Elle a constaté que près des deux-tiers des travailleurs migrants népalais qui ont répondu à l’enquête, menée au Népal et en Malaisie et rendue publique le 18 décembre 2017, avaient payé des frais de recrutement excessifs et illégaux.
« Les travailleurs migrants népalais sont systématiquement et impitoyablement piégés. Contraints de contracter des prêts pour payer les frais exorbitants que les agences de recrutement leur facturent pour aller travailler à l’étranger, ils se retrouvent endettés au point de ne pas pouvoir quitter leur emploi même s’il s’avère sous-payé ou dangereux, a déclaré James Lynch, directeur adjoint du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.
« La mise en œuvre très limitée de la loi par le gouvernement népalais joue le jeu des profiteurs et des usuriers. Les travailleurs migrants se retrouvent bien trop souvent pris au piège d’une situation avilissante, travaillant à l’étranger pendant des années simplement pour rembourser les frais exorbitants, souvent illégaux, qu’ils ont dû payer pour trouver un emploi. S’attaquer à cette industrie qui exploite les travailleurs est une priorité. »
Endettés et dupés
Sur les 414 travailleurs migrants népalais qui ont participé au sondage d’Amnesty International réalisé par téléphone portable, la vaste majorité (88 %) a signalé avoir payé des frais à des agents pour travailler à l’étranger. Ces frais étant très élevés, la plupart avaient dû emprunter plus de la moitié de la somme à des prêteurs sur gages de leur village et se retrouvaient donc endettés.
Les calculs des travailleurs quant au moyen de rembourser ces emprunts capotent souvent du fait de salaires non payés ou d’autres formes d’exploitation au travail. Plus de la moitié des travailleurs interrogés (53 %) ont déclaré qu’ils avaient reçu des salaires mensuels inférieurs à ce que leur avaient promis les agents de recrutement.
En juillet 2015, le gouvernement népalais a adopté la politique « Visa gratuit, Billet gratuit » (Free Visa, Free Ticket), qui a réduit les frais maximum dont doivent s’acquitter les travailleurs à 10 000 roupies népalaises (82 euros) suite aux pressions exercées au niveau local et international. Toutefois, cette politique n’est pas dûment mise en œuvre. En juin 2017, Amnesty International a publié un rapport, Turning People into Profits, qui concluait que les agences de recrutement continuaient d’exploiter librement les migrants en facturant des frais supérieurs au plafond fixé.
Parmi les travailleurs sondés par Amnesty International, seul un sur cinq (20 %) a déclaré que le gouvernement appliquait cette politique.
Le nouveau sondage vient confirmer l’exploitation à l’échelle du pays qui prospère sous les yeux d’un gouvernement souvent indifférent.
Les agences de recrutement qui facturent des frais illégaux sont souvent prêtes à tout pour échapper aux contrôles, notamment à envoyer des intermédiaires encaisser l’argent au lieu de le recevoir directement. Dans le sondage réalisé par Amnesty International, 90 % des travailleurs qui s’étaient acquittés de frais de recrutement n’ont pas obtenu de reçu de la part des agents. Il leur est donc très difficile de porter plainte contre des agents sans scrupules et de réclamer le remboursement de ces sommes.
Constat inquiétant, certains de ces recruteurs – qui détiennent les travailleurs en servitude en les accablant de dettes énormes – « vendent » les travailleurs népalais à des clients étrangers potentiels en insistant sur le fait qu’il est peu probable qu’ils quittent leur emploi. En consultant et analysant 100 sites de recrutement népalais, Amnesty International a constaté qu’ils font la « publicité » des travailleurs népalais en les décrivant comme « loyaux » et « totalement dédiés à leur travail même dans des situations ardues ».
En novembre 2017, Amnesty International a interrogé quatre travailleurs népalais dupés par des agents quant à leurs conditions de travail. Ils devaient travailler en Malaisie dans une usine qui fabrique des étiquettes pour des bouteilles en plastique, mais ont été envoyés dans une aciérie où on leur a demandé de réaliser des tâches dangereuses, sans aucune formation. Après avoir été témoins de plusieurs accidents sur le site, ils ont souhaité partir, mais l’entreprise a refusé de payer leur billet de retour ou de leur rendre leur passeport.
Lourdement endettés après avoir réglé environ 1 000 euros de frais de recrutement, ils ont déclaré s’être sentis piégés, effrayés. Ils ne pouvaient pas rentrer chez eux car ils n’avaient pas de quoi acheter les billets d’avion. Ils n’ont pu rentrer au Népal qu’à la mi-2017 après avoir fui l’entreprise et obtenu de leurs familles qu’elles contractent de nouveaux emprunts pour financer leur retour. Aujourd’hui au Népal, ils réfléchissent à la manière de rembourser les dettes énormes qu’ils ont accumulées. Leur seule option viable sera sans doute de repartir à l’étranger.
Amnesty International exhorte le gouvernement népalais et les entreprises à faire davantage pour lutter contre la corruption qui gangrène le secteur du recrutement au Népal.
« Le gouvernement népalais doit se mobiliser pour protéger les travailleurs migrants : ils font des sacrifices inimaginables en quittant leurs proches pendant des années pour aller travailler à l’étranger, et en retour sont trompés et exploités. Un bon début serait de sanctionner les agences de recrutement qui ne respectent pas la loi, a déclaré James Lynch.
« Les entreprises qui emploient des travailleurs migrants dans les pays du Golfe et en Malaisie, directement ou par l’intermédiaire de fournisseurs ou de sous-traitants, doivent aussi assumer leur responsabilité. Elles doivent prendre des mesures afin de prévenir le recrutement qui relève de l’exploitation et veiller à ce que les travailleurs migrants au sein de leurs chaînes d’approvisionnement et de sous-traitance qui ont payé des frais de recrutement soient remboursés. Tant qu’elles n’agissent pas, elles contribuent au piège de l’endettement qui détruit tant de vies au Népal. »
Complément d’information
Amnesty International a mené un sondage par téléphone portable en Malaisie auprès de groupes de migrants qui travaillent dans différents secteurs, ainsi qu’au Népal auprès de migrants rentrés chez eux après avoir travaillé à l’étranger, en Malaisie ou dans les pays du Golfe.