Le traitement infligé par les autorités de Bahreïn à des détenus emprisonnés à tort bafoue les normes internationales relatives au traitement des prisonniers et dans certains cas peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, a déclaré le 2 mai 2017 une coalition de 10 organisations de défense des droits humains. Les autorités doivent veiller à ce que tous les détenus soient traités avec humanité, conformément à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, ou Règles Nelson Mandela, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins médicaux dont ils ont besoin et la possibilité de communiquer avec leurs proches.
Les familles de 12 militants de l’opposition ou défenseurs des droits humains détenus au bloc 7 de la prison de Jaww ont déclaré aux organisations qu’en vertu des nouvelles règles, les autorités entravent ces hommes, dont beaucoup sont âgés et en mauvaise santé, dès qu’ils quittent leur cellule, y compris pour des rendez-vous médicaux. Ils purgent de lourdes peines de prison en lien avec le rôle pacifique qu’ils ont joué lors du soulèvement en faveur de la démocratie de février 2011.
« Ces nouvelles règles dégradent et humilient des prisonniers qui ne présentent aucun risque d’évasion, a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. Les autorités peuvent prendre des mesures raisonnables afin d’empêcher les évasions, mais entraver des patients malades, dont beaucoup ont été torturés, va clairement au-delà d’une nécessité dictée par la sécurité. »
Les autorités doivent libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers incarcérés uniquement pour avoir exercé sans violence leurs droits à la liberté d’expression et de réunion.
Le 12 avril 2017, Abdulhadi al Khawaja, défenseur des droits humains détenu au bloc 7, a entamé une grève de la faim pour protester contre le nouveau règlement mis en place à la prison de Jaww, qui selon les détenus est une réponse disproportionnée à l’évasion de 10 prisonniers d’une autre section de cette prison le 1er janvier.
Outre le fait d’entraver les détenus, ce qui les a conduits à refuser de se rendre à des rendez-vous médicaux pour protester contre ce qu’ils considèrent comme un traitement dégradant, les autorités ont diminué les heures de visite et le temps d’appel téléphonique avec leurs proches.
Selon les familles des opposants et des défenseurs des droits humains et de plusieurs autres prisonniers, depuis cette évasion, au cours de laquelle un policier a perdu la vie, le traitement infligé à leurs proches s’est nettement durci.
Depuis le 1er mars, les prisonniers du bloc 7 portent des entraves dès qu’ils quittent leurs cellules. Cette pratique va à l’encontre de la Règle 47 des Règles Nelson Mandela, qui dispose que les instruments de contrainte ne doivent être utilisés qu’à titre de précaution contre une évasion ou pour empêcher les prisonniers de se blesser ou de blesser autrui. Les familles des prisonniers qui se trouvent dans d’autres bâtiments ont également déclaré aux organisations de défense des droits humains que leurs proches sont entravés dès qu’ils sortent de leur cellule et que depuis l’évasion, leurs cellules sont verrouillées pendant la majeure partie de la journée – ceux qui n’ont pas de toilettes à l’intérieur ont donc un accès restreint aux sanitaires.
D’après les mécanismes internationaux de droits humains, l’utilisation de moyens de contrainte pour les prisonniers âgés ou infirmes qui ne présentent pas de risque d’évasion peut constituer un mauvais traitement. Les autorités carcérales semblent désireuses de respecter certaines Règles Nelson Mandela en transférant les patients qui ont besoin de traitements spécialisés dans des instituts spécialisés ou des hôpitaux civils. Toutefois, l’usage disproportionné de moyens de contrainte physique est dégradant et empêche les prisonniers de bénéficier des soins médicaux dont ils ont besoin.
Des proches d’Abdulhadi Al Khawaja, 56 ans, ont déclaré qu’il avait rendez-vous avec un ophtalmologue à l’hôpital militaire des Forces de défense de Bahreïn le 12 mars, en raison de maux de tête et de problèmes oculaires. Cependant, l’administration carcérale a insisté sur le fait qu’il devait porter l’uniforme de la prison, être entravé aux jambes et aux chevilles et être soumis à une fouille au corps complète.
Sa famille a déclaré qu’il a refusé, en raison de l’humiliation associée à ces mesures. Abdulhadi Al Khawaja a écrit aux autorités carcérales en mars, sollicitant un nouveau rendez-vous médical où il pourrait se rendre sans être fouillé et sans entraves. Il n’a pas reçu de réponse. Le 12 avril, il a entamé une grève de la faim. Sa famille s’est dite préoccupée par les conséquences de sa grève de la faim sur son état de santé déjà dégradé et a déclaré que le 15 avril, il a refusé une assistance médicale pour son faible taux de glycémie en guise de protestation contre les nouvelles dispositions.
