Mission de haut niveau d’Amnesty International au Kenya

Informations générales

Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International, a conduit une mission de haut niveau au Kenya du 8 au 12 juin 2009.

Les objectifs de cette mission comportaient deux volets :
• lancer la première action de la nouvelle campagne mondiale d’Amnesty International Exigeons la dignité, qui vise à dénoncer et combattre les atteintes aux droits humains qui font sombrer les gens dans la pauvreté et les y maintiennent, et présenter le rapport The Unseen Majority : Nairobi’s two million slum dwellers, publié dans le cadre de cette campagne.
• rencontrer les représentants de la société civile et du gouvernement afin de débattre de la vision d’Amnesty International concernant la situation plus générale des droits humains au Kenya, notamment :
• l’impunité pour les atteintes aux droits humains commises durant les violences post-électorales de 2007-2008 ;
• l’obligation pour la police de rendre des comptes concernant les violations des droits humains qui lui sont imputables ;
• la protection des défenseurs des droits humains ;
• les réformes de la justice et de la police.

La délégation d’Amnesty International s’est entretenue avec le Premier ministre, Raila Odinga, le vice-président, Kalonzo Musyoka, le vice-Premier ministre et ministre du Gouvernement local, Musalia Mudavadi, le ministre de la Sécurité intérieure et de l’Administration provinciale, George Saitoti, le ministre de la Justice et de la Cohésion nationale, Mutula Kilonzo, le ministre des Terres, James Orengo, et le ministre du Logement, Soita Shitanda, ainsi qu’avec de hauts fonctionnaires.
La délégation a également rencontré le président de la Commission nationale kenyane des droits humains, des organisations locales majeures de la société civile et des représentants diplomatiques.

PREMIÈRE PARTIE :
Kenya. Près de deux millions de personnes vivent au cœur de Nairobi dans un espace de non-droit en termes de droits humains – privés de services, privés de sécurité, privés de parole.

Nairobi – Amnesty International a publié ce vendredi 12 juin 2009 un rapport sur les conditions très rudes et les violations flagrantes des droits humains auxquelles doivent faire face les habitants des bidonvilles de Nairobi. The Unseen Majority : Nairobi’s Two Million Slum Dwellers décrit les conditions de vie de la moitié de la population de Nairobi, qui vit dans des quartiers informels et s’entasse sur seulement cinq pour cent des zones d’habitation de la ville et pas plus de un pour cent de l’ensemble de sa surface.

Ce rapport est le premier document lancé dans le cadre de la nouvelle campagne mondiale d’Amnesty International Exigeons la dignité, qui vise à dénoncer et combattre les atteintes aux droits humains qui font sombrer les gens dans la pauvreté et les y maintiennent. Au Kenya, l’organisation mobilise les habitants des bidonvilles pour qu’ils « exigent la dignité » et fassent entendre leur droit à un logement décent. En amplifiant leurs voix, la campagne incitera les responsables politiques kenyans à apporter des réponses efficaces.

« Des millions de personnes vivent dans des conditions sordides, privées des services élémentaires, mais aussi en butte à la discrimination, l’insécurité et la marginalisation » , a déclaré Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International.

« Leurs voix ne sont pas entendues et elles sont exclues des prises de décision (pas de consultation ni d’information) qui affectent leurs vies. Il s’agit là d’un scandale en termes de droits humains. »

Le rapport établit l’incapacité des gouvernements kenyans successifs de protéger les habitants des bidonvilles et montre comment le désintérêt de générations de politiciens a laissé la population de ces quartiers informels croître et leurs habitants devenir des prisonniers de la pauvreté. Amnesty International est convaincue que les droits fondamentaux sont la clé qui permet aux gens de rompre avec le cercle vicieux du dénuement.

Dans son rapport, les habitants des bidonvilles parlent de leur vie faite de pauvreté, de hausse des prix alimentaires, d’absence de centres de soins et d’écoles, de harcèlement aux mains des autorités et de la menace permanente d’être expulsés de force. Selon les victimes, les expulsions forcées ont souvent lieu la nuit, ou par mauvais temps, sur fond de déploiement d’une force excessive. Les habitants sont informés tardivement – au mieux – de leur expulsion et leurs affaires sont détruites avec leur maison.

D’après ce rapport, quelque 127 000 personnes sont exposées au risque imminent de voir leurs abris de fortune et leurs commerces informels démolis dans le cadre d’un plan gouvernemental visant à nettoyer le bassin fluvial de Nairobi.

Malgré l’adoption il y a quatre ans d’une politique nationale en matière de logement, qui promettait l’exercice progressif du droit au logement, le gouvernement n’a pas fourni d’habitations accessibles et abordables. Le programme de rénovation des bidonvilles s’avère trop lent et sous-financé. Les habitants ont l’impression qu’ils n’ont pas été dûment consultés sur sa mise en œuvre.

« Exploités par les propriétaires, menacés par les policiers, escroqués par les gangs : les habitants des bidonvilles de Nairobi vivent dans un trou noir en termes de droits humains. Ils n’ont pas accès aux services élémentaires, ne vivent pas en sécurité et n’ont pas leur mot à dire quant à leur avenir », a poursuivi Irene Khan.

