Communiqué de presse

Des militants africains luttent contre l’homophobie

Un grand nombre des compatriotes de Dismus Aine Kevin n’hésiteraient pas à le déclarer coupable alors même qu’il n’a jamais commis une seule infraction.

Or, ce que les autorités ougandaises n’apprécient guère chez ce militant de 30 ans, c’est qu’il soit gay car, en Ouganda, il est illégal d’aimer une personne de même sexe que soi.

Son identité sexuelle est considérée si dangereuse par les autorités que, en octobre dernier, la police ougandaise a effectué une perquisition dans les locaux de son organisation, la Rainbow Health Foundation.

Elle voulait connaître les activités de l’organisation. Une enquête a été ouverte après la perquisition.

Il y a peu de temps, Dismus Aine Kevin a même été expulsé du logement qu’il louait, son propriétaire ayant appris par un voisin qu’il était gay.

« Si vous affichez votre homosexualité à l’école, vous êtes expulsé. On ne vous demandera pas d’explications. Ils vous obligeront à quitter votre logement. Dans les petits centres de santé, s’ils pensent que vous êtes [homosexuel], ils vous mettent à la porte. Ils vous mettent à la porte ou bien ils refusent de vous soigner. Même si vous avez la malaria. Tout le monde doit se cacher », a expliqué Dismus Aine Kevin à Amnesty International.

Vivre ouvertement son homosexualité dans un pays comme l’Ouganda est incroyablement dangereux.

Cette année, ce pays d’Afrique subsaharienne tente de nouveau de faire adopter la proposition de loi relative à la lutte contre l’homosexualité, qui prévoirait des peines plus lourdes pour les « actes homosexuels », déjà interdits par la loi dans le pays. La mouture la plus récente de ce texte dispose que les personnes coupables d’homosexualité « avec circonstances aggravantes » sont passibles de la peine capitale.

La proposition de loi punit également de mort les relations consenties entre personnes de même sexe et érige en infraction la « promotion » de l’homosexualité, ce qui constitue une atteinte directe à la liberté d’expression des défenseurs des droits humains.

« Si cette loi est promulguée, l’Ouganda devra construire des prisons bien plus vastes. Ce texte signifie que mon père, ma mère et mon frère deviendront des criminels, passibles de peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement parce qu’ils n’auront pas signalé à la police que j’étais lesbienne », a indiqué Jay Abang, une militante ougandaise.

Un amour « illégal »

L’Ouganda n’est pas une exception.

L’homosexualité est contraire à la loi dans 38 États africains, tandis qu’un nombre croissant de pays cherchent à faire voter des textes législatifs sanctionnant davantage les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI).

Selon Amnesty International, les actes de discrimination et de violence à l’encontre des personnes LGBTI en Afrique subsaharienne se sont multipliés ces dix dernières années.

Conséquence de cette poussée de l’homophobie, les personnes LGBTI sont en butte à des manœuvres de harcèlement, des persécutions et des mesures de dénigrement de plus en plus nombreuses sur tout le continent, les militants faisant état d’agressions, d’arrestations arbitraires, d’expulsions et de chantage.

Dismus Aine Kevin a été un témoin direct des conséquences de la discrimination à l’égard de ces personnes.

Il a vu, par exemple, des personnes incapables de poursuivre leurs études car elles avaient été désavouées par leur famille, d’autres qu’on a refusé de soigner à l’hôpital et dans des services de santé parce qu’elles étaient homosexuelles.

Jackson Otieno, militant bisexuel âgé de 29 ans qui vit au Kenya, explique que l’ampleur des discriminations et du harcèlement varie d’un endroit à un autre dans son pays :

« Dans certains lieux, les gens n’y prêtent pas attention. Vous pouvez par exemple tenir la main de votre partenaire au restaurant. Par contre, dans les quartiers informels, vous n’oseriez pas le faire. Nous avons vu des personnes expulsées de chez elles, d’autres agressées. D’autres encore ont fait l’objet de menaces, et la police ne sait pas comment traiter ces agissements.

Il arrive que la famille d’une femme lesbienne la contraigne à se marier, juste après l’adolescence, ou l’enferme à la maison et y fasse venir des hommes pour qu’ils aient des relations sexuelles avec elle. C’est ainsi qu’ont lieu les viols correctifs au Kenya. »

En butte à la stigmatisation au Cameroun

La situation n’est pas meilleure au Cameroun, où les relations consenties entre personnes de même sexe sont là aussi interdites par la loi.

