• Depuis le coup d’État, plus de 800 civils, dont 58 enfants, ont été tués, plus de 4 800 personnes ont été détenues et plus de 100 000 personnes ont été déplacées rien que dans l’État kayah.
• Les États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) jouent un rôle crucial. Il faut qu’ils soutiennent l’appel à un embargo de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les armes, sans quoi ils couvriront de fait les crimes commis par l’armée à l’encontre de la population civile.
• L’appel en faveur de la libération de personnalités de l’opposition qu’a lancé un haut représentant de l’ANASE est une initiative bienvenue, mais les États membres doivent lui emboîter le pas.
Il faut que l’ANASE cesse de protéger l’armée du Myanmar de la pression internationale et de lui permettre d’échapper à l’obligation de rendre des comptes, a déclaré Amnesty International le 15 juin, tandis que la crise des droits humains continue de s’aggraver considérablement dans le pays.
Alors que le procès d’Aung San Suu Kyi s’est ouvert le 14 juin, l’organisation exhorte une nouvelle fois tous les États membres de l’ANASE à souscrire enfin aux appels demandant la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement dans le pays et à soutenir les mesures visant à empêcher l’afflux d’armes destinées à l’armée du Myanmar.
« L’attachement habituel de l’ANASE à la non-ingérence permet à l’armée de se livrer à un déchaînement meurtrier, lequel alimente une crise des droits humains et une crise humanitaire qui saperont à la fois la crédibilité de l’ANASE et la stabilité même qu’elle cherche à maintenir, a déclaré Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe chargée de la recherche à Amnesty International.
« Au Myanmar, des millions de personnes sont en train de perdre foi en l’ANASE. Il faut que le bloc régional change de trajectoire et offre une planche de salut à la population du Myanmar en se ralliant aux efforts internationaux tendant à protéger les civils et à demander la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris Aung San Suu Kyi. »
Aung San Suu Kyi doit répondre de sept chefs d’accusation. Si elle est déclarée coupable, elle encourra plusieurs décennies d’emprisonnement et ne pourra plus, de fait, occuper des fonctions au sein de l’État. Parmi les charges retenues contre elle figurent des infractions à l’article 55 de la Loi relative à la lutte contre la corruption, à la Loi relative aux services secrets, à l’article 67 de la Loi relative aux télécommunications et à la Loi relative aux exportations et aux importations (pour possession de talkies walkies à son domicile). Elle a également été inculpée de deux chefs en vertu de l’article 25 de la Loi relative aux catastrophes naturelles et d’« incitation » au titre de l’article 505, paragraphe b) du Code pénal.
« Il faut que le bloc régional change de trajectoire et offre une planche de salut à la population du Myanmar en se ralliant aux efforts internationaux tendant à protéger les civils et à demander la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris Aung San Suu Kyi. »
« L’armée puise au plus profond de son arsenal de lois répressives, dont certaines remontent à l’époque coloniale, en tentant désespérément de faire taire Aung San Suu Kyi, les personnalités de l’opposition et les nombreux autres détracteurs qui sont détenus arbitrairement », a déclaré Emerlynne Gil.
Les forces de sécurité du Myanmar continuent de tuer, de blesser et d’arrêter des civils. Depuis le coup d’État du 1er février, quelque 863 civils, dont 58 enfants, ont été tués et un nombre incalculable de personnes ont été blessées, selon l’Association d’aide aux prisonniers politiques de Birmanie (AAPPB). Des actes de torture et des morts en détention continuent d’être signalés. Les restrictions relatives à l’accès à internet demeurent en vigueur et la liberté de la presse est extrêmement limitée.
Dans le même temps, les affrontements entre l’armée du Myanmar et des groupes ethniques armés ou des groupes de manifestant·e·s qui prennent les armes connaissent une escalade et se propagent dans tout le pays, faisant des morts et des blessés parmi la population civile, endommageant des biens civils et entraînant le déplacement de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants. Rien que dans l’État kayah, les combats récents, y compris les frappes aériennes, ont provoqué le déplacement d’environ 100 000 civils qui ont besoin de toute urgence d’une aide humanitaire. Quelque 200 000 civils ont été déplacés depuis le début de l’année 2021, qui sont venus s’ajouter aux plus de 300 000 personnes déjà déplacées qui dépendent de l’aide humanitaire.
