Des milliers de personnes ont été contraintes de fuir de chez elles et de nombreux civil·e·s ont été tués alors que les combats s’intensifient entre l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et les forces armées maliennes et les groupes armés qui les soutiennent, sur fond d’escalade du conflit dans le nord du Mali.
L’EIGS et deux autres groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015, le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), s’affrontent dans la région de Ménaka depuis mars 2022. L’EIGS a mené des attaques contre des villages, tuant délibérément des personnes civiles et les privant de leurs moyens de subsistance, ce qui constitue des crimes de guerre. Le nombre de personnes déplacées dans la ville de Ménaka a considérablement augmenté depuis, plongeant la région dans une situation humanitaire dramatique.
« Dans la région de Ménaka, des milliers de personnes fuient leur domicile car l’EIGS prend délibérément pour cible les civil·e·s, détruit les habitations et les points d’eau, et confisque le bétail. L’État islamique doit cesser de commettre ces crimes de guerre et toutes les parties au conflit doivent respecter le droit international humanitaire, notamment en protégeant la population civile », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Contraints de fuir
Amnesty International s’est entretenue avec 15 personnes vivant actuellement à Ménaka, dont des personnes déplacées, leurs familles d’accueil, des militants de la société civile et des travailleurs humanitaires.
« Les gens affluent en continu à Ménaka depuis mars. Beaucoup de mes proches sont arrivés d’Anchawadi, mais plus de 70 habitants de mon village sont portés disparus depuis les attaques de l’EIGS. Ils ont détruit les habitations et d’autres bâtiments (magasins, etc.) pour nous chasser d’Inékar et d’Émis-Émis. Ils contrôlent les puits et les points d’eau et prennent le bétail comme bon leur semble », a déclaré Khalil*, qui a fui Anchawadi.
Selon des témoins directs, les villages de Tamalat et d’Inchinane ont été pris pour cible pendant les combats en mars :
« Je me trouvais à Tamalat quand des combattants de l’EIGS nous ont attaqués en mars. C’était un mardi et ils ont attaqué entre les prières de Dohr (à 14 heures) et d’Asr (à 16 heures). Quand ils sont arrivés, ils ont immédiatement commencé à tirer sur les gens. Les tirs se sont poursuivis jusqu’à la tombée de la nuit. J’ai réussi à m’enfuir avec plusieurs villageois mais de nombreux autres sont toujours portés disparus. Nous avons entendu dire que les combattants avaient continué d’attaquer d’autres hameaux et points d’eau près de Ménaka », a déclaré Adnane*, responsable local de Tamalat.
« Plus de 703 foyers de Tamalat sont arrivés à Ménaka en mars, juste après les attaques. La ville est pleine de personnes déplacées ces jours-ci et de nombreux civils sont toujours éparpillés dans la nature », a déclaré Ahmad*, habitant de Ménaka originaire de Tamalat, qui aide les personnes déplacées.
L’attaque de l’EIGS contre Inchinane a suivi le même mode opératoire :
Selon Ibrahim*, qui a survécu à cette attaque, « les assaillants sont arrivés dans l’après-midi et ont commencé à tirer, tuant sans distinction femmes, enfants et personnes âgées. Des groupes armés [le MSA] ont tenté de les combattre, mais ils ont été submergés car les combattants de l’EIGS étaient plus nombreux. Ces derniers ont pris tout notre bétail et tout ce qui leur semblait utile ; de nombreux habitants ont fui à Ménaka, et d’autres en Algérie. Par la suite, nous avons appris que les combattants de l’EIGS étaient postés près des points d’eau, empêchant les gens d’y accéder et confisquant tout le bétail qu’ils pouvaient prendre. »
Aux termes du droit international humanitaire, toutes les parties à un conflit armé doivent faire systématiquement la distinction entre les personnes civiles et les combattants, et ont l’interdiction de mener des attaques visant la population civile ou des biens indispensables à sa survie.
« Il y a eu des attaques au cours desquelles des civils ont été tués et des biens détruits. Beaucoup des habitants ont rejoint la ville de Ménaka, tandis que d’autres sont toujours éparpillés dans le désert ou essaient de trouver refuge plus au nord. L’aide humanitaire aux personnes déplacées est insuffisante. C’est comme ça depuis les premières attaques en mars. Toutes les personnes déplacées n’en bénéficient pas », a déclaré Mubarak*, membre d’une organisation de la société civile de la ville de Ménaka.
Aggravation de la situation humanitaire
Les personnes interrogées par l’organisation lui ont dit que les villageois·e·s qui avaient été contraints de fuir avaient presque tout perdu et étaient confrontés à un manque criant d’aide humanitaire, les organisations humanitaires étant débordées.
« Ces derniers ont pris tout notre bétail et tout ce qui leur semblait utile. Les combattants de l’EIGS étaient postés près des points d’eau, empêchant les gens d’y accéder et confisquant tout le bétail »
L’afflux de personnes déplacées à Ménaka a accru l’insécurité alimentaire et beaucoup des nouveaux arrivants ne disposent pas d’un abri satisfaisant. Un certain nombre vivent dans des écoles, voire dehors.
Selon les Nations unies, en juin 2020, les organisations humanitaires avaient apporté une aide à 1 539 foyers dans les camps de personnes déplacées de la commune d’Inékar et à 3 079 foyers dans la commune de Ménaka. Elles leur ont fourni de la nourriture, des biens non alimentaires et des abris.
« L’EIGS doit cesser d’attaquer les civil·e·s et de détruire leurs habitations. Nous adressons le même appel à toutes les parties au conflit. Tous les groupes armés, ainsi que les forces armées maliennes et les forces de maintien de la paix de la MINUSMA (ONU), doivent protéger la population civile. Les autorités maliennes et leurs partenaires doivent également coordonner l’aide humanitaire aux personnes déplacées à Ménaka, ainsi qu’à celles qui sont bloquées à Andéramboukane et à Inékar, afin que la population civile dispose d’un accès satisfaisant à l’eau, à la nourriture et à des abris », a déclaré Samira Daoud.
Complément d’information
Un conflit armé fait rage au Mali depuis 2012 et se poursuit malgré l’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement malien et certains groupes armés. Depuis janvier 2022, dans la région de Ménaka, les attaques contre les civil·e·s se sont intensifiées, de même que les offensives de l’EIGS contre le MSA et le GATIA, deux groupes armés alliés au gouvernement. En mai 2022, l’EIGS a relancé ses attaques contre les principaux camps du MSA, prenant le contrôle d’Émis-Émis, d’Igandou et d’Andéramboukane, le long de la frontière avec le Niger.
Ces attaques interviennent alors que les soldats français de l’opération Barkhane sont en train de se retirer du Mali. Le camp de la force Barkhane à Ménaka a été transféré au gouvernement malien le 13 juin 2022 dans le cadre de ce retrait. En juin 2022, les autorités maliennes préparaient une nouvelle contre-offensive contre l’EIGS, avec l’aide de groupes armés alliés. Une offensive de l’armée malienne, du GATIA et du MSA contre l’EIGS à Andéramboukane a débuté le 4 juin 2022 et est toujours en cours.