Mongolie. Les autorités doivent respecter les droits fondamentaux de l’ancien président après son arrestation

Amnesty International demande au gouvernement mongol de veiller à ce que l’ancien président, Nambariin Enkhbayar, qui est incarcéré depuis le 13 avril sur la base d’accusations en rapport avec des faits de corruption, soit traité conformément aux normes internationales en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne le droit de communiquer avec des avocats et des membres de sa famille, le droit de bénéficier de soins médicaux dignes de ce nom et le droit à la liberté.

Nambariin Enkhbayar se trouve au centre de détention de Tuv aimag depuis le 13 avril. Après avoir entamé une grève de la faim, lors de laquelle sa santé s’est détériorée, il a été transféré le 5 mai dans le service hospitalier du centre de détention #461, puis à l’hôpital général numéro 2 le 9 mai.

Principaux motifs de préoccupation

• D’après les pièces du dossier examinées par Amnesty International, la détention de Nambariin Enkhbayar semble arbitraire. Si les autorités sont en possession de preuves permettant de justifier son maintien en détention, cela n’est certainement pas consigné sur les documents que nous avons passés en revue, et elles doivent les produire devant un tribunal où ses avocats auront réellement la possibilité d’en contester la véracité. Si les autorités ne disposent pas de tels éléments de preuve, il doit être relâché dans l’attente de son procès. Amnesty International a contacté les autorités mongoles afin d’obtenir de plus amples informations et documents expliquant la raison de son maintien en détention. Nous attendons leur réponse.

• L’organisation est vivement préoccupée par les informations selon lesquelles les autorités policières ont ordonné que Nambariin Enkhbayar soit nourri de force. Toute décision de nourrir un gréviste de la faim sans son consentement doit uniquement être prise par des professionnels de santé compétents si cela est nécessaire sur le plan médical, et seulement après évaluation des besoins de cette personne et de ses capacités mentales. Si cette décision est prise, seuls des personnels formés peuvent procéder à l’alimentation de la personne en question, et ce, sous supervision médicale constante.

• Nous avons cru comprendre que Nambariin Enkhbayar a été privé de tout contact avec sa famille pendant un mois, et considérons qu’il s’agit là d’une violation des normes internationales en matière de droits humains. Depuis le 7 mai, il y a eu quelques échanges, mais on ne sait pas clairement ce que l’avenir réserve.

• Les avocats de Nambariin Enkhbayar ont affirmé que les autorités ont entravé son droit à un accès confidentiel aux avocats de son choix. Ceux-ci indiquent qu’ils ont été indûment empêchés de l’accompagner lors d’interrogatoires, et que la confidentialité liant avocat et client n’a pas été respectée.

Autres questions et normes pertinentes en matière de droits humains

Droit à la liberté :
Nambariin Enkhbayar a été appréhendé le 13 avril en début de matinée dans le cadre d’une opération de police de grande ampleur. Des responsables et membres de l’Autorité indépendante de lutte contre la corruption (AILC) ont effectué une descente chez lui. S’il est possible qu’une tentative infructueuse de l’appréhender ait précédemment eu lieu sans autorisation judiciaire (ou tout du moins sans que celle-ci ne soit présentée), Amnesty International croit savoir qu’au moment de son arrestation les autorités se trouvaient en possession d’un ordre de détention judiciaire émis en raison d’un risque d’entrave à la procédure d’enquête. Cela faisait suite à une déclaration d’un représentant de l’AILC selon laquelle, bien qu’il ait été convoqué à plusieurs reprises, l’ancien président ne s’était pas présenté pour répondre à des questions dans le cadre de la procédure d’enquête. Cette personne recommandait qu’il soit amené de force afin de subir un interrogatoire.

Nambariin Enkhbayar et sa famille ont dit avoir subi des mauvais traitements lors de l’arrestation ; un organe indépendant et impartial habilité à traiter les plaintes de ce type doit se pencher sur la question. Si cet organe détermine que c’est la vérité, l’ensemble de la famille doit pouvoir bénéficier d’un recours utile.

