Myanmar, Les droits humains doivent être la priorité absolue du sommet de l’ASEAN

Myanmar ASEAN

Les conséquences dramatiques du coup d’État au Myanmar sont la plus grande épreuve qu’ait jamais traversée l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), a déclaré Amnesty International ce vendredi 23 avril, appelant ce bloc régional à donner la priorité à la protection des droits humains de la population du Myanmar et à empêcher que la situation ne dégénère en une crise humanitaire et des droits humains.

L’organisation appelle également les autorités indonésiennes et d’autres États membres de l’ASEAN à enquêter sur le général Min Aung Hlaing, en raison d’allégations dignes de foi faisant état de sa responsabilité pour des crimes contre l’humanité commis au Myanmar. En tant qu’État partie à la Convention des Nations unies contre la torture, l’Indonésie est juridiquement tenue de poursuivre ou d’extrader un auteur présumé se trouvant sur son territoire.

« La crise déclenchée par l’armée au Myanmar est la plus grande épreuve de l’histoire de l’ASEAN. La position habituelle de ce bloc régional en faveur de la non-ingérence n’est pas envisageable : il ne s’agit pas d’une question interne pour le Myanmar, mais d’une crise humanitaire et des droits humains majeure qui affecte toute la région et au-delà », a déclaré Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe pour la recherche à Amnesty International.

« La crise déclenchée par une armée myanmar meurtrière et impénitente a submergé le pays et aura de graves répercussions - humanitaires et autres - dans toute la région, surtout si l’armée peut continuer à commettre des violations et des crimes graves en toute impunité.

« De plus, les autorités indonésiennes sont tenues d’enquêter sur le général Min Aung Hlaing et d’autres responsables militaires du Myanmar qui pourraient se joindre à sa délégation à Djakarta.

« Les allégations contre l’auteur du coup d’État au Myanmar, largement documentées par la Mission d’enquête des Nations unies sur le Myanmar, par Amnesty International et bien d’autres, doivent donner lieu à une enquête. Les autorités indonésiennes et les autres États membres de l’ASEAN ne peuvent faire abstration du fait que Min Aung Hlaing est soupçonné des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. »

En jeu : la crédibilité de l’ASEAN

Dans une lettre ouverte adressée aux États membres de l’ASEAN, Amnesty International souligne que des centaines de personnes ont été tuées et des milliers arrêtées au cours des semaines qui ont suivi le coup d’État militaire du 1er février au Myanmar. L’armée myanmar reste indifférente aux divers appels lancés par la communauté internationale et par des organisations de la société civile.

« La crise déclenchée par l’armée au Myanmar est la plus grande épreuve de l’histoire de l’ASEAN. La position habituelle de ce bloc régional en faveur de la non-ingérence n’est pas envisageable »

L’économie du Myanmar est à genoux et devrait connaître une contraction [1] pouvant aller jusqu’à 20 %, alors que le prix des denrées alimentaires augmente et que les perturbations du système bancaire et la disponibilité limitée de liquidités entravent [2] les opérations humanitaires. Le Programme alimentaire mondial a émis une mise en garde [3], indiquant que jusqu’à 3,4 millions de personnes au Myanmar risquaient de souffrir de la faim au cours des prochains mois.

« L’armée du Myanmar semble partir du principe qu’elle bénéficiera d’une impunité totale. La situation actuelle est le résultat direct d’un échec plus général de la communauté internationale, y compris de l’ASEAN, à amener l’armée du Myanmar à rendre des comptes pour les crimes commis par le passé.

« Si rien n’y met fin, les violations commises par l’armée myanmar entraîneront une escalade de la violence et du conflit, une aggravation des inégalités, la famine et des déplacements massifs de population, y compris vers les États membres de l’ASEAN - le tout en pleine pandémie de COVID-19.

« Amnesty International appelle l’ASEAN et ses États membres à coopérer et à prendre immédiatement des mesures pour protéger la population du Myanmar, en accordant la priorité aux droits humains de la population et à la fin à l’impunité », a déclaré Emerlynne Gil.

Mettre fin à l’impunité : une nécessité

Le 10 mars 2021, après avoir examiné plus de 50 vidéos sur la répression en cours, Amnesty International a pu conclure que l’armée du Myanmar, un peu partout dans le pays, utilisait des tactiques et des armes de plus en plus meurtrières, normalement réservées aux champs de bataille, contre des personnes qui manifestaient pacifiquement ou ne faisaient que passer à proximité de manifestations. Nombre de ces homicides s’apparentent à des exécutions extrajudiciaires.

Dans une déclaration au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le 11 mars 2021, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le Myanmar, Tom Andrews, a indiqué [4] que la répression des manifestations pacifiques depuis le coup d’État relevait probablement des crimes contre l’humanité.

