Dans toute la région, des migrants sont régulièrement en butte à la discrimination, à l’exploitation et à d’autres formes d’abus, et aussi dans certains cas à des arrestations et détentions arbitraires et à des expulsions illégales. Qu’il s’agisse de migrants d’Afrique subsaharienne traversant des pays d’Afrique du Nord pour gagner l’Europe, ou d’ouvriers locaux ou venus d’Asie qui vivent dans des pays du Golfe ou dans d’autres pays du Moyen-Orient, ces personnes sont trop souvent privées de la protection que devrait leur fournir le droit du travail, exposées à des abus ou expulsées en raison de leur situation irrégulière.
« Les gouvernements dans toute la région Afrique du Nord et Moyen-Orient s’abstiennent dans des proportions effrayantes de protéger les migrants qui vivent dans leur pays ou qui le traversent, ce qui conduit à un nombre insupportable d’atteintes à leurs droits, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du travail de plaidoyer sur la région Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.
« Si les pressions exercées sur les gouvernements des pays du Golfe permettent dans certains cas d’obtenir des réformes du cadre juridique applicable aux migrants, il est nécessaire que ces gouvernements fassent beaucoup plus encore pour améliorer la protection de ces personnes dans la pratique. Parallèlement à cela, les gouvernements des pays d’Afrique du Nord devraient être beaucoup plus critiqués pour la répression discriminatoire qu’ils exercent afin de contrer l’arrivée de migrants en situation irrégulière, et qui se traduit par l’arrestation arbitraire de milliers de personnes, souvent détenues dans des conditions épouvantables et parfois soumises à des expulsions massives. »
Selon l’Organisation internationale du travail, on dénombrait 17,8 millions de travailleurs migrants dans les États arabes en 2013. La majorité d’entre eux venaient d’Asie, et un grand nombre d’autres régions du continent africain. Elle a estimé que quelque 600 000 migrants sont victimes du travail forcé dans ces États.
En Algérie, la répression discriminatoire exercée contre les migrants venant d’Afrique subsaharienne et contre les réfugiés et les demandeurs d’asile s’est accentuée en 2018, les forces de sécurité ayant arrêté et placé en détention de façon arbitraire des dizaines de milliers de personnes, qu’elles ont renvoyées illégalement au Niger et au Mali. Beaucoup de ces personnes ont été expulsées alors qu’elles détenaient des visas ou des documents consulaires en cours de validité.
Amnesty International lance cette semaine une campagne demandant aux autorités algériennes de mettre un terme aux arrestations arbitraires et aux expulsions massives de migrants.
Au cours des deux dernières décennies, en Algérie, le nombre de migrants a considérablement augmenté, mais le pays ne dispose toujours pas d’un cadre juridique clair pour les travailleurs migrants et il n’a pas adopté de loi sur l’asile. Une loi datant de 2008 relative aux ressortissants étrangers considère les migrants en situation irrégulière comme des délinquants qui peuvent être sanctionnés par une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
Au Maroc, pays frontalier, les autorités ont également accru la répression exercée contre les migrants en 2018, en partie pour endiguer l’immigration irrégulière depuis le Maroc vers l’Espagne. Depuis le mois de juillet, plus de 5 000 personnes ont été appréhendées souvent lors d’opérations violentes, placées dans des bus et ensuite abandonnées dans des zones proches de la frontière algérienne, alors que le Maroc a pris en 2013 de nouveaux engagements en ce qui concerne sa politique sur l’asile et la migration afin de mettre ses pratiques en conformité avec les normes internationales.
En Libye, tout comme les réfugiés et les demandeurs d’asile, les migrants économiques subissent des traitements abominables aux mains de groupes armés, de milices, de trafiquants et des autorités libyennes. Des milliers d’entre eux sont enfermés pour une durée indéterminée dans des centres de détention où ils sont systématiquement soumis à des violences, notamment à la torture, au viol et à l’extorsion.
D’après l’Organisation internationale du travail, le nombre de migrants dans les pays du Golfe représente plus de 10 % de la totalité des migrants à travers le monde et ils constituent la majeure partie de la population à Bahreïn, à Oman, au Qatar et dans les Émirats arabes unis (plus de 80 % de la population au Qatar et dans les Émirats arabes unis).