« Je suis allée à l’hôpital pour effectuer un examen. Le médecin m’a dit que j’avais une infection sexuellement transmissible et m’a demandé de revenir avec mon partenaire. [...] Je suis donc retournée à l’hôpital avec ma compagne. [...] Lorsque nous nous sommes assises, le médecin nous a dit de partir. Alors que nous sortions de l’hôpital, il a appelé ses collègues et ils nous ont tous montrées du doigt en disant : “Lesbiennes, lesbiennes” », a raconté Jo Mandeng, militante lesbienne au Cameroun.

Jo Mandeng a expliqué que les lesbiennes dans son pays faisaient l’objet d’une telle discrimination et d’une telle réprobation sociale que nombre d’entre elles envisageaient de recourir à des mesures désespérées.

« Certains de mes amis, qu’ils soient gays ou lesbiennes, ont tenté de se suicider. Ils m’appellent pour me dire qu’ils n’ont plus la force de vivre, et je dois les réconforter. Les risques sont particulièrement élevés en cas de rejet par la famille : si vous n’avez plus aucune aide financière, vous tombez dans la dépression et nourrissez des idées suicidaires », a-t-elle déclaré à Amnesty International.

Profondément préoccupée par les problèmes psychologiques dont souffrent les personnes LGBTI, Jo Mandeng est devenue membre en 2009 d’Alternatives-Cameroun, association qui œuvre en faveur de l’égalité, de la tolérance et du respect envers les personnes exclues socialement.

Selon Joseph Achilles Tiedjou, qui fait partie de l’Association pour la défense des droits des homosexuels (ADEFHO), la situation des hommes gays au Cameroun est tout aussi critique, nombre d’entre eux étant la cible d’arrestations et de violences ordonnées ou tolérées par les autorités.

Il a expliqué que les homosexuels avaient des difficultés à trouver un emploi en raison de cette hostilité à leur égard, et qu’ils risquaient en permanence d’être arrêtés arbitrairement, d’être dénoncés, de se faire racketter ou de subir un chantage du fait des dispositions législatives en vigueur.

« Nous pouvons citer le cas de plusieurs centaines de personnes qui ont été expulsées des hôpitaux parce que leurs problèmes de santé étaient liés à leur orientation sexuelle. Le médecin peut aussi enfreindre l’obligation qui lui incombe de respecter la confidentialité des informations sur le patient, déclarant par exemple à son assistant : “Pourquoi avez-vous accepté cette personne ? Il est gay, je ne veux pas de ça ici” Ou alors, si vous avez un problème avec votre voisin, celui-ci peut menacer d’aller voir la police pour lui signaler que vous êtes gay. Les homosexuels s’autocensurent énormément », a indiqué Joseph Achilles Tiedjou.

L’organisation de la résistance

Malgré la multiplication des actes de discrimination et des violences visant les personnes LGBTI en Afrique, de nombreuses personnes courageuses s’organisent pour se défendre.

Dismus Aine Kevin, par exemple, dirige une organisation qui vient en aide aux personnes LGBTI dans les zones rurales de l’ouest de l’Ouganda, où les discriminations sont particulièrement criantes.

Cette organisation, la Rainbow Health Foundation, communique des informations sur les maladies sexuellement transmissibles, identifie les professionnels de la santé qui acceptent les personnes LGBTI, propose de petits prêts pour aider ces personnes à se lancer et prodigue des formations sur les droits humains aux membres des forces de sécurité.

Créée en 2010 par sept personnes, elle compte aujourd’hui plus de 300 membres.

« Nous ne parlons pas de notre organisation dans les médias. Nous utilisons un système de recommandation [par le bouche à oreille] : je connais quelqu’un et cette personne a un ami qui… C’est ainsi que nous fonctionnons dans notre communauté. Nous nous considérons comme des militants LGBTI ruraux. Notre principal objectif est d’offrir des services aux gens qui vivent dans des zones où ces services sont difficilement accessibles », a expliqué Dismus Aine Kevin.

« Les personnes LGBTI sont des êtres humains. Elles ne viennent pas d’une autre planète et ne demandent pas de [traitement] de faveur. […] Ce sont des personnes qui vivent à vos côtés, ce sont vos frères et vos sœurs. Ils ont simplement besoin d’être en sécurité là où ils vivent », a-t-il conclu.

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