision basée aux États-Unis ABC News a cité des sources anonymes de la CIA, selon lesquelles la Lituanie avait mis à disposition un centre de détention hors de la capitale, Vilnius, où des détenus «  de grande valeur » ont été incarcérés et interrogés en secret jusque fin 2005. D’après ces sources, jusqu’à huit terroristes présumés ont été accueillis sur le site durant cette opération. Ces révélations ont incité la présidente Dalia Grybauskaité à demander la mise sur pied d’une commission parlementaire spéciale chargée d’examiner cette question.

La Lituanie est le dernier pays européen accusé d’avoir collaboré avec le gouvernement américain pour incarcérer et interroger secrètement des terroristes présumés, en les soumettant à des disparitions forcées et, pour nombre d’entre eux, à des techniques d’interrogatoire s’apparentant à des actes de torture et autres mauvais traitements, en violation du droit américain, européen et international. Selon les commissions d’enquête du Parlement européen et du Conseil de l’Europe, ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG) et les médias, la Pologne et la Roumanie ont également accueilli des prisons secrètes de la CIA. Les investigations menées par ces pays ont été émaillées d’obstacles, des agences gouvernementales de premier plan ayant refusé de coopérer pleinement au processus d’enquête.

Amnesty International exhorte les autorités lituaniennes à ne pas reproduire les erreurs des autres gouvernements européens et à mener une enquête approfondie, efficace, indépendante et impartiale sur le rôle présumé des représentants de l’État lituanien, sur l’utilisation du territoire aux fins de détentions secrètes et de disparitions forcées, et sur l’éventuelle implication d’agents lituaniens dans d’autres graves atteintes aux droits humains, dont des actes de torture. Il convient de mener ces investigations dans la plus grande transparence et de rendre publiques leur portée, leur méthodologie et leurs conclusions. Les audiences doivent être publiques et toute requête visant à ne pas divulguer un élément de preuve doit être traitée par une autorité indépendante du pouvoir exécutif lituanien.

Dans les autres pays, l’absence de transparence n’a pas permis d’établir toutes les responsabilités quant à l’implication européenne dans ces pratiques abusives. En Pologne, le procureur de l’État a ouvert une enquête en septembre 2008 sur le rôle de la Pologne dans la mise à disposition de la CIA d’une prison secrète à la base militaire de Stare Kiejkuty, près de l’aéroport de Szymany, dans le nord-est du pays. Cependant, le gouvernement polonais n’a pas pleinement coopéré à cette enquête, invoquant le « secret d’État » pour ne pas divulguer des éléments clés et faisant valoir que ces révélations pourraient menacer la sécurité nationale. En Roumanie, une commission d’enquête mise sur pied par le gouvernement en 2006 a conclu qu’aucune prison secrète n’avait été mise en service sur le territoire roumain, en dépit des vives critiques d’Amnesty International concernant le caractère nettement insuffisant des investigations, l’absence de transparence quant à la portée et les méthodes employées dans le cadre des enquêtes, et le manque de coopération des autorités roumaines.

Le Conseil de l’Europe et le Parlement européen ont publié des rapports circonstanciés sur la participation des États européens aux programmes de « restitution » et de détention secrète de la CIA et invité les États membres à mener des enquêtes exhaustives sur les allégations de complicité dans ces graves violations des droits fondamentaux. Dans une déclaration publiée le 21 août 2009, le sénateur suisse Dick Marty, rapporteur spécial sur les détentions secrètes pour la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a indiqué que ses propres sources confidentielles semblaient confirmer la présence d’une prison secrète en Lituanie. Dick Marty a engagé les gouvernements européens à « dire la vérité » en assumant leur participation à cet « épisode honteux » et à ne pas invoquer à tort et à travers le « secret d’État » dans le but d’empêcher toute la lumière d’être faite.

Quant au ministre américain de la Justice Eric Holder, il a annoncé le 24 août que son ministère lancerait un examen préliminaire sur certains interrogatoires de détenus menés dans le cadre du programme de détentions secrètes, préludant ainsi à une plus grande obligation de rendre des comptes des deux côtés de l’Atlantique. Une enquête indépendante et impartiale du gouvernement lituanien sur les allégations concernant l’existence d’une prison secrète sur son territoire pourrait montrer l’exemple au reste de l’Europe et conduire à cette responsabilisation.

Pour en savoir plus sur le travail d’Amnesty International sur les « restitutions » et les détentions secrètes dans le cadre de la lutte mondiale contre le terrorisme, voir :

Rôle de l’Europe dans les « restitutions » et les détentions secrètes : les gouvernements nient la réalité ;

Royaume-Uni/États-Unis. Les révélations sur les vols secrets via Diego Garcia soulignent la nécessité d’une enquête approfondie , Communiqué de presse, 22 février 2008 ;

Toujours aucune action du Comité des ministres du Conseil de l’Europe au sujet des « restitutions » et des détentions secrètes : à quand une décision ? ;

« Restitutions » dans l’Union européenne : un fait avéré, pas une fiction .

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