Maldives : Le nouveau gouvernement doit rompre avec un passé répressif

Le changement de gouvernement qui s’opère actuellement aux Maldives offre une occasion idéale de rompre avec un passé de répression et de violations des droits humains et d’ouvrir un nouveau chapitre dans lequel les droits humains seraient au cœur des politiques et de l’action gouvernementales.

Le 23 septembre 2018, le président Abdulla Yameen a perdu l’élection présidentielle face au candidat de la coalition d’opposition, Ibrahim Solih. Le régime d’Abdulla Yameen s’est caractérisé par des attaques contre la société civile, les professionnels des médias, l’opposition politique et le pouvoir judiciaire.

« C’est une occasion parfaite pour les Maldives. Il faut que le nouveau gouvernement rompe avec le passé répressif du pays et place la protection des droits humains au cœur de ses politiques et de son action, a déclaré Dinushika Dissanayake, directrice adjointe du programme Asie du Sud à Amnesty International.

« La coalition d’opposition a fait plusieurs promesses quant à la situation des droits humains aux Maldives. Il est temps de joindre l’acte à la parole, notamment de libérer les personnes emprisonnées à tort, d’abroger les lois répressives et de créer un environnement propice au respect de l’ensemble des droits humains et dans lequel la société civile puisse s’épanouir. »

Procès inéquitables

Il faut que le nouveau gouvernement maldivien s’engage à libérer immédiatement et sans condition les personnes emprisonnées uniquement pour avoir exercé leurs droits humains. Parmi ces prisonniers d’opinion figurent des personnalités politiques, comme Faris Maumoon et Ahmed Mahloof.

Les personnes détenues arbitrairement ou faisant l’objet de charges sous-tendues par des considérations politiques doivent également être libérées et toutes les charges pesant sur elles, abandonnées.

En février 2018, la Cour suprême a ordonné que neuf dirigeants de l’opposition soient libérés et rejugés. Au lieu d’appliquer cette décision, les autorités maldiviennes ont arrêté le président de la Cour suprême, Abdulla Saeed, le juge Ali Hameed, ainsi que l’ancien président de la République Maumoon Abdul Gayoom et son gendre Moamed Nadheem.

Par ailleurs, Amnesty International est préoccupée quant à l’équité des procès concernant un certain nombre d’autres affaires : des militants de la société civile et des dirigeants de l’opposition ont été placés en détention ou déclarés coupables pour des charges controuvées et sous-tendues par des considérations politiques qui allaient de la « violation de propriété » au « terrorisme », en passant par la tentative de « renverser le gouvernement ».

« Sous le dernier gouvernement, l’état de droit avait perdu tout son sens. Il faut que le nouveau libère immédiatement les personnes faisant l’objet de charges sous-tendues par des considérations politiques et abandonne les charges retenues contre elles », a déclaré Dinushika Dissanayake.

Liberté d’expression et restrictions imposées aux médias

Sous le président Abdulla Yameen, le droit des journalistes à la liberté d’expression était fortement restreint.

Les rares médias indépendants installés dans le pays ont vu leurs programmes interrompus ou ont été visés par une interdiction d’émettre et leurs journalistes étaient victimes de menaces, de manœuvres d’intimidation et de harcèlement.

La Loi de 2016 relative à la lutte contre la diffamation et à la liberté d’expression a érigé en infraction le droit à la liberté d’expression au lieu de le protéger : elle prévoit de lourdes amendes pour tout propos ou contenu qui « contredit un principe de l’islam, menace la sécurité nationale, va à l’encontre des normes sociales, empiète sur les droits ou ternit la réputation d’autrui ».

Le non-paiement de l’amende peut entraîner une condamnation à six mois d’emprisonnement, voire la fermeture de l’établissement. Rajje TV, une chaîne de télévision liée à ce qui était alors l’opposition politique, a été maintes fois prise pour cible sous couvert de la Loi relative à la lutte contre la diffamation et à la liberté d’expression et contrainte à régler plusieurs amendes.

