Mexique, il faut arrêter un projet de loi régressif qui briderait les organisations de la société civile

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D’autres gouvernements des Amériques ont utilisé des lois similaires pour restreindre arbitrairement les activités des organisations de la société civile. En vertu du droit international, les gouvernements doivent garantir que les défenseur·e·s puissent travailler sans représailles ni obstacles juridiques inutiles.

Un projet de loi examiné par la Chambre des députés du Mexique [1] restreindrait fortement le travail des organisations de la société civile dans le pays et violerait les obligations juridiques internationales qui incombent au Mexique, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. Les législateurs devraient mettre cette proposition au placard.

Le projet de loi a été présenté par un législateur de Morena, le parti du président Andrés Manuel López Obrador, qui détient la majorité dans les deux chambres du Congrès. Il interdirait aux organisations à but non lucratif d’essayer d’influencer ou de modifier les lois, par le biais d’un travail de lobbying ou de poursuites judiciaires stratégiques, si elles reçoivent des fonds, directement ou indirectement, d’entreprises ou de gouvernements étrangers. Le gouvernement aurait le pouvoir d’annuler le statut à but non lucratif des organisations bafouant cette interdiction.

« Cette proposition pourrait en fait empêcher les défenseur·e·s mexicains des droits humains de participer à des débats sur les politiques publiques, de contester des lois abusives »

« Cette proposition pourrait en fait empêcher les défenseur·e·s mexicains des droits humains de participer à des débats sur les politiques publiques, de contester des lois abusives devant les tribunaux ou de débattre de la manière d’améliorer la protection des droits avec les législateurs, a déclaré Tamara Taraciuk Broner [2], directrice adjointe de la division Amériques de Human Rights Watch. Il s’agit du type de manœuvres visant à étendre le pouvoir exécutif au détriment des libertés fondamentales déjà constatées de la part de dirigeants autocratiques dans des pays comme la Russie, le Nicaragua ou le Salvador. »

« Les organisations de la société civile et les défenseur·e·s des droits humains qui dénoncent des lois injustes et des pratiques gouvernementales, contestent les dirigeants et réclament justice sont de plus en plus pris pour cibles dans la région, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International. Depuis des décennies, les organisations de la société civile jouent un rôle clé dans la promotion des droits humains au Mexique : elles font pression sur le Congrès en faveur de changements législatifs et contestent les lois abusives devant les tribunaux. Le projet de loi présenté s’inscrit dans un courant politique plus large qui diabolise les ONG à travers des récits toxiques dans l’intention de faire taire les opinions critiques et d’empêcher les défenseur·e·s des droits humains d’exercer un contrôle sur les institutions de l’État. »

Le président Andrés Manuel López Obrador attaque régulièrement les organisations qui défendent les droits, l’environnement et la transparence. Il désigne souvent publiquement des personnes et des organisations spécifiques lors de ses conférences de presse du matin, les accusant sans fondement de faire partie d’un complot de l’opposition visant à renverser son gouvernement. Il a également déclaré que les donateurs internationaux et les agences humanitaires doivent cesser de financer les groupes de la société civile mexicaine dans le respect du « non-interventionnisme ».

Les organisations mexicaines se sont prononcées publiquement contre des projets et propositions promus par Andrés Manuel López Obrador et son parti qui soulèvent des préoccupations en matière de droits humains. Citons notamment le projet de loi qui aurait légalisé [3] la détention arbitraire et permis l’utilisation de preuves obtenues sous la torture, et le projet de chemin de fer qui, selon ses opposants, nuirait à l’environnement [4] et aux communautés autochtones. Dans certains cas, des actions en justice [5] ont été intentées pour stopper ou retarder ces initiatives.

Exposant ses motivations dans les grandes lignes, l’introduction du nouveau projet de loi reconnaît que des organisations de la société civile ont entravé ou bloqué certaines propositions du gouvernement et les accuse de « fomenter un coup d’État », d’« interventionnisme » et de « violer notre souveraineté nationale ».
Human Rights Watch et Amnesty International ont recueilli des informations sur la manière dont d’autres gouvernements ont utilisé des lois similaires pour restreindre arbitrairement l’activité des organisations de la société civile.