Il semble qu’une extension de la détention de Nambariin Enkhbayar ait été autorisée par une instance judiciaire le 27 avril pour une période pouvant aller jusqu’à deux mois supplémentaires. Cet ordre indique que le parquet a requis l’extension au motif que Nambariin Enkhbayar était susceptible d’entraver le cours de la justice. Cependant, l’ordre ne précise pas quels éléments de preuve, parmi ceux dont disposait éventuellement le tribunal, faisaient état d’actes spécifiques auxquels Nambariin Enkhbayar risquait de se livrer. Amnesty International n’était présente à aucune audience en rapport avec la prolongation de sa détention. Cependant, l’ordre lui-même indique que les avocats de Nambariin Enkhbayar ont signalé : que le parquet n’avait pas précisé la nature du risque présumé, ni les raisons de le redouter ; qu’exercer son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination en refusant de répondre à des questions ne saurait être qualifié d’entrave à la justice ; et que son lieu de travail (et sans doute l’ensemble des documents pertinents se trouvant sur place) avait déjà été scellé par les autorités. Dans la décision formalisant l’extension de la détention, le tribunal n’aborde aucun de ces points et se contente de déclarer qu’il accepte la requête du parquet. Amnesty International croit savoir qu’un recours formé contre cette décision a été rejeté le 7 mai ou aux alentours de cette date ; l’organisation n’était cependant présente à aucune audience en relation avec ce recours et n’a pas en sa possession d’exemplaire de la décision. Une demande de libération sous caution a été déposée le 8 mai, mais aucune décision n’avait encore été prise au 10 mai.

Aux termes du droit international en matière de droits humains, la présomption d’innocence et le droit à la liberté signifient que l’ensemble des personnes accusées d’infractions ont le droit d’être relâchées dans l’attente de leur procès (sous certaines conditions, selon la situation), à moins qu’une instance judiciaire indépendante n’estime que l’État a des raisons valables de maintenir l’accusé en détention car certains éléments attestent qu’il existe un risque que cette personne ne dissimule ou détruise des preuves, n’influence des témoins ou ne fuie le territoire.

Toute personne privée de liberté a le droit de contester la légalité de sa détention devant un tribunal et d’être relâchée si l’État ne parvient pas à établir (en invoquant faits et dispositions juridique) que son incarcération est justifiée. L’examen de tout recours de ce type doit être équitable et donner au détenu une véritable chance de contester le moindre élément présenté par les autorités.

Amnesty International a contacté les autorités mongoles afin d’obtenir de plus amples informations et documents expliquant la raison de son maintien en détention. Nous attendons leur réponse.

Le seul motif spécifique consigné, au bout de près d’un mois, dans les pièces du dossier examinées par Amnesty International semblant justifier le maintien en détention de Nambariin Enkhbayar sur la base du « risque d’ingérence dans l’enquête » tient au fait qu’il ne se soit pas prêté à un interrogatoire plus tôt bien qu’il ait été convoqué dans les règles (ses avocats contestent que cela ait été le cas). Il semble qu’il ait désormais été interrogé à plusieurs reprises et ait invoqué son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination - reconnu par le droit international relatif aux droits humains - en refusant de répondre aux questions. Le fait qu’il fasse valoir ce droit ne saurait justifier son maintien en détention.

Accès aux avocats :

Les avocats de Nambariin Enkhbayar ont affirmé que les autorités ont entravé son droit à un accès confidentiel aux avocats de son choix.

Les normes internationales en matière de droits humains prévoient que toute personne inculpée d’une infraction pénale a le droit de disposer du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense, et de s’entretenir avec des avocats de son choix. Toute personne privée de liberté doit pouvoir parler avec un avocat dans les meilleurs délais, au plus tard 48 heures après son arrestation ou placement en détention, et a le droit de recevoir la visite d’un avocat et de le consulter sans retard, en toute discrétion, sans aucune censure ni interception et en toute confidentialité.

Ces normes disposent que les rencontres client-avocat peuvent se dérouler « à portée de la vue, mais non à portée de l’ouïe » de représentants de l’État. Les avocats de Nambariin Enkhbayar affirment en particulier que quelques jours après son arrestation, les autorités ont installé des caméras vidéo et posté un garde dans la pièce où il rencontre son équipe de défense, conditions paraissant contraires aux normes internationales. Ses avocats ont par ailleurs déclaré que des raisons fallacieuses ont été invoquées afin d’empêcher leur présence lors des interrogatoires. Si c’est bien le cas, cela serait contraire au Code de procédure pénale mongol, aux recommandations du rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats et aux normes minimales sur les interrogatoires adoptées par le Conseil consultatif des juristes du Forum Asie-Pacifique des institutions nationales des droits de l’homme, qui indiquent que les avocats doivent pouvoir être présents lors des interrogatoires afin de garantir le respect des droits des accusés.

Accès à la famille :

Les normes internationales relatives aux droits humains reconnaissent par ailleurs que les détenus ont le droit de recevoir la visite de membres de leur famille et de communiquer avec eux ; les seules restrictions envisageables sont celles qui sont nécessaires du point de vue de l’administration de la justice et du bon ordre de l’institution. Même dans les cas les plus exceptionnels, ces contacts ne sauraient être refusés pendant plus de quelques jours.

