Mort d’un journaliste : la liberté d’expression toujours menacé

Amnesty International a demandé aux autorités du Kurdistan irakien de veiller à ce que l’enquête sur les circonstances de la mort du journaliste Wedat Hussein Ali, qui a été tué le 13 août 2016 à Dahuk (nord du Kurdistan irakien), soit minutieuse, indépendante et impartiale.

La morgue de l’hôpital de Dahuk a remis la dépouille de Wedat Hussein Ali à ses proches le 13 août. Son corps présentait des marques qui semblaient avoir été provoquées par des actes de torture. Le 15 août, les autorités du Kurdistan irakien ont déclaré qu’une enquête allait être ouverte. Cette enquête doit être menée par une instance indépendante et des mesures doivent être mises en place pour garantir la sécurité des témoins et veiller à ce que les résultats soient rendus publics.

D’après les témoignages qu’Amnesty International a recueillis auprès de ses proches et de ses collègues ainsi que d’autres militants, Wedat Hussein Ali a déposé un proche vers 9 h 30 le 13 août 2016, alors qu’il se rendait au travail en voiture. Des témoins ont déclaré l’avoir vu se faire intercepter sur la route par deux voitures civiles dans le quartier de Malte, dans l’ouest de Dahuk. Trois hommes en civil l’ont forcé à sortir de sa voiture, lui ont mis un sac sur la tête, l’ont poussé dans l’une de leurs voitures sous la menace d’une arme et sont partis. Des témoins ont déclaré aux membres de la famille de Wedat Hussein Ali que les ravisseurs avaient dit que le journaliste était arrêté pour avoir renversé un enfant. Les témoins ont dit à la famille de Wedat Hussein Ali qu’ils avaient relevé le modèle et la plaque d’immatriculation de la voiture et avaient transmis ces informations à des agents des services de sécurité kurdes (Asayish).

Environ deux heures plus tard, les proches de Wedat Hussein Ali ont été contactés par l’Asayish de Dahuk qui les a informés qu’« un membre de leur famille était à l’hôpital dans un état critique ». Lorsqu’ils sont arrivés à l’hôpital, ils ont été dirigés vers la morgue, où ils ont trouvé le corps contusionné de Wedat Hussein Ali. Les photos de son corps prises à la morgue, qu’Amnesty International a pu consulter, montrent des ecchymoses sur le visage, le torse et le reste du corps, ainsi que des lacérations profondes à la tête.

L’Asayish de Dahuk a informé la famille de Wedat Hussein Ali que son corps avait été trouvé par des villageois près de Simele (ou Sumeil), à l’ouest de la ville de Dahuk, et que les villageois en avaient informé la police locale qui avait alors signalé à l’Asayish de Dahuk que « le corps d’un habitant de Dahuk se trouvait » dans leur poste de police et qu’il devait être récupéré.

Les proches de Wedat Hussein Ali ont parlé aux habitants du village qui l’ont trouvé. Ceux-ci leur ont dit qu’il était vivant et qu’il avait donné son nom et son adresse avant d’être emmené au poste de police principal de Simele. Les proches et les collègues de Wedat Hussein Ali estiment que la cause et l’heure exactes de sa mort restent très floues. Les médecins de l’hôpital ont refusé de répondre aux questions des proches de Wedat Hussein Ali quant à la cause possible de ses blessures et de sa mort et leur ont demandé d’attendre le rapport médicolégal officiel. Les proches de Wedat Hussein Ali craignent également que les témoins n’aient été victimes de manœuvres d’intimidation, car ils semblaient hésiter à donner plus d’informations sur l’état de santé du journaliste lorsqu’ils l’ont trouvé.

Tareq Hussein Ali, le frère de Wedat Hussein Ali, a déclaré à Amnesty International :

« Sa main droite et son pied droit étaient cassés, ses yeux portaient de nombreuses ecchymoses et toutes ses côtes étaient cassées. Mon frère a été frappé et torturé. Il a été emmené sous la menace d’une arme en plein jour, sur une route très fréquentée de Dahuk, en pleine heure de pointe. Comment les autorités peuvent-elles laisser cela se produire ? Comment peuvent-elles n’avoir rien à dire ? »

Les membres de la famille et les collègues de Wedat Hussein Ali ont également déclaré à Amnesty International qu’il avait déjà reçu des menaces de mort par téléphone et qu’il avait été interrogé par l’Asayish de Dahuk à plusieurs reprises. Ils ont déclaré qu’il avait été battu au cours d’un des interrogatoires. Il avait dit à sa famille qu’on lui avait demandé d’arrêter son travail de journaliste pour l’agence de presse RojNews, ou de devenir informateur pour l’Asayish. Il avait refusé et avait continué de travailler pour l’agence de presse. Les collègues de Wedat Hussein Ali à RojNews, une agence considérée comme étant en faveur du PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan), ont en outre déclaré à Amnesty International qu’il travaillait principalement sur les questions liées au conflit politique actuel au Kurdistan irakien et qu’il transportait du matériel vidéo dans sa voiture le jour où il a été enlevé.

Le 15 août 2016, le cabinet de la présidence du Kurdistan irakien a publié une déclaration affirmant que le président avait « ordonné aux autorités compétentes de mener une enquête sur ces événements, d’arrêter les responsables et de les amener à rendre des comptes ». Amnesty International demande au gouvernement régional du Kurdistan de veiller à ce que l’enquête soit impartiale et minutieuse, de mettre en place des mesures efficaces pour garantir la sécurité des témoins et de donner aux proches de Wedat Hussein Ali des informations sur l’état de l’enquête et sur toutes les mesures prises, conformément aux normes internationales, notamment aux Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions. L’organisation est préoccupée par le fait que les exactions commises contre des journalistes en Irak, y compris au Kurdistan irakien, sont généralement restées impunies ces dernières années.

Complément d’information

En Irak, et dans une certaine mesure au Kurdistan irakien, les journalistes travaillent dans un climat d’insécurité et le Comité pour la protection des journalistes a classé le pays parmi les pays les plus dangereux au monde pour les journalistes chaque année ces dix dernières années. Wedat Hussein Ali est l’un des nombreux journalistes en Irak, y compris au Kurdistan irakien, qui ont été pris pour cible ces dernières années et ont ainsi été victimes de menaces, d’enlèvements et de détentions et, dans de nombreux cas, ont été tués pour avoir fait leur travail. Amnesty International avait déjà demandé par le passé que les journalistes en Irak, y compris au Kurdistan irakien, soient protégés et avait exprimé ses inquiétudes quant au fait qu’aucune enquête ne soit menée.

Le gouvernement régional du Kurdistan a, à plusieurs reprises, critiqué le PKK et ses actions. En août 2015, le gouvernement régional du Kurdistan a demandé au PKK de quitter ses bases dans les montagnes de Kandil, afin d’éviter que plus de civils ne soient tués. En effet, au moins huit personnes avaient été tuées et plusieurs autres avaient été blessées en août 2015 lors de frappes aériennes turques contre un village, et ce même si les habitants du village n’étaient pas liés au PKK. Les frappes aériennes turques contre des cibles du PKK en Irak se poursuivent de façon sporadique. Plus tôt en 2015, le gouvernement régional du Kurdistan avait condamné les actions du PKK en Turquie, où une explosion sur un oléoduc utilisé pour transporter du pétrole du Kurdistan irakien avait été revendiquée par le PKK. Plus récemment, le gouvernement régional du Kurdistan a critiqué les forces affiliées au PKK qui ont détruit plusieurs villages dans le nord de l’Irak.

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