Communiqué de presse

Népal. Quatre organisations de défense des droits humains condamnent le décret d’amnistie Il faut respecter l’obligation d’engager des poursuites pour les pires crimes commis pendant la guerre civile

New York, 31 août 2012 – Le président du Népal Ram Baran Yadav ne doit pas signer le décret gouvernemental qui permettrait d’accorder l’amnistie pour les crimes commis durant la guerre civile qui a ravagé le pays de 1996 à 2006, ont déclaré quatre organisations de défense des droits humains dans une lettre adressée au président. Il doit renvoyer ce décret au gouvernement et lui rappeler qu’il est tenu, aux termes du droit national et international, d’engager des poursuites pour les actes qui constituent des crimes de droit international.

Amnesty International, Human Rights Watch, la Commission internationale de juristes (CIJ) et TRIAL (association suisse qui lutte contre l’impunité) ont obtenu un exemplaire de ce texte de loi le 28 août. Il propose la mise en place d’une Commission d’enquête sur les personnes disparues, la vérité et la réconciliation, jouissant du pouvoir discrétionnaire de recommander des amnisties pour de graves atteintes aux droits humains, notamment des crimes relevant du droit international. Le gouvernement a remis ce décret directement au président Ram Baran Yadav, sans aucune consultation – pas plus avec la population qu’avec la Commission nationale des droits humains.

« Sous sa forme actuelle, ce texte de loi représente purement et simplement une manœuvre flagrante visant à balayer des années d’efforts pour mettre sur pied des commissions sur les disparitions et sur la vérité et la réconciliation qui soient dûment constituées, dotées d’un mandat bien défini et indépendantes, a indiqué Sam Zarifi, directeur du programme Asie à la CIJ. Loin d’être vectrice de justice, de vérité et de réparations après des années de doléances, la commission prévue permettrait d’accorder l’amnistie pour des crimes de droit international, ce qui va à l’encontre des obligations du Népal au titre du droit tant national qu’international. »

Les organisations de défense des droits humains avaient déjà demandé au gouvernement de faire en sorte que les dispositions législatives ayant trait aux mécanismes de justice transitionnelle respectent les normes internationales et le droit international, et de veiller à ce qu’aucune grâce ne soit accordée pour les crimes de droit international – notamment les exécutions extrajudiciaires, les violences sexuelles constitutives de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, les disparitions forcées et la torture.

Les organisations ont exhorté le président Ram Baran Yadav à renvoyer le décret, à garantir un processus juste, qui profite à tous, s’agissant de mettre sur pied des mécanismes de justice transitionnelle, et à enjoindre au gouvernement de s’acquitter de ses obligations au titre du droit national et international.

Accorder l’amnistie pour des actes qui constituent des crimes de droit international – torture, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide – bafoue les obligations incombant aux États, qui sont tenus en vertu du droit international d’engager des poursuites pour ces crimes. Un ensemble de lois, de normes et de décisions élaborées par des organismes internationaux mettent l’accent sur le fait qu’il est interdit de prononcer des amnisties pour ces crimes. Cette interdiction figure, entre autres, dans l’article 24 de l’Ensemble de principes actualisé pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), comme l’a réaffirmé le Comité des droits de l’homme.

« Le mécanisme proposé ne respecte ni le droit national ni les normes internationales, a indiqué Polly Truscott, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. Si le président appose sa signature à ce décret, il ne fera que confirmer que le gain politique à court terme prévaut au Népal sur le respect de l’état de droit et des droits humains. »

En outre, les organisations ont fait part de leurs préoccupations : en vertu de la procédure proposée dans le décret, les membres de la commission seraient nommés sur décision politique et donc exposés aux pressions politiques. La nomination d’un juge de la Cour suprême à la retraite pour présider le comité de sélection des membres ne suffira pas à protéger la commission contre les pressions politiques, alors que ses membres seraient au final nommés sur la base d’un consensus entre les partis politiques.

Par ailleurs, le décret permettrait au procureur général de conserver un pouvoir discrétionnaire concernant les poursuites dans les affaires pénales, ce qui placerait une personne nommée sur décision politique au cœur du processus visant à mettre en œuvre les obligations du Népal s’agissant des poursuites pour les crimes les plus graves. Le bureau du procureur général a de piètres antécédents en matière de justice rendue en cas de violations des droits humains au sein du système pénal, comme l’a signalé la CIJ dans son rapport de juin 2012 intitulé Commissions of Inquiry in Nepal : Denying Remedies, Entrenching Impunity.

Un tel manque d’indépendance et d’impartialité, inhérent et prévisible, de la commission, de ses procédures et de ses membres aura de profondes répercussions néfastes sur sa compétence et son efficacité, ont averti les organisations.

« Ce décret évoque une époque que nous espérions tous révolue depuis longtemps, lorsque ceux qui ont abusé de leur pouvoir et commis des crimes odieux durant la guerre ont plus tard cherché à les couvrir en usant de mesures arbitraires, ce qui a favorisé une culture généralisée de l’impunité », a estimé Philip Grant, directeur de TRIAL.

Enfin, le décret gouvernemental exposerait les victimes et leurs familles aux menaces et aux pressions qui ne manqueront pas de surgir lorsque les personnes accusées de crimes et leurs associés solliciteront l’amnistie. Le Népal a des obligations légales au niveau international et doit veiller à ce que les victimes et leurs familles aient accès à la justice et à des recours, notamment à des programmes efficaces de protection des témoins et des victimes, le cas échéant.

« Le gouvernement népalais est tenu de respecter les droits fondamentaux des victimes du conflit et de leurs familles, a affirmé Phelim Kine, directeur adjoint du programme Asie à Human Rights Watch. Une réconciliation durable ne saurait se fonder sur l’impunité. Si la réconciliation est un objectif louable, sa réalisation dépend forcément de la place accordée à la justice, à la vérité et aux réparations. »

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