Or, dans toute la région du Golfe, les travailleurs migrants sont en butte à une discrimination et à une violence généralisées. Le système de parrainage abusif appelé kafala octroie aux employeurs un pouvoir de contrôle excessif sur leurs employés, ainsi exposés à d’importantes violations du droit relatif au travail.
L’Arabie saoudite est le pays de la région qui compte le plus grand nombre de travailleurs migrants – quelque 11 millions d’après les estimations – et le seul pays du Golfe qui oblige tous les travailleurs migrants à obtenir une « permission de sortie » : pour pouvoir sortir du pays, ils doivent obtenir la permission de leur employeur. À Bahreïn, plusieurs centaines de travailleurs migrants se sont retrouvés bloqués dans le pays parce que les entreprises qui les employaient ne leur ont pas payé leur salaire. Aux Émirats arabes unis, malgré quelques réformes destinées à améliorer les droits des migrants, les travailleurs migrants, qui représentent la majeure partie de la population, demeurent soumis au système de la kafala, qui les expose à des abus.
Dans toute la région, les employés de maison immigrés ne sont pas suffisamment protégés par la loi et sont exposés au risque de subir des violences physiques, sexuelles et psychologiques. Par exemple, au Koweït et à Oman, des employés de maison immigrés ont subi une exploitation et des violences, et cette année, au Koweït, une employée de maison philippine a été assassinée par ses employeurs.
Grâce aux pressions internationales exercées en raison du traitement réservé aux travailleurs migrants qui construisent les infrastructures de la Coupe du monde de football qu’il accueille en 2022, le Qatar a adopté une série de réformes au cours de l’année écoulée. Récemment, le Qatar a adopté une nouvelle loi supprimant partiellement la « permission de sortie », qui empêchait les travailleurs migrants de quitter le pays sans y avoir au préalable été autorisés par leur employeur. Cependant, cette loi ne s’applique pas aux employés de maison, qui ne sont toujours pas protégés par le droit du travail, et les autorités devront faire beaucoup plus pour résoudre le problème de l’exploitation des travailleurs dans la pratique.
Au Liban, plus de 200 000 employés de maison venus d’Asie et d’Afrique sont eux aussi soumis à un système de la kafala, exclus du champ d’application des protections prévues par le droit du travail et privés des droits dont jouissent les autres travailleurs. Les employés de maison migrants signalent souvent des conditions de travail relevant de l’exploitation qui constituent une forme de travail forcé, ainsi que des violences verbales, physiques et sexuelles, du racisme et de la discrimination, et des entraves à l’accès à la justice. Au lieu de prendre des mesures pour protéger les droits des employés de maison, les autorités exercent une répression contre ceux qui cherchent à ce qu’ils soient mieux respectés, et elles n’ont pas voulu reconnaître un syndicat des employés de maison créé en 2015.
En Israël, en janvier 2018, les autorités ont mis en place une nouvelle procédure pour renvoyer de force les demandeurs d’asile africains, considérés comme des « infiltrés » et traités en tant que migrants en situation irrégulière, vers leur pays d’origine ou un « pays tiers » africain non précisé. Ceux qui refusent de se soumettre à cette procédure sont placés en détention pour une durée indéterminée. Entre 2014 et 2018, plus de 4 000 demandeurs d’asile africains ont été expulsés de façon illégale vers un « pays tiers » sans garanties de procédure.
« La discrimination et les violences généralisées auxquelles sont en butte les migrants dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient sont odieuses et elles entachent la conscience des gouvernements de toute la région, qui ont beaucoup retard en ce qui concerne les droits des migrants, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme régional Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
« Il est grand temps que ces gouvernements reconnaissent que, comme leurs ressortissants, les migrants sont des êtres humains dotés de droits qui doivent être respectés, et veillent à ce qu’ils soient traités avec dignité. Pour commencer, tous les États doivent adopter des réformes pour que tous les travailleurs migrants soient intégralement protégés par le droit du travail, et plus généralement, pour que les migrants ne soient pas soumis à la discrimination, à une détention arbitraire ou à une expulsion illégale. »