« Il faut que le nouveau gouvernement maldivien donne aux citoyens l’espace nécessaire pour s’exprimer librement et sans crainte. Il doit aussi abroger la Loi relative à la lutte contre la diffamation et à la liberté d’expression ou la modifier de sorte qu’elle soit conforme aux normes internationales relatives aux droits humains  », a déclaré Dinushika Dissanayake.

Garantir les libertés de réunion pacifique et d’association

À l’instar du droit à la liberté d’expression, les droits aux libertés de réunion pacifique et d’association sont aussi constamment mis à mal au Maldives depuis cinq ans.

À plusieurs reprises, des manifestations globalement pacifiques ont été réprimées par une force excessive – les forces de sécurité ont notamment fait usage de balles en caoutchouc, de matraques et de gaz lacrymogène.

Des arrestations arbitraires collectives ont eu lieu en mars 2018, lorsque l’état d’urgence a été instauré dans tout l’archipel. En une seule nuit, au moins 141 personnes ont été placées en garde à vue. Il s’agissait de la plus grande vague d’arrestations depuis le rassemblement du 1er mai 2015, lors duquel des centaines de manifestants avaient été interpellés.

«  Le droit à la liberté de réunion pacifique doit être respecté et protégé en toutes circonstances. En cas de violences, les autorités sont tenues de n’avoir recours qu’à une force nécessaire et proportionnée pour les endiguer. En vertu du droit international, la force meurtrière n’est légale qu’en dernier recours, à condition qu’elle soit strictement inévitable pour protéger contre une menace de mort imminente. Il faut que le nouveau gouvernement s’engage à mener des réformes qui viendront à bout des brutalités policières et de la culture de l’impunité », a déclaré Dinushika Dissanayake.

Yameen Rasheed et Ahmed Rilwan

Le 23 avril 2017, le célèbre blogueur maldivien Yameen Rasheed a été tué de multiples coups de couteau. Un an et demi plus tard, il n’y a pas eu de véritable enquête sur cet homicide et personne n’a été amené à rendre des comptes dans cette affaire.

Avant son assassinat, Yameen Rasheed avait reçu plusieurs menaces de mort. Il les avait signalées à la police, mais rien n’avait été fait.

En 2014, Ahmed Rilwan, blogueur et reporter pour le journal Maldives Independent, a été enlevé devant son domicile par des individus non identifiés. Depuis lors, on ignore où il se trouve et ce qu’il est advenu de lui, ce qui fait craindre une disparition forcée.

En août 2018, un tribunal pénal des Maldives a acquitté deux hommes accusés de cet enlèvement. À l’époque, le président Abdulla Yameen, interrogé au sujet d’Ahmed Rilwan, avait déclaré que celui-ci était « sans doute mort ».

«  La famille et les amis de Yameen Rasheed et d’Ahmed Rilwan attendent depuis trop longtemps que justice soit rendue. Il faut que le nouveau gouvernement maldivien s’engage à mener des enquêtes approfondies, impartiales, indépendantes et efficaces sur ces deux affaires afin d’amener les auteurs présumés des faits à rendre des comptes  », a déclaré Dinushika Dissanayake.

Peine de mort

Les Maldives ont menacé à plusieurs reprises de recommencer les exécutions, alors que le pays n’a plus appliqué le châtiment cruel et irréversible qu’est la peine de mort depuis plus de 60 ans.

Actuellement, trois personnes sous le coup d’une condamnation à mort risquent d’être exécutées, dont Hussain Humaam Ahmed. Bien que celui-ci se soit rétracté ensuite, ses « aveux » obtenus, semble-t-il, sous la contrainte ont été jugés recevables.

« Les Maldives doivent, une fois pour toutes, abolir la peine de mort et commuer les peines de tous les prisonniers sous le coup d’une condamnation à mort. Cette mesure serait en accord avec la tendance mondiale, sachant que la majorité des pays ont cessé les exécutions, et constituerait un exemple important en Asie du Sud, où seulement deux pays ont renoncé en droit à ce châtiment, le plus cruel et dégradant qui soit.

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