Madagascar : Surpopulation à la prison de Tsiafahy : prévenus et condamnés vivent « en enfer »

Les autorités malgaches doivent cesser immédiatement d’envoyer des détenus en détention provisoire à la prison de haute sécurité de Tsiafahy, décongestionner cet établissement et améliorer nettement les conditions de détention, a déclaré Amnesty International le 12 février 2018. En octobre 2017, la population carcérale s’élevait à 988 prisonniers, soit trois fois la capacité d’accueil de cette prison, dont près de la moitié étaient dans l’attente de leur procès, parfois depuis des années.

Les conditions à la prison de Tsiafahy sont totalement inacceptables et constituent des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, absolument prohibés par le droit international. Elles bafouent également la Constitution et les lois malgaches, et particulièrement le Décret 2006-015, qui prévoit que Tsiafahy ne devrait accueillir que des prisonniers condamnés, purgeant des peines de réclusion à perpétuité ou considérés comme dangereux.

Des conditions de détention inhumaines

En Aout 2017, une délégation d’Amnesty International s’est rendue à la prison de Tsiafahy et a constaté que les prisonniers sont enfermés dans des cellules sombres, accueillant chacune plus de 200 détenus, alors que la capacité est fixée à 70. Deux plateformes de béton dans chaque cellule servent de lits, où les prisonniers dorment entassés, sans couverture ni ventilation. Les cellules font 12 mètres de long, sur cinq de large et cinq de haut. D’après les normes internationales, entre autres, « chaque détenu doit disposer [...] d’un lit individuel et d’une literie individuelle suffisante, qui doit être propre au moment où elle est délivrée, entretenue convenablement et renouvelée de façon à en assurer la propreté ». Elles prévoient aussi que l’espace minimum disponible doit être de 3,4 m2 par personne pour le logement en cellule partagée ou en dortoir. Les prisonniers à Tsiafahy ont environ trois fois moins d’espace que ce qui est prévu par ces normes. Les prisonniers interrogés par Amnesty International ont déclaré que la surpopulation et le manque de ventilation ont des conséquences dramatiques pour leur santé. La nuit, ils peuvent à peine respirer tellement leur cellule est surpeuplée et doivent dormir sur le côté du fait du manque de place.

Il incombe au gouvernement de protéger la vie, le bien-être et les droits humains de tous les prisonniers et de veiller à ce que les conditions carcérales respectent les normes internationales relatives aux droits humains. Or, les conditions de détention dans la prison de haute sécurité du pays violent les dispositions légales internationales prohibant les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que Madagascar est tenu de respecter, notamment en tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’interdiction de la torture est également inscrite à l’article 8 de la Constitution de Madagascar. Les droits fondamentaux des prisonniers, notamment le droit de disposer d’un logement adéquat, d’une nourriture adéquate et appropriée, d’installations pour l’hygiène personnelle et sanitaires, d’une literie, de vêtements et de soins médicaux, sont systématiquement bafoués, et plusieurs prisonniers ont déclaré vivre « en enfer ».

Le personnel carcéral a informé Amnesty International qu’au moment de sa visite, six prisonniers se trouvaient dans cinq cellules disciplinaires à titre de sanction, dont quatre à l’isolement et deux placés dans la même cellule. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a demandé que la pratique de l’isolement ne soit plus utilisée en détention provisoire, car elle crée une pression psychologique qui peut conduire les détenus à faire des déclarations où ils s’accusent eux-mêmes. Pourtant, l’un des six détenus placés à l’isolement au moment où Amnesty International s’est rendue dans la prison était en détention provisoire.