Le 20 avril, Abdulhadi Al Khawaja a pris des fluides indispensables pour ne pas perdre connaissance et éviter d’être transféré à l’hôpital, où il craignait d’être nourri de force, comme ce fut le cas lors de précédentes grèves de la faim. Il souffre d’épuisement, de faiblesse générale et de vertiges. Il a perdu du poids et son taux de glycémie demeure bas.
Selon un proche d’Abduljalil al Singace, 55 ans, qui a besoin de béquilles ou d’un fauteuil roulant du fait d’une polio et d’une anémie falciforme, celui-ci a refusé de se rendre à des rendez-vous médicaux, notamment le 12 mars pour voir un hématologue et début mars pour soigner une infection à l’épaule, parce que les autorités carcérales insistaient pour qu’il porte des entraves durant le transfert.
Selon leurs proches, Mohamed Hassan Jawad, 69 ans, et Hasan Mshaima, 69 ans, ont aussi refusé des rendez-vous médicaux très importants afin de protester contre le fait qu’on leur impose d’être entravés et de porter l’uniforme de la prison. Hasan Mshaima souffre de problèmes cardiaques et a été soigné pour un cancer, ce qui fait qu’il a besoin de bilans réguliers. D’après sa famille, il doit faire une tomographie par émission de positons (TEP) tous les six mois. Or, le dernier scanner remonte à plus de huit mois.
« L’état de santé de ces militants politiques et défenseurs des droits humains bahreïnites de premier rang s’est détérioré durant leur détention arbitraire prolongée depuis 2011, a déclaré Husain Abdulla, directeur d’Americans for Democracy and Human Rights in Bahrain. Entraver ces prisonniers d’opinion n’est pas une mesure de sécurité carcérale légitime, mais vise à les avilir et à les humilier. La communauté internationale ne doit pas oublier ces prisonniers d’opinion de longue durée et doit œuvrer à mettre un terme à cette détention injuste et punitive. »
Depuis le 1er mars, l’administration pénitentiaire a réduit toutes les visites des familles d’une heure à 30 minutes, une fois toutes les deux ou trois semaines, et les prisonniers sont désormais séparés de leurs visiteurs par une paroi vitrée. Depuis juin 2016, les appels téléphoniques qu’ils sont autorisés à passer à leurs familles jusqu’à trois fois par semaine sont réduits de 40 à 30 minutes pour l’ensemble des appels. Depuis le 20 mars, le papier toilette et les mouchoirs ne leur sont plus fournis.
Le 1er mars, les détenus du bloc 7 et d’autres détenus de la prison de Jaww ont décidé de boycotter les visites des familles en guise de protestation.
« Ces opposants sont des prisonniers d’opinion qui n’auraient pas dû passer un seul jour derrière les barreaux, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches au bureau régional d’Amnesty International à Beyrouth. Les autorités doivent immédiatement mettre un terme à la sanction collective et arbitraire infligée à toute la population carcérale de Jaww, suite à l’évasion d’un groupe de prisonniers. Elles doivent libérer sans délai tous les prisonniers d’opinion et veiller à ce que tous les prisonniers soient traités avec humanité et reçoivent les soins médicaux dont ils ont besoin. »
La Règle 36 des Règles Nelson Mandela dispose que la discipline et l’ordre doivent être maintenus sans apporter plus de restrictions qu’il n’est nécessaire pour le maintien de la sécurité, le bon fonctionnement de la prison et le bon ordre de la vie communautaire. Ainsi, si les autorités peuvent adopter des mesures afin de réduire le risque de nouvelles évasions, ces mesures doivent être proportionnées, ne doivent pas empiéter sur la dignité des prisonniers et ne doivent pas aggraver inutilement la souffrance inhérente à la privation de liberté.
Tout acte délibéré infligeant un traitement inhumain ou dégradant à des détenus doit faire l’objet d’une enquête et les responsables présumés doivent rendre des comptes.
Onze des 12 détenus du bloc 7 ont été condamnés lors de procès ne respectant pas les normes internationales d’équité et ont été déclarés coupables de crimes incluant l’implication présumée dans une organisation dont l’objectif était de remplacer la monarchie à Bahreïn par une forme de gouvernement républicain. Les éléments de preuve présentés contre eux lors de leur procès se résumaient à des déclarations publiques prônant des réformes afin de limiter le pouvoir de la famille régnante Al Khalifa et à des « aveux » extorqués pendant leur détention au secret. Le 12e détenu, Ali Salman, dont la condamnation à neuf ans de prison a été réduite à quatre ans le 3 avril, a été déclaré coupable en lien avec l’exercice pacifique de son droit à la liberté d’expression, à l’issue d’un procès manifestement inique.
Dans son rapport de novembre 2011, la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn a noté que les autorités ont soumis le groupe à une pratique marquée de mauvais traitements, y compris la torture, dans certains cas après leur arrestation. Elles n’ont pas fourni de services de rééducation physique ni psychologique aux détenus qui ont été torturés.