Moldavie : Possible restriction de la liberté d’association

Amnesty International craint que le droit à la liberté d’association ne soit fortement restreint en Moldavie, et que de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) ne fassent l’objet de représailles, voire d’une dissolution, si les modifications de dernière minute de la loi sur les ONG proposées par le gouvernement sont adoptées.

Ces derniers mois, plusieurs ONG ont exprimé des inquiétudes quant aux tactiques de harcèlement et d’intimidation auxquelles recourent les autorités et le gouvernement pour discréditer la société civile indépendante en Moldavie. L’initiative récemment prise par le gouvernement pour tenter d’introduire de nouvelles dispositions qui restreindraient indûment le droit à la liberté d’association accentue encore ces préoccupations.

Le ministère de la Justice a introduit ces modifications en juin 2017, insérant trois nouveaux articles dans un projet de loi sur les ONG qui avait été élaboré en étroite collaboration avec la société civile et approuvé par un groupe de travail ad hoc, dont faisaient partie des membres d’ONG et un représentant du Haut Commissariat aux droits de l’homme (HCDH).

Les dernières modifications introduites par le gouvernement obligeraient les ONG moldaves qui reçoivent des financements étrangers et qui se livrent à ce qui est vaguement défini comme des « activités politiques » à publier des rapports financiers trimestriels et annuels sur leurs sites internet, à dévoiler l’origine de leurs fonds et ce pour quoi ils sont utilisés, à rendre compte précisément des sommes allouées à leurs « activités politiques » et à révéler le salaire du personnel et des membres de la direction. En cas de non-respect de ces obligations, ces modifications prévoient également des sanctions sévères, notamment de lourdes amendes, l’exclusion du mécanisme financier public qui permet et encourage les dons des contribuables aux ONG (dispositif dont le but est de réduire la dépendance des ONG aux financements étrangers et publics), et dans certains cas la dissolution (sur décision judiciaire).

Le ministère de la Justice a fixé au 11 août la date limite d’envoi des commentaires sur le projet de loi, qui doit être soumis au Parlement dès la fin des congés d’été, en septembre.

Les modifications proposées sont censées promouvoir la transparence quant à la façon dont les ONG moldaves reçoivent et utilisent leurs financements. Cependant, cet argument n’est pas convaincant compte tenu du contenu de cette initiative et du contexte dans lequel elle s’inscrit. De plus, les modifications ciblent de façon disproportionnée les organisations de la société civile, dans la mesure où les soutiens financiers reçus de l’étranger par les entités gouvernementales ne sont pas soumis à des exigences aussi strictes en ce qui concerne le contrôle exercé par les pouvoirs publics.

Les ONG, qui plus est, sont déjà soumises à des obligations strictes en matière de comptes rendus, notamment pour ce qui est de leurs finances. Les nouvelles propositions de modification du projet de loi sur les ONG semblent en réalité avoir pour but de décourager, réduire au silence, voire éliminer les organisations indépendantes de la société civile qui ont un point de vue critique sur le gouvernement ou qui remettent en cause la politique des autorités.

Il est inquiétant de constater que ces propositions interviennent à un moment où les tensions politiques au sujet des modifications récemment apportées au système électoral s’accentuent. Beaucoup d’ONG indépendantes, dont des ONG qui ne travaillent pas sur les questions électorales en tant que telles, ont dénoncé ces modifications, estimant qu’elles étaient anti-démocratiques et s’apparentaient à une manipulation du système politique du pays par de puissants intérêts financiers et par les grands médias sous leur contrôle. Ces mêmes ONG ont été la cible d’une campagne de harcèlement et d’intimidation menée par les autorités.

Comme l’a relevé la Stratégie nationale pour le développement de la société civile pour la période 2012-2015 (approuvée par le Parlement en janvier 2013), les organisations de la société civile en Moldavie « sont très dépendantes de sources extérieures de financement », les soutiens financiers externes représentant 80 à 95 % du budget total des ONG. La situation n’a pas changé depuis lors. Les financements étrangers ont permis à beaucoup d’ONG de conserver leur indépendance et leur rôle de promotion des droits humains et de l’état de droit. Si ces propositions de modification du projet de loi sur les ONG sont adoptées, elles risquent de compromettre l’indépendance de l’immense majorité des organisations de la société civile moldave.

