Madagascar. Une enquête doit être menée sur les homicides imputés aux forces de sécurité

Déclaration publique

Index AI : AFR 35/001/2009

Amnesty International appelle les autorités malgaches à ouvrir une enquête indépendante et impartiale sur l’utilisation d’une force excessive par la garde présidentielle contre des manifestants sans armes qui se dirigeaient vers le palais présidentiel ; au moins 31 personnes ont été tuées et plus de 200 blessées.

Le samedi 7 février, des membres de la garde présidentielle protégeant le palais d’Ambohitsorohitra, l’un des deux palais présidentiels de la capitale Antananarivo, ont ouvert le feu, à balles réelles, sur une foule de manifestants sans armes qui se dirigeaient vers le bâtiment. Au moins 31 personnes, parmi lesquelles le journaliste Ando Ratovonirina, ont été tuées ; certains bilans font même état de 50 morts. Les photos prises sur place montrent des gens touchés à la tête, au thorax, dans le dos et aux jambes.

Selon les informations qui ont été transmises à Amnesty International, des policiers antiémeutes bloquaient les rues menant au palais. Une délégation de militants de l’opposition a été autorisée par la police antiémeutes à venir parlementer avec la garde présidentielle pour obtenir que les manifestants puissent s’approcher du palais. Pendant ce temps, la foule attendait derrière la police antiémeutes. Ceux qui se trouvaient devant ont été avertis par la police qu’ils ne devaient pas pénétrer dans la zone rouge, interdite au public sans autorisation. Lorsque la délégation de l’opposition a annoncé à la foule que l’accès au palais lui était refusée par la garde présidentielle, les manifestants ont commencé à avancer, forçant le barrage établi par la police antiémeutes. Selon des témoins, la garde présidentielle a aussitôt tiré, sans sommation, en direction des manifestants. Des photos prises sur place montrent des personnes abattues dans la rue, à quelques mètres de la « zone rouge » délimitée par un ruban rouge devant le palais. Un témoin raconte :

« J’étais à l’avant de la manifestation avec des journalistes. J’ai pu franchir les premières lignes de policiers antiémeutes. Les policiers nous ont avertis de ne pas franchir le ruban rouge mis en place par la garde présidentielle, ils nous dont dit qu’ils ne pourraient pas garantir notre sécurité si nous le faisions. Une délégation a parlé avec des membres de la garde présidentielle. Je suis allé sur le côté et il y a eu un mouvement de foule ; les gens se sont mis à courir, forçant les lignes de policiers antiémeutes. Soudain, des coups de feu ont été tirés sur la foule, ça a duré un moment. Quand j’ai relevé la tête, plusieurs personnes gisaient à terre, mortes ou blessées par balles. Il n’y a pas eu de sommation avant les tirs sur les manifestants. »

Amnesty International recommande aux autorités malgaches de veiller, dans les meilleurs délais, à l’ouverture d’une enquête indépendante et effective sur les faits qui se sont produits. Les membres des forces de sécurité présents sur place doivent être suspendus de leurs fonctions en attendant l’ouverture de l’enquête et ceux qui sont soupçonnés d’avoir une responsabilité dans ces homicides illégaux doivent être poursuivis en justice dans le cadre d’une procédure conforme aux normes internationales d’équité des procès. Des réparations doivent être accordées aux victimes et aux proches.

Amnesty International note que dans les semaines qui ont précédé ces homicides, les forces de sécurité malgaches ont été confrontées à des manifestations, parfois violentes et à des actes de pillage de la part de manifestants anti-gouvernementaux. Si les autorités malgaches ont le droit et le devoir de protéger les personnes et les biens, elles doivent aussi veiller à ce que tous les membres des forces de sécurité se conforment aux normes internationales régissant la conduite des responsables de l’application des lois, le recours à la force et l’utilisation des armes à feu, et respectent et protègent le droit à la vie.

En vertu des normes du droit international relatif aux droits humains, Madagascar a pour obligation de respecter et protéger le droit de chacun à la vie. Le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois stipule que « Les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions. » Les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois exigent des responsables de l’application des lois qu’ils aient recours « autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. » Pour s’assurer que les responsables de l’application des lois n’auront recours à la force que dans le cadre d’une action proportionnelle à la gravité de la situation, il est important de veiller à ce qu’ils disposent d’un éventail d’équipements et de techniques à utiliser en cas de manifestations, afin qu’il soit de moins en moins nécessaire d’utiliser des armes de tout genre. Dans tous les cas, les armes à feu ne devront être utilisées que pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Le recours intentionnel à l’usage meurtrier d’armes à feu ne doit se faire que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. Dans les circonstances visées au principe 9, les responsables de l’application des lois doivent donner un avertissement clair de leur intention d’utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l’avertissement puisse être suivi d’effet.

Contexte

Les manifestations d’opposition se poursuivent à Antananarivo, capitale de l’île de Madagascar, depuis la destitution du maire Andry Rajoelina par le président Marc Ravalomana début 2009. Andry Rajoelina a engagé un bras de fer pour le pouvoir avec le président Marc Ravalomana. Le président a remplacé la maire d’Antananarivo par un fonctionnaire intérimaire après plusieurs semaines de manifestations au cours desquelles le maire a exigé la démission du président, se proclamant en charge du pays.

Des troubles et actes de pillages par des manifestants antigouvernementaux s’étaient déjà produits avant la fusillade du 7 février. Près de 130 personnes seraient décédées au cours des manifestations, l’incendie d’un bâtiment commercial aurait notamment fait une trentaine de morts.

Les Nations unies et l’Union africaine mènent actuellement les efforts de médiation pour mettre fin à la crise politique.

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