communiqué de presse

« Ne savent-ils pas que l’hiver approche ? » Colère et souffrance parmi les personnes déplacées en Irak

Par James Lynch, spécialiste des droits des migrants dans le nord de l’Irak.

Partout dans le nord de l’Irak, des milliers de personnes chassées de chez elles par le conflit luttent pour survivre dans des conditions très difficiles. L’hiver approchant, la situation ne peut qu’empirer.

Près de Derabon, non loin des frontières avec la Turquie et la Syrie, un groupe de familles déplacées a trouvé une parcelle de terre inoccupée à côté de la route et y a construit des abris précaires en bois et en paille. Ils vivent sans électricité et leur seul accès à l’eau, qui selon eux est à peine potable, est une source située à presque un kilomètre de là.

Pendant notre visite, un camion vient distribuer des matelas. Il n’y en a cependant pas suffisamment pour tout le monde. Un groupe d’enfants se dispute le dernier, et ceux qui vont à nouveau passer la nuit à même le sol finissent en larmes. De nombreux enfants n’ont pas de chaussures et les adultes nous demandent de prendre en photo la peau durcie, cassante et enflée de leurs pieds, pour montrer au monde ce qu’ils vivent.

Cette scène n’est qu’un aperçu des privations endurées par des milliers de personnes.

Lorsque l’État islamique (EI) a pris la ville de Sinjar début août, le déplacement de la population a été tellement rapide et massif qu’en quelques jours, des centaines de milliers de personnes, appartenant principalement à la minorité yézidie, ont franchi la frontière avec la Syrie avant de regagner le nord de l’Irak. Un mois plus tard, les logements disponibles sont toujours loin d’être suffisants, sans parler des services de base. Des camps ont été construits, mais ils sont pleins. Pour ceux qui se réfugient dans des écoles, des bâtiments à moitié terminés, ou vivent simplement dehors, les conditions de vie peuvent être très rudes.

À Khanke, un village proche de la zone des combats, 91 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays par le conflit s’entassent dans un bâtiment inachevé en béton donnant sur une rue commerçante. Tous sont profondément choqués d’avoir été chassés si soudainement et violemment de leurs villages, et cela se ressent. Un homme est assis, adossé à un mur, incapable de parler, probablement à cause de son expérience traumatisante.

Le propriétaire du bâtiment explique qu’il les laisse utiliser ce local parce qu’il est révolté et touché par leur situation. L’arrivée de l’hiver dans peu de mois est au centre des préoccupations de chacun.

«  La température descend en-dessous de zéro en hiver, et il n’y a pas de mur pour empêcher le froid de pénétrer dans ce lieu. J’ai peur que leurs enfants tombent malades s’ils restent ici » a-t-il déclaré.

Après des débuts laborieux, le gouvernement local et l’ONU construisent maintenant de nouveaux camps pour essayer d’éviter que la saison froide ne provoque une catastrophe. Cependant, selon toutes probabilités, ce sont les 129 000 personnes actuellement hébergées dans les écoles de Dohouk qui s’installeront en priorité dans ces camps, pour que les enfants de la région puissent commencer leur année scolaire.

La crise du déplacement de populations en Irak, qui s’est aggravée progressivement au cours de l’année 2014 en même temps que les conflits dans les provinces d’Al Anbar, de Mossoul et de Sinjar, a affecté presque tous les groupes ethniques et religieux. Les chrétiens assyriens, les chiites turkmènes et shabaks, les yézidis, les kakaïs et les mandéens sabéens sont parmi les groupes les plus touchés. Plus d’un million et demi de personnes ont été déplacées dans le pays. Face à cette situation, les organisations humanitaires manquent de ressources et peinent à obtenir de l’aide dans les zones considérées comme trop dangereuses pour que des équipes soient envoyées.

Tout le monde souffre et se demande pourquoi les renforts n’arrivent pas plus vite. Des personnalités étrangères, dont le ministre français des affaires étrangères, ont rendu visite à un groupe de chrétiens déplacés et actuellement installés sur la propriété d’une des églises d’Erbil. Cependant, malgré l’attention qui leur a été portée, leur accès à l’eau est toujours très limité et jusqu’à 60 personnes dorment sous une même tente.

Alors que le monde s’efforce de trouver une solution pour contrer la menace de l’EI, les personnes déplacées par le conflit se demandent quel choix elles ont pour le futur. Personne ne s’attend à ce que les combats prennent fin rapidement, et de toute façon, ces gens sont nombreux à être convaincus que, même si l’EI finit par être chassé de leurs villages, ils ne pourront jamais rentrer chez eux. Ils ne croient plus en la capacité des forces irakiennes et kurdes à les protéger de futures attaques. Leur confiance est brisée, disent-ils.

Beaucoup d’entre eux disent qu’ils veulent quitter l’Irak pour vivre dans un autre pays. Un père de trois enfants, un homme instruit qui vit actuellement dans le village de Shariya, pense emmener sa famille en Turquie pour essayer de pénétrer en Union européenne en franchissant illégalement la frontière grecque. Nous lui avons expliqué que cela pouvait être très dangereux et qu’il était possible qu’il n’y trouve pas une vie meilleure pour sa famille. Il se demande cependant s’il a d’autres choix :

« Que pouvons-nous faire d’autre ? Nous ne pouvons pas rentrer chez nous, nous savons que personne ne nous protègera. Et il n’y a guère d’espoir ici. Ma femme est enceinte de neuf mois, je pense que nous devrions partir lorsque le bébé aura quelques semaines, pour pouvoir franchir les montagnes avant l’hiver.  »

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