Le rapport d’Amnesty International invite le gouvernement kenyan à :
• mettre un terme à toutes les expulsions forcées ;
• adopter des directives conformes au droit international relatif aux droits humains afin de garantir la sécurité légale de l’occupation et de protéger les personnes contre les expulsions arbitraires ;
• consulter comme il convient les populations touchées ;
• améliorer la coordination entre les organes du gouvernement chargés des questions relatives à la terre et au logement.
« La promesse de fournir un logement décent et des services élémentaires à tous ceux qui vivent dans des quartiers informels et des bidonvilles aurait déjà dû être tenue », a fait valoir Irene Khan.

Complément d’information

Irene Khan a rencontré des habitants et des militants des quartiers de Soweto (Kibera) et Korogocho. Des délégués d’Amnesty International se sont également rendus dans le quartier informel de Deep Sea.
Irene Khan a invité les Kenyans à faire savoir à leur gouvernement, par le biais d’un numéro de SMS gratuit (3221), ce que signifient pour eux la dignité et le droit au logement.
Irene Khan et d’autres délégués d’Amnesty International ont participé à une manifestation rassemblant plusieurs centaines de personnes de quartiers informels de tout Nairobi pour faire valoir leur droit à un logement convenable.
• Le rapport présente des témoignages de première main, notamment celui d’une femme qui a perdu son logement à deux reprises, la première en raison d’une expulsion forcée et la seconde lorsque sa maison a été incendiée alors qu’elle y dormait avec des proches. Elle n’a pu sauver qu’une seule chose : sa carte d’identité. Une autre femme explique que ses enfants n’ont pas pu se rendre à l’école primaire pendant plusieurs semaines parce qu’ils avaient été expulsés de force et que leur maison avait été rasée au bulldozer, avec leurs livres, leur matériel et leurs uniformes à l’intérieur. Une autre victime raconte que sa maison et celle de son voisin ont été incendiées alors qu’ils se trouvaient à l’église.

DEUXIÈME PARTIE :
Kenya. Le temps presse : le gouvernement doit agir de toute urgence et entreprendre des réformes essentielles

« Le Kenya a une longue tradition de graves atteintes aux droits humains, mais il a désormais la possibilité de tourner la page », a indiqué Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International, au terme de sa mission dans le pays.

« Les gouvernements qui se sont succédés ont volontiers mis sur pied des commissions et des groupes de travail, tout en se gardant de mettre en œuvre leurs recommandations. Le gouvernement actuel ne doit pas répéter le même schéma. »

Tout en saluant la grande disponibilité des autorités kenyanes et leur propension à dialoguer ouvertement et franchement, Amnesty International a constaté de grandes divergences au sein du gouvernement, tant sur la perception de la situation des droits humains dans le pays que sur l’ampleur et la nature des réformes à entreprendre.

« Le temps presse et le gouvernement doit de toute urgence s’efforcer de bâtir un consensus sur les grandes questions relatives aux droits humains », a déclaré Irene Khan.

L’accord et la formation du gouvernement de coalition ont offert l’occasion de rompre avec la culture persistante de l’impunité et d’élaborer des réformes constitutionnelles, juridiques et institutionnelles indispensables. Toutefois, la discorde et les divisions politiques au sein du gouvernement compromettent le changement.

Six mois après la publication du rapport de la commission Waki, on attend toujours des mesures concrètes afin de remédier à l’impunité pour les atteintes aux droits humains graves et généralisées commises par les forces de police et de sécurité durant les violences post-électorales. Les recherches et les informations étoffées d’organisations nationales et internationales réputées, dont Amnesty International, ont mis en lumière l’ampleur des violations des droits fondamentaux commises de longue date par les forces de sécurité et de police – notamment les homicides illégaux, les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture, les mauvais traitements et les disparitions forcées.

« Les ministres du gouvernement kenyan se sont dits déterminés à entreprendre des réformes. Pour initier un processus de changement, il faut commencer par reconnaître le problème. Or, le refus du gouvernement d’admettre le caractère généralisé du phénomène atteste de l’absence manifeste de volonté politique de prendre des mesures concrètes et énergiques », a ajouté Irene Khan.

« Les ministres du gouvernement kenyan admettent qu’il faut modifier la Constitution et promulguer de nouvelles lois pour fonder la réforme de la police et de la justice. Il est impératif que le gouvernement dans son ensemble et chaque dirigeant politique qui le compose assument la responsabilité de bâtir le consensus qui pourra faire changer les choses. »

• S’attaquer de toute urgence à l’impunité pour les atteintes aux droits humains commises durant les violences post-électorales.

Le gouvernement a assuré à la délégation d’Amnesty International qu’un nouveau projet de loi portant création d’un Tribunal spécial allait être promulgué prochainement.

« Se contenter d’adopter une nouvelle loi ne suffit pas. Les deux camps du gouvernement doivent œuvrer ensemble, dans le même but, afin d’offrir à ce tribunal le soutien politique nécessaire », a déclaré Irene Khan.