L’insertion de ces trois articles dans le projet de loi sur les ONG – sans consultation préalable et en contradiction avec les accords préalablement conclus au sein du groupe de travail qui a pris part à l’élaboration du projet – a été critiquée par les ONG qui ont fait partie du groupe de travail. Des ONG moldaves ont également dénoncé, dans une lettre ouverte qu’elles ont cosignée, la décision d’insérer ces changements prise par le gouvernement, soulignant qu’il s’agissait d’une entrave à l’exercice du droit à la liberté d’association.

Le droit à la liberté d’association, tel qu’il est énoncé dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme, auxquels la Moldavie est partie, inclut non seulement la possibilité pour des personnes ou des entités légales de former et de rejoindre une association, mais également de chercher, recevoir et utiliser des ressources provenant de sources nationales, étrangères et internationales. Des restrictions en matière de financement qui entravent la capacité des associations à mener leurs activités pacifiques pourraient constituer une ingérence injustifiée dans l’exercice de ce droit.

Amnesty International appelle les autorités moldaves, et particulièrement le ministère de la Justice, à retirer les trois articles récemment introduits dans le projet de loi sur les ONG et à veiller à ce que toute nouvelle proposition de modification respecte les obligations qui incombent à la Moldavie en vertu du droit international relatif aux droits humains, notamment le droit des associations de chercher, recevoir et utiliser des ressources provenant de l’étranger. Les autorités devraient également veiller à ce que les organisations de la société civile, en tant que parties prenantes directement concernées, soient consultées et puissent véritablement contribuer à la version finale de ce texte législatif crucial avant qu’il ne soit envoyé au Parlement pour être soumis au vote.

Complément d’information

Le droit international relatif aux droits humains garantit le droit à la liberté d’association. L’article 11(2) de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier, dispose que « [l’]exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

En mars 2016, le ministère de la Justice moldave a invité des organisations non gouvernementales à rejoindre un groupe de travail dont le rôle était d’élaborer une nouvelle loi sur les ONG. La version initiale du projet de loi reflétait les discussions qui avaient eu lieu entre les membres du groupe de travail et a été largement saluée par les organisations de la société civile moldave. En juin 2017, le ministère de la Justice, sans avoir consulté le groupe de travail et après l’avoir officiellement dissous, a publié une nouvelle mouture du projet de loi sur les ONG, qui contenait les articles 26, 27 et 28 récemment insérés.

L’article 26 (traduit en français ci-après à partir de la version non officielle en anglais publiée par l’organisation European Center for Not-for-Profit Law) donne une définition excessivement vaste des « activités politiques » :

Article 26. Dispositions spéciales relatives aux activités politiques des organisations non commerciales

1. L’organisation non commerciale et les membres de ses organes de direction peuvent participer à, intervenir dans ou mener des activités politiques, [à savoir] des campagnes électorales, des programmes électoraux, des activités de propagande, visant à soutenir ou à lutter contre des partis politiques, des blocs constitués de partis politiques, des alliances de partis politiques, des organisations socio-politiques, des blocs électoraux, leurs dirigeants ou candidats ou les candidats indépendants, des actions destinées à les soutenir ou toutes autres actions lancées par eux, menées conjointement ou séparément, à la fois pendant les périodes électorales et en dehors de ces périodes, sur des questions soumises à référendum, peuvent être affiliés à une organisation politique au sens du Code électoral, de la loi n° 294 du 21 décembre 2007 sur les partis politiques et d’autres actes normatifs, aux conditions suivantes [...]

2. Les activités menées par les organisations non commerciales en matière de recherche, de formation et d’éducation, de protection des droits humains, d’expertise, de soutien, de développement, de promotion, de mise en œuvre et de suivi de politiques publiques ou les autres activités représentant le but principal de leur activité autres que celles mentionnées au paragraphe (1) ne sont pas des activités politiques.

Les ajouts au projet de loi font référence à un nouveau mécanisme public qui permettrait aux contribuables moldaves de faire don de 2 % de leurs impôts à une ONG nationale ou à une organisation religieuse de leur choix.

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