Au Nicaragua, le gouvernement a annulé l’enregistrement de dizaines d’organisations humanitaires et de défense des droits humains, comme Oxfam, en s’appuyant sur une loi qui oblige toute organisation recevant des financements de l’étranger à s’enregistrer en tant qu’« agent étranger » [6], puis en leur interdisant de s’immiscer dans la « politique intérieure ».

En Équateur, sous la présidence de Rafael Correa, le gouvernement a publié un décret [7] lui conférant de vastes pouvoirs pour réglementer ou dissoudre les organisations de la société civile accusées d’« ingérence politique ». Il s’en est servi pour expulser plusieurs organisations internationales [8] et dissoudre une organisation équatorienne de défense de l’environnement [9], certains de ses membres ayant protesté contre des projets de forage pétrolier en Amazonie.

Au Venezuela, le gouvernement a adopté une série de lois restreignant les activités de la société civile et engagé des poursuites pénales contre des organisations [10] qui reçoivent des financements étrangers, les accusant de « trahison » [11] et d’« atteintes à la souveraineté nationale ».

Au Guatemala, une loi est entrée en vigueur [12] en juin 2021 permettant au gouvernement de fermer arbitrairement toute organisation de la société civile qu’il considère comme ayant enfreint l’ordre public.

Au Salvador, le gouvernement a proposé une loi sur les « agents étrangers » [13] en novembre 2021 qui interdirait aux organisations recevant des fonds de l’étranger de mener des « activités politiques ». En raison des contestations des organisations de défense des droits humains, la loi est au point mort, mais toujours en instance.

« Le président Andrés Manuel López Obrador a supprimé la fondation indépendante qui finançait le programme de protection des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains dont la vie est menacée »

En dehors de l’Amérique latine et des Caraïbes, des pays comme la Russie [14], l’Égypte [15] et la Chine [16] ont adopté des lois draconiennes visant à restreindre le travail des défenseur·e·s des droits humains et, dans certains cas, ont poursuivi en justice [17] et condamné à des amendes des organisations défendant les droits qui s’étaient livrées à des « activités politiques ».

Depuis son entrée en fonction en 2018, le président Andrés Manuel López Obrador a supprimé la fondation indépendante [18] qui finançait le programme de protection des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains dont la vie est menacée. Il a également vilipendé et intimidé des journalistes indépendants, les accusant publiquement de mentir, les qualifiant de « criminels » [19] et divulguant publiquement des informations personnelles sensibles sur un journaliste qui le critiquait.

Il tente de se servir du système judiciaire comme d’une arme contre ses opposants : il a fait pression en faveur d’une réforme pour asseoir le contrôle sur les tribunaux [20], organisé un référendum sur l’opportunité de traduire en justice les anciens présidents des partis d’opposition et demandé qu’un juge qui s’est prononcé contre lui fasse l’objet d’une enquête. En outre, il s’efforce de neutraliser ou d’éliminer les institutions indépendantes qui contrôlent le pouvoir présidentiel, comme l’institut indépendant pour l’accès à l’information [21].

En vertu du droit international, dans le cadre de leur obligation de protéger et de promouvoir les droits humains, les gouvernements doivent veiller à ce que les défenseur·e·s de ces droits puissent poursuivre leurs activités sans représailles, menaces, discriminations, mesures d’intimidation et de harcèlement, ni obstacles juridiques inutiles. Selon l’Organisation des Nations Unies [22] et la Commission interaméricaine des droits de l’homme [23], cela suppose de permettre aux organisations de défense des droits humains de solliciter, recevoir et utiliser des fonds émanant d’organisations gouvernementales et non gouvernementales étrangères et de bénéficier d’exonérations fiscales accordées à d’autres associations à but non lucratif.

Aux termes de la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’homme, les défenseur·e·s ont le droit de proposer des changements juridiques et politiques, d’offrir une assistance juridique pour la défense des droits humains et de déposer des plaintes auprès des organes gouvernementaux et de faire examiner ces plaintes.

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