Des manifestants pacifiques face à des forces de police violentes

La réaction brutale des pouvoirs publics azerbaïdjanais face aux manifestations qui se sont déroulées dans tout le pays met à mal les libertés d’expression et de réunion pacifique. Les autorités ont utilisé une force excessive pour disperser les rassemblements, pacifiques pour la plupart ; elles ont arrêté et tenté d’intimider des dizaines de manifestants et de militants politiques.

Les autorités doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé leur droit aux libertés d’expression et de réunion pacifique, et qu’elles veillent à ce que les manifestants soupçonnés d’actes violents soient jugés équitablement. Il faut aussi qu’elles diligentent sans délai des enquêtes approfondies et efficaces sur tous les cas de recours excessif à la force par la police et amènent les responsables présumés de ces agissements à rendre des comptes.

Des manifestations spontanées et généralement pacifiques contre la forte dévaluation de la monnaie nationale et la hausse des prix ont débuté le 11 janvier et se sont étendues à une grande partie du territoire. Ces rassemblements, qui ont eu lieu dans différentes régions, notamment celles de Fizuli, d’Agsu, d’Agcabedi, de Siyazan, de Lankaran et de Quba, ont nettement baissé en intensité au bout d’une semaine.

À plusieurs endroits, des représentants de l’État ont rencontré les manifestants et les ont convaincus de mettre fin à leur mouvement en leur promettant de répondre à leurs demandes. Cependant, dans deux cas au moins, la police a utilisé une force excessive et arrêté des dizaines de manifestants qui avaient refusé de se disperser. Par ailleurs, les autorités ont convoqué pour interrogatoire et arrêté un certain nombre de militants politiques à Bakou, la capitale, et dans le reste du pays ; elles les accusaient d’être les instigateurs des manifestations.

Le 12 janvier, à la suite de rassemblements pacifiques organisés à Liman (région de Lankoran), la police a arrêté Iman Aliyev et Nazim Hasanli, militants du Parti de l’égalité et du Parti du front populaire (PFP). Accusés d’être à l’origine de ces manifestations « non autorisées » et d’y avoir participé, ils ont été jugés et condamnés à 30 jours d’emprisonnement à titre de sanction administrative.

Le 13 janvier, des agents de la police antiémeute ont mis fin à une manifestation à Siyazan, une ville de l’est du pays dont quelque 400 habitants s’étaient rassemblés pacifiquement devant la mairie pendant deux jours pour protester contre l’inflation et le chômage. Selon les témoignages directs et les autres informations recueillies par Amnesty International, des échauffourées ont éclaté lorsqu’ils ont tenté de disperser les manifestants.

Des manifestants ont lancé des pierres, tandis que la police a utilisé du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc ; environ 55 personnes ont été interpellées. Plusieurs manifestants et trois policiers auraient été blessés et deux voitures de police, endommagées. L’État a engagé des poursuites pénales à l’encontre des manifestants détenus pour destruction ou dégradation délibérée de biens, troubles à l’ordre public et refus d’obtempérer aux ordres légitimes des agents chargés de l’application des lois.

Les pouvoirs publics ont aussi arrêté deux militants politiques dans le cadre des manifestations de Siyazan. Le 13 janvier, Baiden Safarl, le président de la section locale du Parti de l’égalité, a été placé en détention provisoire pour 30 jours parce qu’il aurait organisé des manifestations non autorisées ; Turan Ibrahim, militant du PFP, a été arrêté à son domicile à Bakou et placé en détention provisoire pour sept jours parce qu’il aurait résisté à la police. Selon ses proches, son arrestation est liée à des messages qu’il a publiés récemment sur Facebook et dans lesquels il critiquait les politiques économiques du gouvernement et la gestion des manifestations.

Le 15 janvier, la police a dispersé des manifestations similaires contre la hausse des prix et le chômage à Quba, le centre administratif de la province éponyme (nord-est du pays), où environ un millier d’habitants s’étaient rassemblés sur la place principale. La police antiémeute a utilisé un canon à eau et du gaz lacrymogène lorsque les manifestants ont refusé d’obéir au maire, qui leur demandait de se disperser. Selon les informations recueillies par Amnesty International, une cinquantaine de personnes ont été arrêtées et la liberté de circulation a été restreinte sur les routes menant à la ville.

