Myanmar, Des villages sont incendiés et des civils tués dans l’État d’Arakan

Myanmar satellite

De nouvelles preuves d’attaques menées sans discrimination contre des civils dans l’État d’Arakan dans le cadre de l’aggravation du conflit armé entre l’armée myanmar et l’Armée d’Arakan (AA) ont été rassemblées.

Ces preuves incluent les récits de témoins directs, des photos et des vidéos provenant de l’État d’Arakan, ainsi que l’analyse d’images satellites et des informations diffusées par les médias et communiquées par des sources au sein de la société civile. Les noms des témoins ont été modifiés.

« Rien ne laisse espérer un apaisement dans le conflit qui oppose l’Armée d’Arakan et l’armée myanmar, et les civils continuent d’être les premières victimes de ces violences, a déclaré Ming Yu Hah, directrice adjointe du programme Asie du Sud-Est à Amnesty International.

« Le mépris total affiché par l’armée myanmar à l’égard des souffrances endurées par la population civile devient chaque jour plus flagrant et effrayant. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit de toute urgence saisir la Cour pénale internationale de la situation au Myanmar. »

Amnesty International est également préoccupée par les récentes informations [1] faisant état d’une présence accrue de soldats de l’armée myanmar le long de la frontière avec le Bangladesh. Les images montrant des mines antipersonnel récemment découvertes dans une zone civile ont été analysées par des spécialistes des armes à Amnesty, qui ont établi qu’il s’agit de mines de type MM2, souvent utilisées par l’armée myanmar. Ce dispositif est plus grand que la plupart des autres mines antipersonnel, et il cause généralement plus de dégâts.

« Le mépris total affiché par l’armée myanmar à l’égard des souffrances endurées par la population civile devient chaque jour plus flagrant et effrayant. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit de toute urgence saisir la Cour pénale internationale de la situation au Myanmar. »

L’Armée d’Arakan et l’armée myanmar utilisent l’une et l’autre des dispositifs antipersonnel, et il n’est donc pas toujours possible d’établir avec certitude leur provenance. Les restrictions d’accès actuelles empêchent Amnesty International de mener un travail de recherche d’informations sur le terrain.

Plusieurs cas de civils blessés ou tués par des mines terrestres ont été signalés de façon crédible dans les États d’Arakan et chin ces derniers mois par des organisations de la société civile et des médias locaux.

L’un des cas les plus récents remonte au 18 septembre : une femme chin de 44 ans a marché sur une mine terrestre alors qu’elle ramassait des pousses de bambou près de la base 289 du bataillon d’infanterie légère de l’armée myanmar, à Paletwa. Elle est morte des suites de ses blessures quelques heures après.

Amnesty International est également très préoccupée par les informations récemment publiées par des médias locaux signalant que l’armée myanmar utilise des enfants rohingyas pour des tâches de portage forcées dans la municipalité de Buthidaung, dans un secteur où ont lieu des affrontements avec l’Armée d’Arakan.

« Je ne pensais pas que c’était notre village »

Dans la matinée du 8 septembre 2020, Maung Soe* travaillait près de son village de Nyaung Kan, dans la municipalité de Myebon, quand il a entendu des bruits d’armes lourdes, qu’il a décrits comme ressemblant au bruit du tonnerre.

« Je ne pensais pas que c’était notre village. J’ai cru que c’était ailleurs. J’ai appelé ma femme, mais elle ne m’a pas répondu. J’ai entendu cela deux fois — broum, broum — en l’espace d’une minute.

« Je suis retourné au village et j’ai entendu que des gens subissaient des blessures. Quand je suis arrivé chez moi, ma femme et ma fille étaient allongées sur le sol. [Ma femme] ne disait rien. J’ai vérifié pour ma petite fille [de sept ans], et elle était encore en vie. J’ai pris ma fille dans mes bras et j’ai voulu sortir.

« Je ne voyais [pas de soldats]. Les tirs venaient de très loin. Quand j’ai tenté de courir en portant ma fille, il y a eu plus de tirs. J’ai essayé de recouvrir le corps de ma fille, près de la rivière. Deux minutes après, ma fille est morte.

« Même après que ma fille est morte, j’ai continué d’entendre des tirs […] j’ai dû m’enfuir, en laissant le corps de ma fille. Je suis revenu plus tard, quand ils ont cessé de tirer. »

« Je ne voyais [pas de soldats]. Les tirs venaient de très loin. Quand j’ai tenté de courir en portant ma fille, il y a eu plus de tirs. J’ai essayé de recouvrir le corps de ma fille, près de la rivière. Deux minutes après, ma fille est morte. »

Maung Soe a dit qu’il n’y avait pas de combattants de l’Armée d’Arakan à Nyaung Kan. Les villageois pensent que les tirs d’armes lourdes provenaient d’une base de l’armée myanmar située près de la frontière avec la municipalité d’Ann.

