MALTE : Le gouvernement doit suspendre les expulsions d’Érythréens

Index AI : EUR 33/001/02

Amnesty International a appelé aujourd’hui (jeudi 10 octobre) le gouvernement maltais à ne plus renvoyer les Érythréens dans leur pays tant qu’une enquête approfondie et indépendante n’aura pas été menée sur leur sort et tant qu’il n’aura pas été évalué s’ils pouvaient être renvoyés en toute sécurité, dans la dignité et dans le respect total de leurs droits.

Selon les informations reçues par Amnesty International, pas moins de 223 Érythréens ont été contraints à retourner dans leur pays entre le 30 septembre et le 3 octobre 2002. Ils auraient été arrêtés dès leur arrivée à Asmara, emmenés dans un camp militaire puis placés en détention au secret. Les autorités érythréennes n’ont ni confirmé ces détentions ni révélé le sort de ces personnes à leur famille ou à l’opinion publique. Il est à craindre que d’autres ne soient expulsées à leur tour.

Les personnes renvoyées figuraient parmi plus de 400 Érythréens arrivés à Malte à partir de mars 2002 et interpellés à leur arrivée. Environ la moitié ont demandé l’asile mais ont été déboutés. Une cinquantaine ont déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle de Malte, qui a ordonné la suspension des arrêtés d’expulsion pris à leur encontre. D’autres, espérant apparemment pouvoir se rendre dans un autre pays, n’ont pas sollicité l’asile. Selon certaines allégations reçues par Amnesty International, beaucoup auraient souhaité demander l’asile lorsqu’ils ont été menacés d’expulsion, mais les autorités n’en auraient pas tenu compte.

" Le gouvernement maltais doit veiller à ce que le retour de tous les Érythréens renvoyés s’effectue dans des conditions de sécurité et dans la dignité et à ce que ces personnes ne soient victimes d’aucune violation de leurs droits ", a déclaré l’organisation.

À la suite d’informations non confirmées faisant état du recours à une force excessive lors de récentes opérations d’expulsion, Amnesty International exhorte le gouvernement maltais à faire en sorte que les policiers reçoivent des instructions claires leur ordonnant de ne pas utiliser une force supérieure à celle qui est raisonnablement nécessaire pour renvoyer une personne, conformément à ce que prévoient les normes internationales relatives au recours à la force par les responsables de l’application des lois.

L’organisation a par ailleurs demandé un examen des méthodes de contrainte policières ainsi que des lignes directrices et de la formation fournies aux policiers et aux autres personnes appelées à intervenir lors des opérations d’expulsion, afin de vérifier que celles-ci se déroulent conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe.

Complément d’information
Le 27 septembre dernier, Amnesty International a écrit à Tonio Borg, ministre maltais de l’Intérieur et de l’Environnement, pour exprimer sa préoccupation concernant des demandeurs d’asile (notamment érythréens) arrivés récemment à Malte et susceptibles d’être victimes de graves violations des droits humains s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine et si leur demande de protection n’était pas examinée correctement. Amnesty International a exhorté le gouvernement à protéger ces réfugiés, conformément à l’engagement pris en vertu de certains traités. L’organisation a également fait part de son inquiétude au sujet des conditions de détention de ces personnes, tout particulièrement dans l’établissement pénitentiaire de Ta’Kandja.

Amnesty International a par ailleurs attiré l’attention sur la situation alarmante des droits humains en Érythrée, qui a donné lieu à la publication d’un nouveau rapport le 18 septembre. Dans ce texte, l’organisation évoque les nombreuses détentions arbitraires et secrètes, sans inculpation ni jugement, qui frappent les principaux détracteurs du gouvernement, les journalistes, les fonctionnaires ainsi que les objecteurs de conscience. La conscription se poursuit en Érythrée malgré la fin de la guerre avec l’Éthiopie en 2000, et tous les Érythréens (les femmes comme les hommes) âgés de dix-huit à quarante ans sont tenus d’effectuer leur service militaire, sans que soit reconnu le droit à l’objection de conscience. Plusieurs centaines de personnes auraient quitté le pays au cours des derniers mois pour éviter ou fuir le service militaire. Ceux qui sont repris seraient arrêtés, passés à tabac et ligotés durant des heures, les bras attachés étroitement derrière le dos, ce qui gêne la circulation du sang et peut provoquer une paralysie ou des dommages corporels irrémédiables. Tandis que la légalité de leur détention n’est contrôlée par aucune autorité judiciaire, ces personnes sont soumises aux travaux forcés pendant des mois avant d’être envoyées dans les rangs de l’armée. En vertu de la réglementation relative au service national, le fait de se soustraire à la conscription est puni d’une peine maximale de trois ans d’emprisonnement, mais déserter en temps de guerre est passible de la peine capitale.

Amnesty International a déclaré que dans le contexte actuel de crise des droits humains en Érythrée, toute personne renvoyée dans ce pays et soupçonnée d’être un opposant, d’avoir fui le service militaire ou d’avoir déserté risque d’être arrêtée, voire maltraitée ou torturée. Elle peut ainsi être placée en détention sans inculpation ni jugement pour une durée illimitée, sans bénéficier d’aucune protection contre une incarcération illégale. En cas de procès, elle risque
d’être condamnée à une longue peine d’emprisonnement ou même à la peine de mort. Ses proches, soupçonnés de l’avoir aidée à prendre la fuite, peuvent eux aussi être arrêtés.

L’organisation a également lancé un appel au président de l’Érythrée, Issayas Afeworki, afin que les personnes expulsées par Malte ne soient pas maltraitées ni arrêtées arbitrairement en raison de leur objection de conscience.
Amnesty International craint que l’annonce récente selon laquelle certains réfugiés érythréens vont perdre leur statut de réfugié ne fasse passer un message ambigu sur la situation en Érythrée. Le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés a en effet indiqué en mai 2002 que le statut de réfugié serait supprimé pour certains réfugiés érythréens. L’organisation a souligné que cette mesure – qui doit entrer en vigueur le 31 décembre prochain – ne s’appliquera qu’à deux catégories de réfugiés : ceux qui ont fui la guerre de trente ans entre l’Éthiopie et l’Érythrée ayant abouti à l’indépendance de ce dernier État en 1991, et ceux qui ont fui le conflit frontalier ultérieur avec l’Éthiopie, de 1998 à 2000. Les autres réfugiés érythréens ayant voulu échapper aux persécutions depuis l’indépendance ne sont pas concernés.

Les personnes appartenant aux deux catégories visées auront néanmoins le droit de déposer individuellement une demande pour continuer à bénéficier d’une protection. Ce sera le cas, par exemple, de plus de 100 000 Érythréens réfugiés au Soudan depuis plusieurs décennies. Cependant, les rapatriements volontaires du Soudan vers l’Érythrée viennent d’être suspendus en raison des tensions entre les deux pays.

La version anglaise du rapport Eritrea : Arbitrary detention of government critics and journalists [Érythrée. Détention arbitraire de détracteurs du gouvernement et de journalistes] (index AI : AFR 64/008/02) publié le 18 septembre 2002 peut être consultée sur le site www.amnesty.org.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit