Maisons démolies-vies brisées —Pour en finir avec les expulsions forcées au Tchad

Depuis février 2008, des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées à la rue, après avoir été expulsées de chez elles, à n’djamena, la capitale du tchad. De nombreuses maisons et autres constructions ont été détruites dans plusieurs quartiers.

La première vague de démolitions est intervenue au lendemain d’une attaque armée menée contre N’Djamena en février 2008 par une coalition de groupes d’opposition. Quelques jours plus tard, le 22 février 2008, le président tchadien Idriss Déby Itno signait un décret autorisant la démolition des constructions et bâtiments prétendument érigés sans permis, décret s’appliquant initialement à deux quartiers de la capitale, Gardole et Walia Angosso, et par la suite étendu à d’autres zones, comme Farcha, Atrone et Chagoua.

Des opérations de démolition avaient toujours lieu à la fin du mois de juillet 2009, et un nombre croissant de personnes risquent d’être victimes d’expulsions forcées.

La plupart des expulsions ont été réalisées par les forces de sécurité, qui ordonnent aux habitants de quitter leur domicile et interdisent à ceux absents au moment de l’opération de rentrer chez eux.

Le non-respect de la légalité

Au mépris de la législation et de la procédure légale, les autorités n’ont pas consulté les habitants avant de procéder aux expulsions. Dans bien des cas, ces derniers n’ont guère eu le temps de trouver à se reloger.

Dans le quartier de Diguel Est par exemple, des habitants possédant des titres de propriété ont intenté une action en justice. Un tribunal a émis une ordonnance en leur faveur, mais le maire de N’Djamena a ignoré cette décision et ordonné la démolition de leurs habitations. En réaction, le syndicat des magistrats a menacé de se mettre en grève.

Amnesty International a confirmé que nombre d’expulsions étaient illégales et violaient les normes internationales en manière de droits humains ainsi que la législation tchadienne.

Qu’entend-on par « expulsion forcée » ?
L’expulsion forcée consiste à faire partir des gens de leur domicile ou de la terre qu’ils occupent, contre leur volonté et sans aucune protection juridique ni autre garantie. Une expulsion ne doit avoir lieu que lorsque toutes les autres solutions réalisables ont été examinées, qu’une véritable consultation a été menée auprès des populations concernées et que des mesures de garantie de procédure satisfaisantes ont été prises. Il convient en particulier de prévenir les personnes concernées dans un délai suffisant et raisonnable avant toute expulsion et de veiller à ce que nul ne se retrouve sans abri ou exposé à d’autres atteintes aux droits humains à la suite d’une expulsion. Lorsque les personnes concernées ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, les autorités doivent veiller à ce qu’elles puissent disposer d’une solution de relogement adaptée, d’un lieu de réinstallation ou d’un accès à des terres productives, selon les cas.
Toute expulsion menée de force ne constitue pas nécessairement une expulsion illégale : si les garanties effectives sont respectées, une expulsion opérée dans la légalité, même avec le recours à la force, n’enfreint pas l’interdiction des expulsions forcées.

N’djamena : avant, après

Amnesty International s’est appuyée sur des images satellites pour illustrer l’ampleur des destructions dans certains quartiers résidentiels de la capitale. Ces images satellites (accessibles sans restriction) ont permis à l’organisation de rendre compte des démolitions d’habitations à N’Djamena, à trois dates précises – le 7 janvier 2008, le 8 novembre 2008 et le 27 janvier 2009 –, dans huit quartiers et une zone proche de l’aéroport international. Elles mettent en évidence les dégâts causés par les expulsions forcées. Au total, plus de 3 700 constructions ont été détruites sur une période d’environ 385 jours. Ces images satellites sont venues étayer les informations recueillies par les délégués d’Amnesty International qui se sont rendus à N’Djamena en mai 2008 et mai 2009 dans le cadre d’une mission de recherche.

Les éléments obtenus grâce aux technologies d’imagerie satellitaire et aux méthodologies géospatiales illustrent le rythme alarmant auquel progressent les démolitions d’habitations à N’Djamena. Bien que nous ne puissions pas différencier les démolitions légales de celles contraires à la législation tchadienne comme au droit international uniquement à partir de ces images, la simple ampleur de ces démolitions révèle un degré inquiétant de souffrances humaines.


L’analyse de ces images des arrondissements de Djari et Dembe montre que 324 habitations et locaux de petites entreprises ont été totalement démolis entre novembre 2008 et janvier 2009.

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Cette photo illustre le résultat des démolitions persistantes réalisées à N’Djamena. Au 8 novembre 2008, 2 522 logements et autres constructions avaient été détruits. Au 27 janvier 2009, 1 136 maisons et locaux de petites entreprises supplémentaires avaient été totalement démolis :

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Ces deux gros plans témoignent des démolitions d’habitations dans le quartier de Chagoua 2, situé dans le 7e arrondissement. Ses habitants ont déposé plainte auprès d’un tribunal, qui a ordonné la suspension des démolitions planifiées dans l’attente de sa décision finale. Le maire de N’Djamena ne s’est pas soumis à l’injonction du tribunal et a poursuivi les opérations :

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Aucune autre solution proposée

Dans leur immense majorité, les familles qui ont perdu leur maison ne se sont vu proposer aucune solution de relogement ni aucune forme d’indemnisation. Certaines sont allées vivre chez des proches ; d’autres sont reparties dans leurs villages d’origine. Beaucoup sont cependant restées sur place, bien souvent dans les décombres de ce qui avait été leur maison. D’autres encore, qui s’étaient réfugiées au Cameroun en février 2008, ne peuvent désormais plus retourner à N’Djamena – car leurs maisons étaient au nombre de celles détruites – et n’ont d’autre choix que de rester dans les camps de réfugiés du Cameroun.

Répercussions

La démolition de milliers d’habitations de N’Djamena aura de graves répercussions au niveau économique pendant plusieurs années. Au cours de ces opérations, un grand nombre de personnes ont perdu non seulement leur lieu de travail, mais aussi les outils et le matériel indispensables à leur activité. Ainsi, les délégués d’Amnesty International ont appris la destruction de nombreux établissements où des femmes, en particulier des femmes âgées et des veuves, avaient leurs moyens de subsistance.

Les obligations de l’état

L’article 41 de la Constitution du Tchad est formel : « La propriété privée est inviolable et sacrée. Nul ne peut être dépossédé que pour cause d’utilité publique dûment constatée et moyennant une juste et préalable indemnisation. » L’article 17 fait par ailleurs référence au droit de tout individu à « la protection de sa vie privée et de ses biens ».

La loi tchadienne de 1967 sur la propriété définit également les critères et procédures à respecter en cas d’expropriation (lorsque des personnes dotées de titres de propriété légitimes sont dépossédées de leur terre) et en cas de « déguerpissement » (lorsque des personnes dépourvues de titres de propriété légitimes sont forcées d’abandonner le bien qu’elles occupent). Les expulsions forcées (expulsions qui ont lieu en dehors des garanties prévues par la loi) sont interdites par plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, parmi lesquels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Le Tchad a accepté d’être lié par ces traités.

Aux termes du droit international relatif aux droits humains, une expulsion est une mesure d’ultime recours, prise après examen de toutes les autres solutions réalisables et après consultation sérieuse des populations concernées. Les États doivent également veiller à ce que personne ne se retrouve sans abri ou exposé à des atteintes aux droits humains à la suite d’une expulsion. Enfin, une solution adéquate de relogement et une indemnisation pour tout préjudice subi doivent être proposées aux personnes concernées, avant leur expulsion.

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