Le gouvernement a reconnu que la prison de Tsiafahy ne gère pas correctement les nombreux détenus en détention provisoire. Questionné sur leur présence à Tsiafahy, en violation des lois malgaches, le président du tribunal d’Antananarivo a répondu : « La difficulté, c’est qu’à Madagascar, nous sommes victimes de l’insécurité. Tsiafahy étant le seul établissement d’où il est difficile de s’évader, c’est là que les détenus sont
envoyés. Mais le problème est que Tsiafahy est sur le point d’exploser. » Du fait du caractère absolu et inaliénable de l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui n’autorise aucune restriction au titre de circonstances exceptionnelles, ce motif invoqué, pas plus qu’un autre, ne saurait justifier l’incarcération dans de telles conditions, qu’il s’agisse de prévenus ou de condamnés.

À Tsiafahy, les détenus en détention provisoire ne sont pas séparés des prisonniers déjà condamnés. Ils sont enfermés dans des cellules exiguës et insalubres, ce qui va à l’encontre de leur condition de personnes non condamnées, censées jouir du droit d’être présumées innocentes. Ce droit est établi par l’article 14(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui prévoit explicitement de séparer les prévenus des condamnés (article 10-2-a). La règle 11 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) prévoit un système de classification et de séparation des détenus en différentes catégories, notamment sur la base « des motifs de leur détention et des exigences de leur traitement » et énonce explicitement que « [L]es prévenus doivent être séparés des condamnés ». L’absence de séparation entre prévenus et prisonniers condamnés va à l’encontre du Code de procédure pénale de Madagascar, qui établit que les inculpés et les prévenus soumis à la détention provisoire doivent être détenus dans des établissements séparés ou dans des quartiers séparés, et de l’article 13 de la Constitution, qui garantit la présomption d’innocence.

Un employé expérimenté de la prison a déclaré à Amnesty International que Tsiafahy était l’établissement le plus difficile dans lequel il ait jamais travaillé. Interrogé sur la présence de prévenus, il a déclaré : « Beaucoup de problèmes sont liés aux détenus incarcérés pour des affaires correctionnelles : leur expérience ici les transforme. »

Autre motif de préoccupation à Tsiafahy, les autorités ne tiennent pas compte de la nécessité de prendre des mesures de sécurité nécessaires et proportionnées pour chaque prévenu ou prisonnier condamné. Au lieu de cela, elles imposent des mesures de haute sécurité de manière habituelle, en se basant sur un risque général présumé, fondée exclusivement sur la décision de les envoyer dans cette prison. En conséquence, une personne qui ne représente pas de réelle menace pour la sécurité peut être détenue sous le régime de détention le plus strict de Madagascar. Des personnes dans l’attente de leur procès sont ainsi traitées de la même manière que des personnes reconnues coupables de crimes graves. Cela porte gravement atteinte au droit des suspects à la présomption d’innocence tant qu’ils n’ont pas été reconnus coupables. Au moment où Amnesty International s’est rendue sur place, plusieurs détenus attendaient leur procès depuis plus de quatre ans. L’article 14(3)(c) du PIDCP dispose clairement que toute personne inculpée d’une infraction pénale a le droit d’être « jugée sans retard excessif ». Une détention provisoire d’une telle durée bafoue également le droit de ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire, garanti par l’article 9(1) du PIDCP.

Par ailleurs, les lignes directrices du Comité international de la Croix-Rouge concernant les établissements pénitentiaires fixent comme spécification au moins un WC pour 25 détenus. Or, à Tsiafahy, il n’y a qu’un WC par cellule, pour environ 200 personnes. Les toilettes ne fonctionnaient pas lorsqu’Amnesty International s’est rendue sur place et il n’y avait pas d’eau courante, ce qui signifie qu’il n’était pas possible de tirer les chasses d’eau. En outre, l’accès à l’eau potable et à l’électricité est très limité.

Tous les détenus avec lesquels Amnesty International s’est entretenue ont signalé des problèmes de santé liés à la surpopulation et à l’absence de soins médicaux adaptés. Ils se sont plaints du manque d’air et de la chaleur insupportable la nuit en raison de l’absence de ventilation, de la présence de rats du fait des conditions d’insalubrité et de la difficulté d’obtenir des traitements médicaux adaptés en cas de besoin. Ils ont déclaré que ceux qui sont atteints de tuberculose sont enfermés dans une cellule séparée et doivent verser des pots-de-vin pour se rendre à l’hôpital.