Amnesty International a appris que l’épouse de Nambariin Enkhbayar a pu lui rendre visite pour la première fois le 7 mai. Ses avocats ont indiqué qu’avant cette date, les autorités ont refusé de lui permettre de communiquer – que ce soit par téléphone, par écrit ou face à face – avec sa famille. L’imposition d’une interdiction totale concernant les contacts avec la famille pour une période aussi longue bafoue les normes internationales des droits humains. On ne sait toujours pas clairement s’il sera autorisé à entretenir des contacts avec sa famille à l’avenir, et si oui, selon quelles modalités.

Soins médicaux :

Amnesty International est vivement préoccupée par les informations selon lesquelles les autorités policières ont ordonné que Nambariin Enkhbayar soit nourri de force. Toute décision de nourrir un gréviste de la faim sans son consentement doit uniquement être prise par des professionnels de santé compétents si cela est nécessaire sur le plan médical, et seulement après évaluation des besoins de cette personne et de ses capacités mentales. Si cette décision est prise, seuls des personnels formés peuvent procéder à l’alimentation de la personne en question, et ce, sous supervision médicale constante. Les autorités ne doivent jamais exiger de professionnels de la santé soignant des grévistes de la faim qu’ils agissent d’une manière qui soit contraire à leur jugement professionnel ou à l’éthique médicale. Amnesty International s’oppose à l’alimentation non consentie de grévistes de la faim sans supervision médicale, ou si cela est effectué pour des raisons autres qu’une urgence médicale ou d’une manière constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Au début de sa grève de la faim, c’est semble-t-il avec un certain retard que des soins médicaux ont été prodigués à Nambariin Enkhbayar. Les États ont l’obligation de veiller à ce que les détenus en ayant besoin bénéficient de soins médicaux, et le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré que l’ensemble des détenus doivent avoir rapidement et régulièrement accès à des médecins. Ils doivent se voir proposer un examen médical indépendant le plus rapidement possible après leur placement en détention ; des soins médicaux doivent par la suite leur être prodigués dès qu’ils en ont besoin. L’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus dispose qu’une personne placée en état d’arrestation ou attendant l’ouverture de son procès doit être autorisée à recevoir la visite de son propre médecin et à être traitée par celui-ci.

Le fait qu’un détenu observant une grève de la faim refuse de s’alimenter ne doit pas compromettre d’autres aspects de son suivi en matière de santé, et il doit pouvoir avoir accès à des professionnels de la santé qualifiés. Les soins de santé proposés aux grévistes de la faim doivent être conformes à l’éthique médicale, et respecter notamment les principes de confidentialité, d’autonomie et de consentement éclairé.

Amnesty International appelle le gouvernement de la Mongolie à :

 remettre Nambariin Enkhbayar en liberté en attendant l’ouverture de son procès, à moins que des éléments de preuve présentés au tribunal - d’une manière permettent à ses avocats de contester ces éléments – n’établissent de manière raisonnable l’existence d’un risque qu’il ne dissimule ou détruise des preuves, n’influence des témoins ou ne fuie le territoire. Ni son refus de répondre à des questions, ni la possibilité qu’il ne détruise des documents que les autorités ont déjà scellés ne sauraient justifier son maintien en détention ;

 respecter le droit de Nambariin Enkhbayar, tant que celui-ci se trouvera en détention, de recevoir la visite d’avocats de son choix et des membres de sa famille, et de communiquer avec eux, à une fréquence et dans des conditions respectueuses de la vie privée qui soient conformes aux normes internationales ;

 veiller à ce que Nambariin Enkhbayar ait suffisamment accès à des professionnels de la santé qualifiés, afin de bénéficier de soins conformes à l’éthique médicale et respectant notamment les principes de confidentialité, d’autonomie et de consentement éclairé ;
 faire en sorte que sa famille soit immédiatement notifiée de tout nouveau transfert, puisse lui rendre visite régulièrement et prendre connaissance de l’ensemble des informations relatives à sa santé lorsqu’il a donné son consentement en ce sens ou que cela va de soi.

Complément d’information

Nambariin Enkhbayar est le précédent président de la Mongolie et l’actuel dirigeant du Parti populaire révolutionnaire mongol, formé en 2011. Sa famille et ses avocats ont déclaré à Amnesty International qu’ils pensent qu’il a été pris pour cible pour des raisons politiques. Il a été appréhendé peu après avoir diffusé des retranscriptions confidentielles de discussions dans lesquelles des représentants de l’État évoquaient la réaction des autorités aux violences postélectorales ayant éclaté le 1er juillet 2008. Le 1er juillet 2008, des milliers de personnes ont protesté à la suite d’allégations de fraude massive lors des élections législatives. Au moins neuf personnes ont été touchées par balle par la police ; quatre en sont mortes, et une cinquième personne aurait succombé à la suite d’une intoxication à la fumée. Les prochaines élections législatives dans le pays doivent avoir lieu le 28 juin.

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