COMMUNIQUÉ DE PRESSE
EUR 59/006/2007 (Public)
Torture et mauvais traitements restent systématiques dans tout le pays en dépit des quelques mesures législatives prises par le gouvernement pour modifier les pratiques policières, écrit Amnesty International dans le rapport Moldova : Torture and ill-treatment : "It’s just normal", qu’elle rend public ce mardi 23 octobre.
« Si des efforts ont été faits pour aligner la législation nationale sur les normes européennes et internationales, les pratiques et les attitudes, elles, n’ont pas beaucoup changé, a déclaré Heather McGill, responsable des recherches sur la Moldavie au sein d’Amnesty International. Coups et violences contre les détenus demeurent la norme et il demeure quasiment impossible d’obtenir réparation. L’absence de transparence engendre l’impunité. »
« Le fait que depuis 2005 la Cour européenne des droits de l’homme ait statué à huit reprises (dont quatre en 2007) que la Moldavie avait violé le droit de ne pas être soumis à la torture et à des mauvais traitements illustre à quel point il est urgent de prendre des mesures efficaces. Le gouvernement doit agir maintenant pour éradiquer la torture une bonne fois pour toute. »
Âgé de vingt-huit ans, Sergueï Gourgourov a été frappé tous les jours entre le 25 octobre et le 3 novembre 2005, avant d’être libéré sous caution. Tous les midis et tous les soirs, on le conduisait dans les bureaux des policiers au deuxième étage du commissariat pour qu’il y soit torturé. Des policiers l’ont frappé sur la colonne vertébrale et lui ont infligé des décharges électriques. Les policiers du district de Riscani à Chisinau voulaient lui faire avouer une série de vols de téléphones portables. Les tortures et les mauvais traitements infligés à Sergueï Gourgourov lorsqu’il se trouvait aux mains de la police l’ont laissé infirme.
A.B. a été frappé par trois agents du Service de la sécurité intérieure du ministère de l’Intérieur ; un agent l’a frappé avec des menottes, un autre a utilisé une torche en caoutchouc. Les agents auraient été aidés par l’assistant médical du centre de détention, qui lui tenait les jambes et aurait regretté que la machine à électrochocs ne fonctionne pas. A.B. refusait de faire un faux témoignage contre un ami policier. Détenu par la police du 25 février au 17 juillet 2006, il a été accusé de vol. Il a déclaré à Amnesty International : « Il est normal d’être battu par la police. Je me suis dit qu’ils allaient me battre et puis qu‘ils me laisseraient partir. »
L’obligation de présenter les détenus à un magistrat le plus tôt possible après leur arrestation est un bon moyen de protéger les droits fondamentaux des personnes détenues car il prive les membres de la force publique d’un pouvoir absolu, dont ils pourraient vouloir abuser. Les juges devraient s’assurer que toutes les détentions sont légales et nécessaires ; ils devraient demander l’ouverture d’enquêtes sur tous les éléments suggérant l’existence de tortures ou d’autres formes de mauvais traitements ; il faudrait qu’ils donnent comme instruction que le détenu reçoive des soins médicaux, si nécessaire, et, enfin, qu’ils ordonnent la remise en liberté du détenu en cas de détention illégale. Amnesty International est préoccupée par le fait que les magistrats ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les droits des détenus et empêcher les actes de torture et les mauvais traitements.
L’organisation est également préoccupée par le fait que le Bureau du procureur général n’intervient pas suffisamment pour lutter contre l’impunité en cas d’actes de torture. Du fait du taux extrêmement faible de condamnations de policiers, des difficultés auxquelles sont confrontées les victimes qui veulent porter plainte et de l’incapacité du Bureau du procureur général à mener sans délai des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales, la plupart des victimes ne bénéficient d’aucun recours ni d’aucune réparation.
Amnesty International demande au gouvernement moldave de prendre les mesures suivantes pour renforcer les garanties contre la torture et les autres formes de mauvais traitements en garde à vue :
• faire passer de soixante-douze à vingt-quatre heures le délai à l’issu duquel un détenu doit être présenté à un magistrat ;
• veiller à ce que les personnes arrivant sur les lieux de détention bénéficient d’un examen médical confidentiel ;
• faire en sorte que les interrogatoires aient lieu dans des pièces spécifiques ;
• faire le nécessaire pour que toute allégation de tortures ou d’autres mauvais traitements fasse rapidement l’objet d’une enquête approfondie, indépendante et impartiale ;
• suspendre le versement complet du salaire des policiers faisant l’objet d’une enquête pour actes de torture ou mauvais traitements ;
• mettre en place un mécanisme indépendant doté des ressources nécessaires pour enquêter sur toutes les allégations de tortures ou de mauvais traitements imputables à des agents de la force publique, et créer une instance efficace et indépendante chargée de surveiller tous les lieux de détention.
« La mise en place de telles garanties permettrait de réduire le fossé qui existe entre les bonnes intentions du gouvernement et la réalité sur le terrain, a déclaré Heather McGill. La force publique doit changer, se fonder sur la légalité, les droits humains et la justice sociale, et cesser de s’appuyer sur des enquêtes basées essentiellement sur les aveux. Si un tel changement n’est pas opéré, les pratiques anciennes s’appuyant sur la torture et les autres formes de mauvais traitements persisteront. »
Complément d’information
Les informations sur lesquelles se fonde ce rapport ont été rassemblées lors d’entretiens avec des victimes, des avocats, des organisations non gouvernementales (ONG) et des responsables gouvernementaux. Les représentants d’Amnesty International ont effectué deux missions en Moldavie, en mars et juillet 2007, missions qu’ils ont mis à profit pour visiter des lieux de détention à Chisinau, Comrat, Taraclia, Ocnita, Edinet, Orhei et Straseni. Le rapport n’évoque pas la situation en République autoproclamée moldave du Dniestr (Transnistrie). Ceci ne signifie pas qu’il n’y a aucun cas de torture ou de mauvais traitements en Transnistrie mais témoigne plutôt d’une plus grande hésitation des habitants de cette région à signaler les cas de torture et de mauvais traitements, de l’absence d’ONG travaillant dans ce domaine et d’une sensibilisation moindre des avocats de cette région à cette question. Dans le rapport qu’il a rendu public à l’issue de sa visite en Transnistrie en 2000, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a déclaré qu’un nombre significatif de personnes privées de liberté interrogées par la délégation du CPT avaient affirmé avoir été maltraitées par la police.