L’accès à une nourriture appropriée est extrêmement limité, la prison ne fournissant aux détenus que des rations de manioc. Le manioc est un aliment insuffisant, en termes de quantité et de qualité, car il n’a pas la valeur nutritionnelle nécessaire ou suffisante pour vivre. Les prisonniers dépendent donc des visites des familles pour se nourrir correctement. Certains ont déclaré que leurs proches ne sont pas informés de leur détention et qu’ils doivent travailler pour d’autres prisonniers afin d’acheter de la nourriture à l’intérieur de la prison.

D’après les prisonniers, la corruption est très répandue, les gardiens prennent une partie de la nourriture apportée par les familles et exigent de l’argent pour conduire un détenu malade à l’hôpital.

Pas de recours effectif

Autre lacune majeure à Tsiafahy, les prévenus et les prisonniers condamnés ne disposent pas de recours effectif pour contester leur placement initial dans cette prison de haute sécurité et il leur est difficile, une fois à l’intérieur, d’obtenir leur transfert vers un établissement au régime moins sévère.

Malgré l’adoption d’un décret en 2009 visant à permettre aux détenus de bénéficier d’une aide juridique, l’accès à une aide juridique gratuite à Tsiafahy est inexistant et le droit de bénéficier des services d’un avocat est bafoué. En conséquence, la plupart des prévenus ne peuvent pas consulter d’avocat pour préparer leur procès.

En 2002, Amnesty International a fait part de ses préoccupations quant aux conditions de détention à Tsiafahy, soulignant qu’elles pouvaient constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et étaient de nature à mettre en péril la vie des prisonniers. À l’époque, le gouvernement avait assuré que l’une de ses priorités était d’améliorer les conditions de détention. Cependant, 16 ans plus tard, il semble qu’elles aient empiré.

Amnesty International publiera au cours de l’année 2018 un rapport exhaustif rendant compte des violations des droits humains dans le cadre de la pratique de la détention provisoire et des conditions de détention à Madagascar.

Elle demande au gouvernement de Madagascar de prendre des mesures immédiates et à long terme afin de garantir que les pratiques en vigueur soient pleinement conformes au droit international relatif aux droits humains et aux normes en la matière. En particulier :

  • Le gouvernement doit prendre des mesures immédiates pour mettre fin au transfert de détenus en détention provisoire à Tsiafahy.
  • Il doit apporter sans délai des solutions aux problèmes de surpopulation et d’hygiène et aux conditions déplorables à Tsiafahy et aligner les conditions de détention sur les normes internationales. Entre autres, il doit fournir immédiatement des soins médicaux adaptés à tous les prisonniers et veiller à ce que les prisonniers nécessitant une hospitalisation soient transférés à l’hôpital sans retard excessif.
  • Les prévenus présents à Tsiafahy doivent être progressivement transférés vers d’autres établissements, où les conditions de détention respectent la dignité humaine. Dans l’attente de leur transfert et après, ils doivent être séparés des condamnés.
  • Les autorités doivent régler le problème des retards au niveau des procès et réexaminer les placements en détention provisoire, en vue de maintenir les personnes en détention provisoire uniquement lorsque cela ne peut être évité.
  • Tous les détenus doivent avoir accès à une nourriture appropriée, à de l’eau, à des installations sanitaires et à des conditions leur permettant de vivre dans la dignité.
  • Le gouvernement doit veiller à ce que les lois et les pratiques nationales soient pleinement conformes aux traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par Madagascar, ainsi qu’aux normes internationales et régionales en la matière, en particulier les Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique (Union africaine), l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (ONU) et l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela).
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