communiqué de presse

Maroc. Cessez d’utiliser le « terrorisme » comme prétexte pour emprisonner les journalistes

Les autorités marocaines utilisent une loi antiterroriste afin de poursuivre et d’emprisonner des journalistes, ce qui porte un coup sérieux à la liberté d’expression et à l’indépendance des rédactions, a déclaré Amnesty International le mardi 20 mai 2014, en mettant en avant le cas de deux hommes récemment visés par cette loi.

Le lundi 19 mai, les autorités ont reporté l’audition prévue le 20 mai du journaliste Ali Anouzla, qui risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement pour avoir réalisé un reportage sur une vidéo du groupe armé Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Pendant ce temps, un autre journaliste marocain, Mustapha El Hasnaoui, en est au cinquième jour d’une grève de la faim entamée pour protester contre les trois ans d’emprisonnement qu’il doit purger pour faits de terrorisme, ayant été condamné pour des contacts qu’il aurait eus avec des personnes engagées dans le combat contre les forces gouvernementales en Syrie.

« L’utilisation des lois antiterroristes comme prétexte pour sanctionner les journalistes en raison de leurs reportages porte un coup sérieux à la liberté d’expression au Maroc », a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord pour Amnesty International.

L’ajournement de l’audition d’Ali Anouzla, prévue le 20 mai, par le juge d’instruction de l’annexe de la Cour d’appel à Salé (à proximité de la capitale, Rabat) est venu s’ajouter à une série déjà longue de retards depuis que les autorités ont ouvert une information sur cet homme, l’année dernière.

« Les autorités marocaines doivent cesser cette caricature de procès à l’encontre d’Ali Anouzla et abandonner les chefs d’inculpation de terrorisme retenus contre lui. Dans le cas du journaliste Mustapha El Hasnaoui, nous les invitons à se conformer à la recommandation du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, qui a demandé sa libération inconditionnelle et sans délai, et qui a souhaité qu’il se voie accorder une indemnisation suffisante pour les 10 mois qu’il a déjà passés en détention », a déclaré Philip Luther.

Ali Anouzla a été traduit en justice en septembre 2013, après que le site d’information en ligne qu’il a fondé, Lakome.com, eut critiqué une vidéo d’AQMI en parlant de « propagande ». Amnesty International craint que les poursuites engagées contre lui ne viennent sanctionner son indépendance rédactionnelle et son esprit critique envers les autorités.

Pendant la période de plus d’un mois qu’il a passée en détention après son arrestation, en septembre 2013, l’organisation l’a considéré comme un prisonnier d’opinion. Depuis, il a été libéré sous caution, mais l’enquête le concernant se poursuit. Pendant ce temps, Lakome.com est toujours censuré par les autorités.

Par ailleurs, les autorités marocaines ont fait obstacle, récemment, à la reconnaissance officielle de Freedom Now, une nouvelle ONG également appelée Comité pour la protection de la liberté de la presse et d’expression, créée par des défenseurs des droits humains et journalistes marocains, parmi lesquels Ali Anouzla. Plusieurs autres groupes de défense des droits humains au Maroc et au Sahara occidental se sont heurtés eux aussi à des entraves de la part des autorités locales, en infraction à la législation nationale et aux obligations internationales du Maroc en matière de droits humains.

Un journaliste emprisonné mène une grève de la faim

Un autre journaliste, Mustapha El Hasnaoui, fait actuellement une grève de la faim dans la prison de Kenitra, à 50 km au nord de Rabat, où il purge une peine d’emprisonnement de trois ans en application de la loi marocaine contre le terrorisme.

Bien qu’il n’ait été accusé d’aucun acte de violence spécifique, il a été condamné en juillet 2013 pour ne pas avoir dénoncé des personnes soupçonnées d’avoir commis des actes terroristes en Syrie et pour avoir appartenu au même groupe terroriste que ces personnes. Cette peine a été prononcée à l’issue d’un procès inique où le seul élément retenu contre lui était un procès-verbal d’interrogatoire de police qu’il avait signé sans en prendre connaissance et qu’il a par la suite contesté devant le tribunal.

Mustapha El Hasnaoui affirme que son interaction avec des hommes qui combattaient en Syrie les forces gouvernementales n’a pas outrepassé son rôle de journaliste. Selon lui, les charges retenues contre lui ont été fabriquées de toutes pièces parce qu’il avait refusé des offres de recrutement qui lui avaient été faites à plusieurs reprises par les services de renseignement marocains. Dans ses écrits, il a critiqué avec vigueur les violations des droits humains commises dans le contexte de la lutte contre le terrorisme menée par les autorités, et il a demandé à plusieurs reprises que des enquêtes indépendantes soient effectuées sur les attentats à la bombe commis au Maroc depuis 2003.

« En 2011, les Marocains se sont vu promettre un nouveau Code de la presse qui éliminerait la possibilité de peines d’emprisonnement pour les journalistes - ils attendent encore. Et pendant ce temps, les voix dissidentes sont réduites au silence », a déclaré Philip Luther.

Les journalistes sont toujours exposés à des peines de prison en vertu de 20 articles distincts du Code de la presse actuellement en vigueur au Maroc, qui visent notamment les articles censés porter atteinte au régime monarchique, à l’intégrité territoriale du Maroc ou à la religion islamique. Les journalistes font face à des sanctions similaires en vertu du Code pénal marocain, pour toute critique à l’égard de fonctionnaires ou de symboles nationaux. De surcroît, la législation antiterroriste adoptée en 2003 viole la liberté d’information et d’expression, érigeant en infractions pénales des faits - définis en termes vagues - de soutien, d’assistance et d’incitation au terrorisme, même s’ils ne comportent aucun risque réel d’action violente.

« Ces lois doivent être réformées si les autorités marocaines souhaitent vraiment respecter les droits humains », a déclaré Philip Luther.

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