Le bombardement du village de Nyaung Kan, dans la municipalité de Myebon, a fait cinq morts, dont la femme et la fille de Maung Soe. Ces victimes appartenaient toutes à l’ethnie rakhine, et deux d’entre elles étaient des enfants de sept ans. Dix personnes ont aussi été blessées lors de cette attaque.

Selon les estimations d’une organisation locale de la société civile, le nombre de civils tués pendant ce conflit depuis décembre 2018 dans les États d’Arakan et chin s’élève à 289, auxquels s’ajoutent 641 blessés.

Les chiffres réels ne peuvent pas être établis de façon indépendante, car les coupures de l’Internet mobile et la répression exercée par le gouvernement contre les médias ont entravé les tentatives de recherche d’informations dans les zones touchées par le conflit. Cependant, en juillet 2020, Amnesty International a été en mesure de rassembler des informations sur des frappes aériennes et des bombardements menés sans discernement par l’armée myanmar, qui ont tué et blessé des civils, y compris des enfants.

Le 14 septembre, la haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet a indiqué au Conseil des droits de l’homme que récemment, dans l’État d’Arakan, des civils « ont manifestement été visés ou touchés par des attaques menées sans discernement, ces cas pouvant constituer de nouveaux crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité ».

Maung Soe, qui est maintenant déplacé, dit qu’il veut que l’armée myanmar se retire de l’État d’Arakan pour éviter d’autres horreurs : « Je souffre, j’ai perdu ma famille, et je ne veux pas que d’autres Rakhines endurent les mêmes épreuves à l’avenir. »

« L’un depuis la route et l’autre depuis la montagne » : un village incendié attaqué depuis deux positions éloignées

L’examen d’images satellites et de nouveaux récits de témoins réunis par Amnesty International incitent à penser que des soldats de l’armée myanmar ont incendié un village dans la municipalité de Kyauktaw, dans le centre de l’État d’Arakan, début septembre.

Un témoin, U Kyaw Tin*, villageois qui vit dans ce secteur, a dit à Amnesty International qu’il marchait avec sa vache quand l’armée myanmar a lancé une attaque contre Hpa Yar Paung, le 3 septembre.

« [Ils] ont commencé à tirer, ils sont entrés dans le village. Je ne savais pas d’où venaient les tirs exactement [...] On essayait de se sauver en courant dans la direction opposée. On n’a pas vraiment vu ce qui se passait, parce que nous avons tous couru. »

Il a dit que les issues du village avaient été bloquées par l’armée myanmar dans deux sens : « Il y avait deux [groupes] de soldats, un de chaque côté, qui tiraient l’un depuis la route et l’autre depuis la montagne. Il y avait des tirs qui venaient [d’un endroit éloigné], mais aussi quelque chose du côté de la route, qui approchait dans un véhicule. »

« [Ils] ont commencé à tirer, ils sont entrés dans le village. Je ne savais pas d’où venaient les tirs exactement [...] On essayait de se sauver en courant dans la direction opposée. On n’a pas vraiment vu ce qui se passait, parce que nous avons tous couru. »

Un porte-parole de l’armée myanmar, le général de division Zaw Min Tun, a dit aux journalistes qu’un véhicule de la police a été attaqué près du village par l’Armée d’Arakan, qui a utilisé un engin explosif improvisé (EEI) dont l’explosion a été déclenchée à distance.

D’après les informations fournies à Amnesty International, des personnes ont vu l’armée myanmar arrêter deux hommes rakhines du village ce soir-là. Leurs corps auraient été retrouvés le lendemain matin près du fleuve, et ils présentaient des blessures par balle.

Les corps ont depuis été transportés par l’armée à Kyauktaw pour une autopsie. L’armée myanmar a dit aux médias avoir récupéré sur le site « les corps de deux ennemis et une arme à feu ».

« [L’armée myanmar] a commencé à incendier le village vers 21 heures, a indiqué U Kyaw Tin à Amnesty International. Quand ils ont eu terminé d’incendier le village, ils sont allés ailleurs, près de la colline, et ils ont aussi lancé une attaque là-bas. »

L’examen réalisé par Amnesty International des images satellites prises le 10 septembre 2020 montre que plus de 120 structures dans les villages rakhines de Taung Pauk et de Hpa Yar Paung, dans la municipalité de Kyauktaw, ont été réduites en cendres.

