Moldavie. De graves préoccupations en matière de droits humains subsistent

Déclaration publique

Amnesty International constate avec préoccupation que, deux mois après les manifestations survenues à Chisinau à la suite des élections législatives du 5 avril et les émeutes qui se sont produites dès le 7 avril 2009, l’enquête sur les centaines d’allégations de torture et autres mauvais traitements commis par des policiers ne semble guère avoir avancé. L’organisation s’inquiète par ailleurs de ce que des militants de la société civile et des personnalités politiques de l’opposition font l’objet de poursuites judiciaires et risquent l’emprisonnement pour avoir exercé de façon pacifique leur droit à la liberté d’expression, et de ce que des ONG locales sont prises pour cible, manifestement en raison de leurs activités de suivi des droits humains. De nouvelles élections sont prévues le 29 juillet, et Amnesty International craint dans ce contexte une nouvelle vague de violations des droits humains.

Torture et autres mauvais traitements

Amnesty International a attiré l’attention à maintes reprises sur le caractère systématique des actes de torture et autres mauvais traitements infligés en Moldavie aux personnes gardées à vue. L’organisation souligne que l’impunité de ces actes continue à être la règle, en l’absence d’enquête sérieuse sur les allégations de torture et de poursuites contre leurs auteurs présumés.

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 16 juin 2009 un arrêt contre la Moldavie estimant que Sergiu Gurgurov avait subi des actes de torture en 2005, que la plainte qu’il avait portée n’avait pas fait l’objet d’une enquête suffisante et qu’il n’avait pas pu exercer son droit à un recours effectif. Selon l’arrêt de la Cour, « le parquet n’a fait aucun effort réel pour enquêter et découvrir la vérité. Au contraire, des indications fortes vont dans le sens d’une tentative de dissimulation des faits pour empêcher l’identification et la punition des responsables. »

Des centaines de personnes ont été appréhendées au cours des manifestations et sont maintenues en détention pendant que les enquêteurs de la police étudient les images vidéo des événements. Le nombre exact de personnes arrêtées est inconnu mais, selon des ONG locales – Memoria, PromoLex, l’Institut des droits humains, CReDO, entre autres – plus de 150 personnes ont porté témoignage des mauvais traitements que leur a infligés la police. Des avocats qui représentent des victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements infligés par la police soulignent que les enquêtes relatives à ces allégations n’ont guère progressé. De façon préoccupante, un de ces défenseurs a précisé que la plupart de ses clients ont retiré leur plainte pour mauvais traitements car des policiers leur avaient fait subir des manœuvres de harcèlement.

Amnesty International constate avec satisfaction que les autorités moldaves ont invité un expert légiste international à participer à l’autopsie de Valeriu Boboc, mort au cours des manifestations du 7 avril dans des circonstances controversées. Cependant, elle demande aux autorités de veiller à ce que tous les cas de mauvais traitements imputés à la police fassent l’objet sans délai d’une enquête indépendante, impartiale et approfondie et à ce que toute personne pouvant raisonnablement être considérée comme responsable de ces faits soit déférée en justice, conformément aux obligations imposées à la Moldavie par le droit international relatif aux droits humains.

Poursuites pénales motivées par des considérations politiques
À la suite des manifestations, un certain nombre de personnes ont été inculpées d’infractions pénales. Amnesty International craint que la police et le parquet ne fassent pas la différence entre des personnes qui ont exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et de réunion et d’autres qui sont soupçonnées d’avoir commis des actes de violence.

Le 12 juin, Dorin Chirtoaca, maire de Chisinau, a été inculpé d’avoir « organisé des troubles à grande échelle » et de tentative de coup d’État, crime passible d’une peine maximum de quinze ans d’emprisonnement. Selon son avocat, ces poursuites sont motivées par des considérations politiques. Dorin Chirtoaca appartient au Parti libéral, une formation d’opposition, et il a annoncé qu’il comptait se présenter aux élections législatives du 29 juillet. De plus, il a condamné ouvertement les violations commises par les policiers pendant les manifestations. Son avocat a expliqué à Amnesty International que ce responsable politique avait assisté aux manifestations du 7 avril, mais qu’il exhortait les personnes présentes à ne pas recourir à la violence.

Amnesty International est également préoccupée par l’inculpation de Natalia Morari et de Ghenadie Brega, eux aussi accusés d’avoir « organisé des troubles à grande échelle ». Tous deux appartiennent à un groupe de militants de la société civile qui a organisé une « journée de deuil » pacifique le 6 avril afin de protester contre le résultat des élections législatives moldaves. Ils avaient prévenu les autorités de leur action, conformément à la loi. Ce rassemblement silencieux avait été annoncé sur des sites de réseaux sociaux, par SMS et par le bouche à oreille. Natalia Morari a déclaré à Amnesty International qu’ils ne pensaient pas rassembler plus de 300 jeunes et ont été stupéfaits de voir au moins 10 000 personnes, dont les dirigeants de tous les grands partis d’opposition, se joindre à eux. Ils attendent aujourd’hui l’ouverture de leur procès.

Les services du procureur général ont envoyé une réponse standard à Amnesty International, qui était intervenue en faveur de Natalia Morari et Ghenadie Brega ; selon cette lettre, « les personnes qui ont été appréhendées et font l’objet de poursuites ont toutes participé activement à des actions illégales, inscrites au Code pénal, et notamment à des violences contre des représentants des organes d’application des lois ou à la destruction de biens publics, ou ont lancé des appels à l’incendie et à la destruction de biens publics ».

Amnesty International estime que Natalia Morari, Ghenadie Brega et Dorin Chirtoaca ont été inculpés d’infractions pénales pour avoir exercé légitimement leur droit à la liberté d’expression. De ce fait, s’ils sont condamnés, l’organisation les considérera comme des prisonniers d’opinion.

Harcèlement des défenseurs des droits humains et des organisations de la société civile

Dans un courrier envoyé au Premier ministre le 29 avril, Amnesty International s’est inquiétée de ce que sept ONG au moins, dont la branche locale d’Amnesty International, avaient reçu une lettre du ministère de la Justice datée du 16 avril. Le ministère demandait à chaque organisation d’expliquer sa position à l’égard des émeutes ainsi que les mesures prises par l’organisation pour empêcher et faire cesser les violences, et pour faire respecter la loi sur les réunions. Ces sept organisations, auxquelles sont venues s’ajouter quatre autres, ont reçu des demandes inattendues de la direction locale des impôts, en date du 24 avril, exigeant qu’elles présentent des rapports financiers pour 2008 et 2009 et qu’elles détaillent l’origine de leurs recettes et de leurs dépenses avant le 28 avril. Le 28 avril, la structure moldave d’Amnesty International a eu la visite de représentants de la direction locale des impôts qui exigeaient que l’organisation fournisse une liste des membres qui s’étaient acquittés de leur cotisation. De surcroît, la structure moldave d’Amnesty International a été visiblement surveillée par des hommes en civil non identifiés pendant plusieurs jours à partir du 9 avril.

Dans une réponse à Amnesty International envoyée le 22 mai, le ministère de la Justice a affirmé que les actions qu’il menait étaient conformes à la loi et n’avaient pas de lien avec les mesures prises par les autorités fiscales. Ces dernières n’ont fourni aucune explication à leur conduite.

Amnesty International invite les autorités moldaves à faire en sorte que les défenseurs des droits humains puissent mener à bien leurs activités sans se heurter à des obstacles. Elle leur demande aussi de les protéger « de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire » qui résulteraient de leur activité en faveur des droits humains, conformément à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

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