Amnesty International demande que la loi reformulée fasse l’objet de larges consultations associant la société civile et la population. Ce tribunal doit être conforme au droit international et indépendant de toute ingérence, notamment politique.

« Attendre l’intervention de la Cour pénale internationale (CPI) reviendrait pour le gouvernement et le Parlement kenyans à renoncer à leurs responsabilités », a fait valoir Irene Khan.

Au titre du Statut de Rome de la CPI, auquel le Kenya est partie, les États membres sont tenus d’instaurer des juridictions locales complémentaires de celle de la CPI. Aussi, la création d’un tribunal pénal local ne doit pas être perçue comme diamétralement opposée à la procédure de la CPI. Il s’agit plutôt de tester la détermination du gouvernement à lutter contre l’impunité.

• Réformer la justice, la police et les services de sécurité

« Une refonte de la justice, de la police et des services de sécurité s’impose de longue date. Les violences post-électorales ont renouvelé cette urgence ».

« Nous nous félicitons des initiatives prises par le gouvernement pour consulter la société civile sur la réforme judiciaire », a ajouté Irene Khan en évoquant la mise sur pied d’un groupe de travail sur cette question.

Le gouvernement doit prendre sans délai des mesures décisives dans le droit fil des recommandations du groupe de travail sur la réforme de la police, afin d’accroître l’efficacité et la responsabilisation des forces de police et de sécurité. Pivot de cette réforme, une commission indépendante chargée du traitement des plaintes contre la police doit être mise sur pied.

« Le groupe de travail sur la réforme de la police ne doit pas se résumer à de la poudre aux yeux, comme ce fut le cas par le passé », a mis en garde Irene Khan.

« La crédibilité de réformes tournées vers l’avenir dépend des mesures concrètes prises pour remédier à l’impunité du passé. »

Amnesty International invite les autorités kenyanes à diligenter sans délai une enquête indépendante, impartiale et publique sur les atteintes aux droits humains commises par les groupes armés et les forces de sécurité et de police dans la région de mont Elgon et lors des opérations visant l’organisation Mungiki. Il s’agit d’identifier les responsables de ces violences afin de les déférer à la justice.

• La vérité, la justice et le processus de réconciliation excluent l’impunité

« La vérité, la justice et le processus de réconciliation ne sauraient se substituer aux poursuites engagées contre les auteurs des atteintes aux droits humains commises par le passé », a précisé Irene Khan.

Amnesty International se félicite de la modification législative actuellement débattue au Parlement qui prévoit le retrait des dispositions portant sur les amnisties et les grâces. Le gouvernement doit s’efforcer de veiller à ce qu’elle soit adoptée. Le processus de justice, de vérité et de réconciliation achoppe sur un obstacle majeur, à savoir l’absence de programme global de protection des témoins. Pour que ce processus aboutisse, il convient d’y remédier de toute urgence.

La nomination en cours des membres de la Commission vérité, justice et réconciliation doit se faire dans l’ouverture et la transparence, afin de garantir son indépendance et son impartialité.

• Protéger les défenseurs des droits humains

En 2008, les défenseurs des droits humains ont été victimes de meurtres, de menaces ciblées et de mesures d’intimidation. Certains se sont plaints auprès de la délégation d’Amnesty International du fait que les autorités restreignent leur espace d’action. La légitimité de leur travail est remise en cause et leur sécurité mise en péril par les déclarations hostiles émanant de policiers et de représentants du gouvernement.

« Les autorités kenyanes doivent reconnaître sans équivoque le rôle légitime des défenseurs des droits humains et leur permettre de mener leur travail en toute sécurité », a fait valoir Irene Khan.

Le 5 mars, Oscar Kamau Kingara et Paul Oulu, travaillant tous deux pour la Fondation Oscar (Oscar Foundation Free Legal Aid Clinic), ont été victimes d’un meurtre s’apparentant à une exécution, au centre de Nairobi. Le FBI a proposé ses services aux autorités kenyanes pour enquêter sur ces homicides imputables à deux hommes armés non identifiés. Il a essuyé un refus. Près de quatre mois plus tard, il est honteux de constater que les investigations de la police piétinent et que les auteurs sont loin d’être appréhendés et traduits en justice. Amnesty International engage les autorités kenyanes à enquêter de manière approfondie, impartiale et indépendante sur ces homicides et à identifier et poursuivre les auteurs présumés.

« Les dirigeants politiques kenyans de toutes tendances doivent dépasser les intérêts politiques partisans et faire en sorte que toute politique et stratégie du gouvernement s’articule autour du respect des droits humains et de l’obligation de rendre des comptes pour les violences commises par le passé », a indiqué Irene Khan.

« Si le Kenya ne combat pas l’impunité accordée aux auteurs d’atteintes aux droits humains, il se réserve de graves problèmes pour l’avenir. »

« Ce gouvernement de coalition a l’occasion – pour peu qu’il la saisisse – de prouver que le partage du pouvoir ne se résume pas à une question politique, mais révèle une réelle possibilité de changement, dans l’intérêt du peuple kenyan », a conclu Irene Khan.

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