En 2018, Amnesty International a publié un rapport présentant des éléments nombreux et dignes de foi qui tendaient à prouver la responsabilité du général Min Aung Hlaing, et de 12 autres personnes clairement identifiées, dans les crimes contre l’humanité perpétrés lors des opérations d’épuration ethnique menées contre la population rohingya du nord de l’État d’Arakan. Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants rohingyas ont été assassinés - ligotés et exécutés sommairement, tués par balles alors qu’ils s’enfuyaient ou brûlés vifs à l’intérieur de leur habitation. Des femmes et des jeunes filles rohingyas ont été violées dans leur village ou alors qu’elles tentaient de gagner le Bangladesh.

« Les opérations meurtrières menées par l’armée depuis le coup d’État du 1er février ne font que souligner à quel point il est urgent de traduire en justice Min Aung Hlaing et d’autres auteurs présumés. Les autorités indonésiennes ont pour obligation de le soumettre à une enquête et doivent le faire »

Ces dernières années, Amnesty International a également recueilli des informations sur des crimes de guerre et d’autres violations graves des droits humains commis par l’armée du Myanmar contre plusieurs autres minorités ethniques dans l’État d’Arakan, les États chin et kachin ainsi que le nord de l’État chan.

Amnesty International continue à appeler tous les États, y compris les États membres de l’ASEAN, à exercer leur compétence universelle et d’autres formes de juridiction afin d’enquêter sur toutes les personnes qui peuvent raisonnablement être soupçonnées d’avoir commis des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres crimes de droit international au Myanmar. L’ASEAN ne doit pas protéger les auteurs présumés de l’obligation de rendre des comptes et doit mettre fin aux années d’impunité de l’armée du Myanmar.

« Il existe suffisament de preuves pour soupçonner raisonnablement Min Aung Hlaing de crimes de droit international, dont le crime de torture, et cela doit être souligné à chaque occasion », a déclaré Emerlynne Gil.

« Les opérations meurtrières menées par l’armée depuis le coup d’État du 1er février ne font que souligner à quel point il est urgent de traduire en justice Min Aung Hlaing et d’autres auteurs présumés. Les autorités indonésiennes ont pour obligation de le soumettre à une enquête et doivent le faire. »

Informations générales

Dans la lettre ouverte adressée à l’ASEAN et aux États membres avant le sommet d’urgence, Amnesty International a engagé :

 l’ASEAN :

  • à condamner sans équivoque toutes les violations des droits humains commises au Myanmar, et à continuer d’appeler à la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement et à la fin du recours à la force meurtrière contre les enfants, les personnes qui manifestent pacifiquement et celles ne faisant que passer à proximité des manifestations.
  • à ordonner à la Commission intergouvernementale des droits humains de l’ASEAN d’élaborer une approche commune afin de garantir que toutes les relations avec le Myanmar tiennent compte des préoccupations relatives aux droits humains et y répondent, conformément au point 4.11 du mandat de la Commission. Cette approche commune sera adoptée par l’ASEAN et guidera l’organe régional dans tous les aspects de ses relations avec le Myanmar, y compris en ce qui concerne la situation dans l’État d’Arakan et la répression de l’opposition au coup d’État militaire.
  • à soutenir le travail mené par les mécanismes internationaux indépendants, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar pour enquêter sur les violations des droits humains commises au Myanmar.
  • à appeler le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir la Cour pénale internationale (CPI) de l’ensemble de la situation au Myanmar.
  • à soutenir l’appel lancé au Conseil de sécurité des Nations unies en vue de l’imposition d’un embargo global sur les armes à destination du Myanmar.
  • à soutenir l’appel lancé au Conseil de sécurité des Nations unies pour imposer des sanctions financières ciblées aux hauts responsables soupçonnés de crimes de droit international et de violations graves, notamment dans le contexte de la répression de l’opposition au coup d’État du 1er février.

 les membres de l’ASEAN :

  • à s’abstenir de renvoyer quiconque au Myanmar dans les circonstances actuelles, quelle que soit la situation des personnes intéressées au regard de la législation sur l’immigration, et à maintenir la suspension de toute expulsion et de tout renvoi jusqu’à ce que la protection des droits humains puisse être garantie. Le renvoi de quiconque dans les circonstances actuelles constituerait une violation du principe de non-refoulement, qui, en vertu du droit coutumier relatif aux droits humains, interdit de renvoyer une personne, quel que soit son statut migratoire, dans un État où il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait de subir un préjudice irréparable à son retour en raison de graves violations des droits humains.
  • à veiller à ce que les futurs rapatriements ou renvois de personnes réfugiées ne soient effectués que dans la sécurité, dans la dignité et sur une base volontaire, une fois que des protections explicites des droits humains, y compris du droit à la citoyenneté, seront en place. Les États doivent fournir une évaluation individuelle de chaque cas afin d’évaluer les besoins en matière de protection internationale.
  • à exercer leur compétence universelle et d’autres formes de juridiction afin de mener une enquête sur le général Min Aung Hlaing pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre ou d’autres crimes de droit international au Myanmar.
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