Le procureur général de Lituanie a rejeté une requête le priant d’enquêter sur la possible détention secrète en Lituanie de Mustafa al Hawsawi, Saoudien actuellement incarcéré à Guantánamo Bay, a annoncé Amnesty International le jeudi 3 octobre. Dans une lettre adressée aux organisations non gouvernementales (ONG) Redress et Human Rights Monitoring Institute (HRMI), qui avaient présenté cette requête le 13 septembre au nom de Mustafa al Hawsawi, le procureur général a affirmé que ces ONG n’avaient pas « prouvé » que le Saoudien ait été transféré en Lituanie entre 2004 et 2006, ni qu’il y ait été illégalement maintenu en détention et torturé.
« Le procureur général confond le rôle de la société civile et son propre rôle. Son travail à lui consiste à mener une enquête efficace, à examiner tous les éléments de preuve, à convoquer des témoins et à effectuer des examens scientifiques. Seul l’État détient les éléments relatifs à ce qui s’est produit en Lituanie en rapport avec le centre d’Antaviliai : il s’agissait d’un site protégé par le secret, et le procureur est bien le seul à pouvoir obtenir ces informations. C’est donc à lui de mener une investigation sur des allégations crédibles, ce n’est pas aux ONG d’en apporter la preuve », a souligné Julia Hall, spécialiste de la lutte contre le terrorisme et des droits humains pour Amnesty International.
« Rejeter la requête de Mustafa al Hawsawi revient à violer l’obligation absolue qui incombe à la Lituanie, qui doit enquêter sur tout cas de torture et de disparition forcée ; de surcroît, c’est un manquement choquant aux obligations du procureur général », a ajouté Julia Hall.
Dans sa lettre à Redress et à HRMI, le procureur général a également mentionné l’enquête préliminaire menée entre janvier 2010 et janvier 2011, centrée sur les vols de « restitution » et sur deux sites qui, selon une commission parlementaire lituanienne, auraient été mis sur pied par l’Agence centrale du renseignement (CIA) avec l’aide de responsables lituaniens de la sécurité et du renseignement. Cette enquête a été interrompue brutalement, les autorités affirmant n’avoir reçu aucun élément qui aurait prouvé que des personnes auraient été détenues en Lituanie ; par ailleurs, de toute façon, l’enquête était couverte par le secret d’État. S’il a été mis fin à cette enquête, c’est aussi parce que le parquet soutenait que le délai de prescription était écoulé quant aux accusations portées contre d’anciens responsables du renseignement. Les autorités ont refusé en septembre 2011 d’enquêter sur des allégations formulées par l’ONG Reprieve, selon lesquelles Abu Zubaydah, autre détenu de Guantánamo, avait été détenu en secret par la CIA en Lituanie en 2005.
« La première “enquête” a été totalement insuffisante. On a su récemment que les représentants du parquet avaient passé à peine plus d’une heure à examiner les sites concernés, qu’ils n’avaient effectué aucun examen scientifique des indices, et que, d’une manière générale, ils n’avaient eu recours à aucune technique classique d’investigation. Les membres du parquet ne doivent pas attendre de “recevoir” des preuves, ils sont censés les rechercher activement et les mettre au jour. Soit ces carences révèlent la faiblesse des méthodes pratiquées par les services du procureur, soit il y a une raison plus profonde pour que la Lituanie n’ait pas mené d’enquête efficace », a affirmé Julia Hall.
Le gouvernement lituanien préside actuellement le Conseil de l’Union européenne.
« Les Lituaniens ont eu maintes occasions de prouver leur engagement en faveur des droits humains et de l’Etat de droit, et pourtant ils font régulièrement le choix de se mettre à l’abri en évitant de répondre de graves violations des droits humains. Cette attitude est particulièrement regrettable, à l’heure où la Lituanie exerce la présidence de l’Union européenne et devrait montrer l’exemple aux autres États membres. Les autorités ont envoyé un message dangereux, selon lequel on pourrait à bon droit faire fi d’accusations de torture et de disparition forcée et bénéficier de l’impunité associée à ces tactiques d’obstruction », a conclu Julia Hall.
Des représentants d’Amnesty International, de Reprieve, de Redress et de HRMI étaient à Vilnius la semaine dernière pour y rencontrer des membres du gouvernement lituanien. Le 26 septembre, les services du procureur général ont indiqué à Amnesty International qu’ils examinaient la requête de Mustafa al Hawsawi. La lettre adressée à Redress et HRMI par les services du procureur pour les informer du rejet de la requête est datée du 27 septembre. Redress et HRMI ont l’intention de faire appel de cette décision.