Une réunion de haut niveau met en lumière les hésitations diplomatiques de l’ANASE
Le 4 juin, une délégation de haut niveau composée du secrétaire général de l’ANASE, Lim Jock Hoi, et d’Erywan Pehin Yusof, vice-ministre des Affaires étrangères du Brunéi Darussalam, qui assure actuellement la présidence de l’ANASE, s’est entretenue avec l’instigateur du coup d’État et chef des autorités militaires du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, à Naypyidaw, la capitale.
Cette réunion a donné peu de résultats tangibles s’agissant de la mise en œuvre du « consensus en cinq points » de l’ANASE concernant la crise au Myanmar, y compris les appels à cesser les violences, à permettre l’arrivée de l’aide humanitaire et à nommer un envoyé spécial de l’ANASE pour le Myanmar.
Il faut que l’ANASE exhorte le Myanmar à libérer les personnes détenues arbitrairement
Dans une déclaration émise à l’issue de l’entretien, le président de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’ANASE, Erywan Pehin Yusof, a appelé à la libération des prisonnières et prisonniers politiques détenus au Myanmar, ce qui est un progrès louable.
Selon l’AAPPB, à la date du 13 juin, 4 863 personnes étaient détenues ou avaient été condamnées à la suite du coup d’État du 1er février, y compris les responsables civils titulaires d’un mandat électif.
« L’engagement tardif d’un haut représentant de l’ANASE en faveur de la libération des personnalités de l’opposition est néanmoins bienvenu et crucial, et nous espérons que ce point de vue fera consensus au sein de l’ANASE, a déclaré Emerlynne Gil. De toute évidence, les efforts de médiation de l’ANASE seront vains si toutes les principales parties prenantes sont derrières les barreaux.
« L’ANASE doit exiger, à titre de priorité absolue, que l’armée du Myanmar libère sans délai non seulement les personnalités politiques de premier plan mais aussi les milliers de personnes détenues arbitrairement et demander le respect de leurs droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique », a déclaré Emerlynne Gil.
Statu quo inacceptable depuis le sommet d’urgence de l’ANASE
Un consensus en cinq points a été trouvé lors d’un sommet d’urgence tenu à Djakarta le 24 avril, auquel a participé le général Min Aung Hlaing. Néanmoins, depuis cette date, les autorités militaires ont déclaré à plusieurs reprises qu’elles ne suivraient pas le plan prévu tant que le pays n’aurait pas atteint la « stabilité ». Entre le sommet de l’ANASE et le 13 juin, 115 personnes supplémentaires ont été tuées et 1 474 autres ont été détenues arbitrairement ou condamnées.
« Les généraux du Myanmar tournent en dérision les modestes efforts consentis par l’ANASE pour diriger l’action internationale. Ils continuent à tuer, à emprisonner et à épuiser le pays alors que le consensus en cinq points de l’ANASE vient tout juste d’être établi, a déclaré Emerlynne Gil.
« Il faut que le bloc régional concoure aux efforts de l’ONU visant à protéger les civils, à faire en sorte que leurs besoins humanitaires soient satisfaits, à empêcher l’afflux d’armes destinées à l’armée et à obtenir la libération des personnes détenues arbitrairement. »
Les appels à un embargo de l’ONU sur les armes se font de plus en plus entendre
Les États membres de l’ANASE continuent à négocier avec les pays qui défendent une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la crise des droits humains au Myanmar, et seuls certains d’entre eux sont favorables à l’idée d’un embargo total sur les armes.
« Il faut que l’ANASE soutienne l’adoption d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à cesser les transferts d’armes destinées à l’armée du Myanmar. Ne pas le faire reviendrait à renoncer à son rôle de chef de file dans la crise au Myanmar et indiquerait que l’ANASE prend parti pour une armée qui continue à tuer et à emprisonner des manifestant·e·s sans arme et d’autres civils.
« Cela dit, même si l’Assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution appelant à cesser les transferts, ce texte n’aurait qu’une valeur morale et ne dissuaderait peut-être pas les principaux fournisseurs de l’armée que sont la Chine, l’Inde et la Russie. ll faut donc que le Conseil de sécurité de l’ONU impose de toute urgence à tous les États un embargo mondial sur les armes au Myanmar afin de mettre un terme à la folie meurtrière de l’armée contre son propre peuple.
« Qu’il s’agisse d’une obstruction délibérée ou d’un désaccord interne, l’ANASE est devenue le bouclier de l’armée du Myanmar au plus haut niveau de la diplomatie mondiale. Au lieu de cela, ses États membres devraient lutter ensemble contre les atrocités que l’armée ne cesse de commettre et se rallier de toute urgence aux appels en faveur d’un embargo mondial et total sur les armes au Myanmar. »