Le 16 janvier, les autorités ont arrêté deux autres militants politiques dans deux régions différentes. Shahin Alizadeh, un militant du PFP interpellé à Chirvan, au sud de Bakou, parce qu’il aurait résisté à la police, a été placé en détention provisoire pour 30 jours et Mardan Mehdi, un conseiller du Parti de l’égalité, a été arrêté à Siyazan. Ce dernier a été interrogé sur sa participation aux manifestations et libéré sans inculpation le soir même. Toutefois, il n’est plus autorisé à circuler librement.

Un porte-parole du Parti de l’égalité a indiqué à Amnesty International que des cadres du parti de tout le pays, y compris lui-même, avaient été convoqués et interrogés au département du ministère de l’Intérieur chargé de la criminalité organisée parce qu’ils étaient accusés d’avoir déclenché et organisé les manifestations avec des militants du PFP. Il a signalé que des proches des cadres et des militants du parti d’opposition avaient aussi été convoqués par la police, qui avait tenté de les intimider.

Ces dernières années, les autorités azerbaïdjanaises ont emprisonné des militants politiques pour des charges controuvées liées à des manifestations ou à d’autres actes de protestation publics. Ainsi, en 2013, à la suite de troubles à Ismaïli en réaction à une affaire de corruption, deux dirigeants de l’opposition, Tofig Yagublu et Ilgar Mammadov, ont été arrêtés et condamnés à des peines d’emprisonnements à l’issue d’un procès inique pour incitation à des violences de grande ampleur, une accusation forgée de toutes pièces. Amnesty International les a adoptés en tant que prisonniers d’opinion. Les dernières arrestations signalées de militants politiques semblent suivre le même schéma : il s’agit de représailles visant l’opposition politique et les autres voix dissidentes qui militent et critiquent les autorités.

Par ailleurs, Amnesty International est préoccupée par la réaction brutale des autorités azerbaïdjanaises face aux manifestations, pacifiques pour la plupart. Dans deux cas au moins, la police a utilisé une force excessive pour disperser des rassemblements jusqu’alors pacifiques et ont arrêté des dizaines de participants, dont beaucoup étaient des manifestants pacifiques.

Le ministère de l’Intérieur et le parquet général ont déclaré illégales les manifestations spontanées au motif que leurs organisateurs supposés n’en avaient pas averti les autorités compétentes et ne leur en avaient pas demandé l’autorisation. En outre, les pouvoirs publics ont déclaré que les personnes qui avaient participé aux rassemblements spontanés avaient enfreint la loi étant donné que ces manifestations n’avaient pas reçu de permission officielle.

Cette position est contraire au droit azerbaïdjanais et aux normes internationales. En effet, l’article 5.IV de la Loi relative à la liberté de réunion dispose que les rassemblements fortuits ne nécessitent pas de préavis écrit, reconnaissant ainsi qu’il n’est pas forcément possible d’identifier l’organisateur d’un rassemblement spontané et qu’il s’agit d’un événement normal dans toute société démocratique. Aux termes des normes internationales sur le droit à la liberté de réunion pacifique, les dispositions rendant le préavis obligatoire, lorsqu’elles existent, doivent comporter une exception pour les rassemblements spontanés. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que le droit de manifester spontanément pouvait s’exercer dans des circonstances particulières, lorsqu’une réaction immédiate était légitime, par exemple à la suite d’un événement politique, et que le fait de disperser une telle manifestation uniquement en raison de l’absence de préavis, sans que les participants ne se livrent à des actes illégaux, pouvait donc s’apparenter à une restriction disproportionnée de la liberté de réunion pacifique. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association a aussi insisté sur le fait que les rassemblements spontanés devaient être reconnus par la loi et exemptés de préavis. En outre, il a souligné que les manifestations organisées sans préavis ne devaient pas automatiquement être dispersées ni donner lieu à des sanctions administratives ou pénales comme des peines d’emprisonnement ou d’amende.

Il faut que les autorités azerbaïdjanaises respectent leurs obligations internationales et veillent à ce que chacun puisse jouir de la liberté d’exprimer ses opinions sans menace de violence, d’arrestation arbitraire ou de poursuites, ce qui est un droit fondamental. Il faut aussi qu’elles libèrent immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé leur droit aux libertés d’expression et de réunion pacifique et qu’elles veillent à ce que les manifestants soupçonnés d’actes violents soient jugés équitablement. Enfin, il faut qu’elles diligentent sans délai des enquêtes approfondies et efficaces sur tous les cas de recours excessif à la force par la police et amènent les responsables présumés de ces agissements à rendre des comptes.

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