Amnesty International a également examiné des relevés satellitaires en date du 3 septembre qui montrent des anomalies thermiques. De plus, Amnesty International a analysé une vidéo du village incendié de Hpar Yar Paung, enregistrée le 4 septembre depuis un véhicule en mouvement, qui donne un aperçu de l’ampleur des destructions. Ces trois sources de renseignements concordent avec les récits décrivant l’attaque qui a eu lieu dans la nuit du 3 septembre 2020.

U Kyaw Tim a dit qu’environ 80 maisons ont été totalement détruites, et plus de 90 endommagées. Les 500 habitants de Hpar Yar Paung sont à présent déplacés à l’intérieur de la municipalité de Kyauktaw, où ils dépendent de l’aide fournie par des organisations rakhines de la société civile dans la ville de Kyauktaw.

De nouveaux chiffres fournis par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) indiquent que 89 564 personnes ont été déplacées vers 180 sites dans l’État d’Arakan entre janvier 2019 et le 7 septembre 2020.

Ces données sont basées sur les chiffres fournis par le gouvernement de l’État d’Arakan et les partenaires humanitaires de l’OCHA. Des organisations locales de la société civile indiquent que le véritable nombre de personnes déplacées est probablement plus élevé, car les villageois ont fui vers des zones qui ne sont plus que théoriquement sous le contrôle du gouvernement.

Ces derniers événements aggravent encore l’actuelle crise des déplacements massifs dans l’État d’Arakan, où plus de 130 000 Rohingyas ont été internés dans des camps depuis 2012 [2].

« Nous ne savions rien » : coupure d’Internet pendant la pandémie

La coupure de l’Internet mobile qui était en place depuis un an dans plusieurs régions de l’État d’Arakan et de l’État chin, qui en est voisin, a été partiellement levée en août ; cependant, les autorités ont réduit la vitesse de connexion en la limitant à la 2G dans certains des secteurs les plus touchés par le conflit armé.

Le gouvernement du Myanmar avait déclaré qu’il était nécessaire de couper l’Internet mobile pour empêcher l’« incitation » et l’activation à distance de la détonation d’engins explosifs antipersonnel par l’Armée d’Arakan.

Cependant, cette coupure a empêché la fourniture d’une aide humanitaire indispensable et l’accès à des informations essentielles sur le conflit et la pandémie de COVID-19, dans un contexte de propagation accrue du virus au Myanmar depuis la mi-août, en particulier dans l’État d’Arakan.

Dans le cas de Maung Soe, en raison du manque de connexion, son village n’a pas pu être informé de l’ampleur et du lieu des combats.

« Nous n’avons absolument pas de réseau et nous ne savons rien de ce qui se passe en ce qui concerne le conflit et les attaques menées dans d’autres endroits », a déclaré Maung Soe.

Outre la coupure d’Internet, le gouvernement a décidé de restreindre fortement l’accès à l’aide humanitaire dans une grande partie de l’État d’Arakan et dans une municipalité de l’État chin.

L’accès aux soins de santé dans l’État d’Arakan reste lamentable, en particulier pour la population rohingya, qui est depuis longtemps soumise à de sévères restrictions de circulation et, souvent, rackettée par des policiers et par des militaires.

Le gouvernement myanmar devrait garantir un accès entier et sans entrave aux agences humanitaires et permettre à toutes les personnes dans cet État d’avoir accès à l’aide humanitaire.

Amnesty International est préoccupée par le fait que les très larges pouvoirs accordés au titre des ordonnances liées au COVID-19 favorisent les abus, en particulier dans les zones touchées par le conflit.

Le scandale des violences sexuelles infligées par l’armée est marqué par l’impunité et le secret

Le 11 septembre 2020, l’armée myanmar a admis [3] que trois de ses soldats avaient violé une femme rakhine lors d’opérations menées dans la municipalité de Rathedaung le 30 juin, alors qu’ils avaient totalement nié [4] ces violences au moment où les premières accusations ont été portées contre eux, en juillet.

La semaine dernière, dans une déclaration portant sur ces faits, l’armée a nommé publiquement [5] la victime, mais pas les agresseurs.

« Cette abominable affaire de violences sexuelles montre que même lorsqu’elle est contrainte d’admettre la commission d’actes répréhensibles, l’armée myanmar fait preuve d’un manque total de respect de l’obligation de rendre des comptes, a déclaré Ming Yu Hah.

« Ces agissements inacceptables en disent long sur la Tatmadaw, et sur la culture de l’impunité qui règne dans ses rangs.

« La communauté internationale doit sans plus tarder tirer la sonnette d’alarme au sujet de la situation dans l’État d’Arakan, sinon elle devra plus tard expliquer pourquoi elle n’a rien fait, cette fois encore. »

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